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Sur le vif - Page 1141

  • Radicaux-libéraux : l’union, bien sûr !


     

    Annoncée aujourd’hui pour 2009, cette union est urgente, et ne devrait être que le prélude à une recomposition plus large de la droite suisse, incluant, au moins, la démocratie chrétienne.

     

    Sur le vif - Mardi 15.07.08 - 16.00h

     

    Plantez-vous place du Molard à Genève, rue de Bourg à Lausanne, ou sur les rives du lac à Neuchâtel, tendez un micro aux gens, et posez leur cette simple question : « Pourriez-vous me dire la différence entre les libéraux et les radicaux ? ». A moins que vous n’ayez la chance de tomber sur un érudit comme l’excellent Olivier Meuwly, sur un radical canal historique comme l’un des frères Bender, de Fully, ou sur un torturé de la laïcité militante, nostalgique de Combes ou de Waldeck-Rousseau, vous aurez droit, au mieux, à une moue dubitative.

     

    Et c’est à juste titre ! Autant les nuances, réelles, et même les franches oppositions de ces deux partis, notamment dans le canton de Vaud, ont habité le dix-neuvième et une bonne partie du vingtième siècle, autant, aujourd’hui, elles s’évanouissent dans les profondeurs de l’Histoire. Bien sûr, les uns étaient plutôt patriciens, les autres plutôt populaires, les uns plutôt financiers, les autres plutôt artisans ou industriels, tout cela, toute cette fracture, a eu du sens. Il est passionnant, historiquement, de s’y pencher, de recréer les sociologies de ces époques. Mais tout cela, aujourd’hui, appartient au passé.

     

    Car enfin, entre le socialisme et l’UDC, que représentent ces deux partis qui, au niveau national, vont bientôt s’unir (en 2009, apprend-on aujourd’hui) ? La promotion de l’individu, l’attachement à une formation de qualité, cultivant les valeurs de mérite et d’effort, le travail sans compter, l’encouragement à la libre entreprise, le jeu de la concurrence. La combat pour une Suisse ouverte, le rejet de la xénophobie, l’acceptation de l’étranger comme valeur constitutive de notre pays, pour peu qu’il en respecte les règles, et en accepte les devoirs. Enfin, la répartition, oui, mais une fois les richesses produites, ce qui ne va pas sans un immense effort. Ces quelques valeurs-là, non seulement justifient la fusion des radicaux et des libéraux, tant elles leur sont communes, mais doivent accélérer l’audace de ces familles politiques à se rapprocher, tout autant, du PDC, et même d’une partie de l’UDC, celle qui en a peut-être assez de voir les étrangers investis de tous les maux.

     

    Sur le constat, beaucoup sont d’accord. Demeurent les résistances, tant dans les cantons (les trois de Suisse romande où existent encore des libéraux) que dans la guéguerre que se mènent Christophe Darbellay et Fulvio Pelli, ce dernier ayant eu largement tort de refuser la main tendue du premier. Dans ce champ de tensions, un homme se bat pour l’union : le libéral Pierre Weiss. Actif, imaginatif, aimé ou détesté, mais un homme avec une vision, qui veut voir l’intérêt de la droite suisse tout entière (au demeurant nettement majoritaire dans le pays), plutôt que s’appesantir à tout prix sur le poids des héritages, où les poussières patriciennes le disputent aux jouissances claniques des notables.

     

    A cet égard, la lenteur des calendriers que semblent esquisser certains caciques des partis cantonaux, voulant à tout prix laisser du temps au temps, évoquant tout au mieux l’horizon de 2015, a de quoi laisser pantois. En politique, la manœuvre exige parfois qu’on se réveille : la faiblesse des résultats du parti socialiste (qui a passé, à la baisse, le 21 octobre 2007, la barre des 20%), alliée aux problèmes internes de l’UDC, tout cela constitue une opportunité historique pour une recomposition de la droite, ou du centre-droit. Et Christophe Darbellay a parfaitement raison d’évoquer l’idée de « Charte ». En moins de dix minutes, n’importe quel esprit un peu éclairé et synthétique, au demeurant, vous la jetterait sur le papier. Point besoin de discours de Bayeux, ni de Brazzaville : une page A4 suffit.

     

    Face à ces enjeux, les querelles d’étiquette apparaissent bien mineures. Notre pays va vivre, l’an prochain, un important rendez-vous avec l’Europe, ce continent dont il est, à tous les égards, central. Il doit redéfinir la place de l’Etat, en délimiter le socle régalien, réinventer la relation du citoyen avec la fiscalité. Il doit refaire l’Ecole, pousser à tout prix la qualité de la formation. Ces défis exigent, de gauche comme de droite, des positions claires : entre le socialisme et l’UDC, il existe une troisième voie, libérale et ouverte. Une, mais pas nécessairement trente-six.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Là-bas, la Méditerranée


     

    En filigrane d’un grand projet diplomatique – du moins on aimerait y croire – la lecture du tout dernier Lacouture, l’un des plus beaux.

     

    Sur le vif – Dimanche 13.07.08 – 19.25h

     

    On peut penser ce qu’on veut de Nicolas Sarkozy, des signaux de sa politique étrangère depuis quatorze mois, il n’en reste pas moins que l’Union pour la Méditerranée, lancée aujourd’hui à Paris par les dirigeants de plus de quarante pays, peut être considérée, en tout cas dans son principe politique, comme une noble, une grande idée. Que l’Elysée, 46 ans, presque jour pour jour, après l’entrée en vigueur des Accords d’Evian et la rentrée en Métropole – dans le désarroi qu’on sait – de centaines de milliers de Français d’Algérie, prenne l’initiative de tourner à nouveau son regard vers le Sud, il y a là un signal qui pourrait déboucher sur quelque chose de fort. Souvent, dans son Histoire, lorsque l’Europe est dans l’impasse, la France s’emploie à réinventer sa dimension méditerranéenne. En 1962, c’est exactement le contraire qui s’est produit : au moment où elle doit tourner la page de quatre siècles d’Histoire coloniale, elle se redécouvre rhénane, et scelle avec l’Allemagne, dans un esprit de réconciliation, ce qui sera le pilier de la construction européenne.

     

    Une coïncidence veut que la grande initiative diplomatique lancée aujourd’hui (puisse-t-elle embraser les cœurs, et non les simples chancelleries) soit lancée au moment où j’ai le bonheur de savourer chaque ligne de l’éblouissante « Algérie algérienne », que vient de publier Jean Lacouture, 87 ans, chez Gallimard. Un essai d’une incroyable acuité sur les 132 ans de présence française dans ce pays, sur les grands penseurs arabes ou kabyles de l’idée d’indépendance, sur la puissance des liens, fussent-ils d’amour ou de haine, entre l’Algérie et la France. De l’expédition de 1830, dans les derniers jours du règne de Charles X, jusqu’au départ des colons, en 1962, dans le fracas des attentats de l’OAS, il fallait ce livre, il fallait la connaissance du monde arabe par Lacouture (bien au-delà de l’Algérie, et à commencer par celles de l’Egypte, du Maroc, de la Tunisie et du Levant), pour poser quelques jalons de lumière dans une très grande complexité.

     

    Où l’on s’aperçoit que, sur ces 132 ans, Paris n’a jamais eu, au fond, de politique algérienne cohérente. Dès les premières années, au moment où Bugeaud combat le grand Abd el-Kader, il n’est jamais clairement tranché s’il faut se contenter de quelques « comptoirs » (Oran, Alger, Mostaganem), ou s’implanter pour longtemps dans l’immensité de l’arrière-pays. Puis c’est Napoléon III qui rêve d’un « royaume arabe », puis la République qui envoie dans la Mitidja les Alsaciens venant chercher quelque revanche de vivre après la défaite de 1870. Ensuite encore, le temps de la gauche colonisatrice, avec Jules Ferry, combattue par Clemenceau qui n’y voit qu’un dérivatif au seul combat qui vaille : la revanche, la reconquête de l’Alsace-Lorraine.

     

    Ce livre, c’est encore le sang des Musulmans dans les combats de la Grande Guerre, et encore en 1940, sans que jamais la moindre contrepartie, en termes de citoyenneté, ne leur soit octroyée. Ce Lacouture, enfin, c’est le récit de la lente germination de l’idée d’indépendance (Messali Hadj, Ferhat Abbas, et tant d’autres, qui d’ailleurs ne cessent de se combattre, on le verra dès l’Indépendance), et le rappel de ces « événements », du 1er novembre 1954 jusqu’à juillet 1962, qu’on appelle, un peu communément, « la Guerre d’Algérie ». N’a-t-elle pas, d’ailleurs, éclaté dès le 8 mai 1945, dans les terribles événements de Sétif, où le sang, la mort et l’horreur ont envahi le Constantinois ?

     

    Revenons à Sarkozy. Son projet, bien sûr, va immensément plus loin que la seule Algérie, ni le seul Maghreb, ni même la seule Afrique du Nord : la star (diversement goûtée) de ce dimanche n’a-t-elle pas été le Président syrien Bachar al-Assad ? Déjà, mille reproches peuvent légitimement affleurer : gigantisme (43 pays, 750 millions d’âmes), néo-colonialisme, solo français qui fâche le grand voisin allemand, et qui aurait même pu froisser la diplomatie européenne, si cette dernière avait le moindre embryon d’existence. Bien sûr, il y a quelques chose de trop grand, d’exagéré, malgré tous les livres de Braudel (et autant de chefs-d’œuvre) à vouloir absolument définir un lien entre des communautés humaines si différentes. Déjà, le Mare Nostrum des empereurs romains du grand siècle apparaissait comme un mirage, camouflant mille fissures. Bien sûr, tout cela est, tous ces leurres menacent, et les détracteurs du projet ne manqueront pas de le relever.

     

    Mais quoi ! Voilà un Président français, également Président (pour six mois) de l’Union européenne, qui, pour la première fois depuis pas mal de temps dans l’Histoire récente de son pays, prend une grande initiative, se risque à un grand dessein. Peut-être échouera-t-il. Mais il aura, pour le moins, proposé un horizon. Cela, qu’on aime ou non Nicolas Sarkozy, mérite d’être salué. Et la Méditerranée, tellement, mérite nos attentions. Alors, à supposer que vous ne sachiez pas par quoi commencer, permettez-moi, à part Braudel bien sûr, de vous conseiller Lacouture. Biographe de Nasser. Et auteur de cette « Algérie algérienne », dont l’intelligence éblouira votre été. Même les soirs de pluie.

     

    Pascal Décaillet

  • La grande erreur de Fulvio Pelli


    Ou : le Latin de glace et le flandrin de feu

     

    Il faudrait sans doute remonter aux Vies parallèles de Plutarque pour aller exhumer de la poussière des siècles deux personnalités aussi dissemblables que Fulvio Pelli et Christophe Darbellay. Le cérébral et l’instinctif. Le taciturne et l’expansif. Le contenu et l’impulsif. La célébration de l’immobilité, et le mouvement perpétuel. Deux Latins, certes, l’un et l’autre fils de la Louve : l’un jouit par la lente infiltration de l’analyse ; l’autre, moins imperméable, par la splendeur des résurgences, le sens du courant n’étant pas l’essentiel.

     

    De ce jeu de glace et de feu, ce conte d’Islande, nous pourrions tout à loisir nous délecter, allant quérir chaque dimanche, dans la presse alémanique, quelque nouveau geyser. Pour le spectacle, un pur bonheur. Pour les socialistes et l’UDC, qui s’en frottent les mains et s’en pourlèchent les babines, une aubaine, toujours recommencée. A ce rythme-là, ils l’auront bientôt, leur Suisse bipolaire, tout ce qui a fait ce pays depuis plus d’un siècle n’offrant plus, à l’extérieur, que le spectacle de ses divisions.

     

    Depuis des années, il m’apparaît que les grands courants de la droite suisse (la démocratie chrétienne, le radicalisme,  le libéralisme, et l’aile non-xénophobe, ouverte aux échanges, de l’UDC) doivent, sans trop tarder, dans l’honneur, le respect mutuel, se fédérer sous une même bannière. Plus de deux Suisses sur trois, le 21 octobre 2007, ont voté pour des partis qu’on appellera « de droite », ou « conservateurs », comme vous voudrez. Et moins d’un Suisse sur cinq, ce qui est (à la baisse) un record en Europe, a voté pour le parti socialiste. Il faut tout de même croire que la défense de l’individu, du travail, du mérite, de la prise de risque personnelle, recueillent plus d’adhésion, dans ce pays, que le tout au collectif, ou l’Etat-Providence. Car pour redistribuer (et il le faut, pour les plus faibles), il convient d’abord d’avoir beaucoup travaillé pour parvenir à créer des richesses. Ces valeurs-là, en Suisse, sont majoritaires. Mais ceux qui, au fond tous ensemble, les défendent, passent leur temps à se chamailler.

     

    Le dernier incident en date (week-end dernier) est à mettre, clairement, sur le compte de Fulvio Pelli. La manière dont le président du parti radical suisse a rejeté, d’un soufflet, les raisonnables propositions de collaboration de Christophe Darbellay, constituent une erreur politique de premier plan. Que le style Darbellay, ce flandrin de feu, exaspère au plus haut point l’esthète lecteur des « Fiancés », le chef-d’œuvre de Manzoni, on peut certes le comprendre. Un homme qui se lève à quatre heures du matin, s’étant couché trois heures plus tôt, court les crêtes des sommets et les moraines des glaciers, séduit, se brouille, se réconcilie, tente, perd, gagne, fait jouer mille cousins, dévore la vie, ce spécimen d’humanité-là doit, à coup sûr, générer quelque incompréhension chez le très retenu avocat du sud des Alpes, dont le dernier grand moment d’enthousiasme doit dater des années soixante, ou de son extatique découverte du Code des Obligations. Qu’importe, d’ailleurs, il faut de tout pour faire un monde. Mais il est préférable, en politique, d’éviter les erreurs irrattrapables.

     

    Or là, Fulvio Pelli en a commis une. Et de taille. Tout le monde sait très bien que sur le fond, au plan fédéral, radicaux-libéraux et démocrates-chrétiens militent pour le même modèle de société. Tout le monde, aussi, sait que les vieilles étiquettes héritées des luttes confessionnelles du dix-neuvième siècle, du Sonderbund, du Kulturkampf, n’ont plus aucun sens, aujourd’hui, l’une contre l’autre. Leur champ référentiel, simplement, ne joue plus pour les gens d’aujourd’hui. J’adore, infiniment, lire les livres d’Olivier Meuwly sur les grandes figures du radicalisme vaudois, ou toute l’Histoire de la réaction catholique au progrès, de Léon XIII et de sa Doctrine sociale, je pourrais vous en entretenir pendant des heures. Mais nous sommes en 2008. La Suisse a changé. Cet espace politique-là a besoin d’autre chose, de plus grand, de plus clair, de plus rassembleur, pour répondre à ses besoins.

     

    Après une fin d’année 2007, disons, un peu difficile (je crois avoir été le premier à le souligner, et je maintiens), puis un combat courageusement mené, mais perdu, en Valais, Christophe Darbellay a profondément intégré, maintenant, cette dimension de recomposition de la droite suisse. On dira que c’est par opportunisme, par ambition, pour en avoir le leadership, chacun pensera ce qu’il voudra. Mais il a, lui, tendu la main. Et Fulvio Pelli, sèchement (par crainte d’une partie de sa base ?), l’a refusée. Il ne s’agissait pourtant que d’un ou deux domaines (on pourrait imaginer l’Ecole) où des signes de convergence auraient pu être donnés. C’est infiniment dommage, et c’est pire encore : les derniers soubresauts de l’UDC, la santé encore fort précaire des socialistes, tout cela constituait – constitue encore, mais jusqu’à quand ? – une constellation favorable pour une offensive de la Suisse ouverte et libérale, celle qui ne se veut ni assistée ni nationaliste. C’est-à-dire, clairement, la majorité de ce pays.

     

    Pascal Décaillet