Sur le vif – Jeudi 24.07.08 – 22.25h
De mes hauteurs valaisannes, de retour d’une somptueuse marche sous la Fenêtre d’Arpette, j’apprends, comme des milliers de mes compatriotes, en écoutant Forums et un excellent portrait de mon confrère Roger Guignard, la mort de Kurt Furgler. Stupeur, même si l’homme était octogénaire et réputé affaibli. Foule d’images, qui, à travers lui, sont celles de l’Histoire suisse de l’après-guerre, dont il aura été (avec le socialiste bâlois Tschudi) le plus brillant représentant. Souvenirs des deux ou trois moments privilégiés où j’ai eu l’honneur de l’interviewer personnellement : sur le bateau en partance de Lucerne pour le Grütli, le 1er août 1991, jour du 700e de la Confédération ; sur la Place fédérale, en septembre 1998, pour le 150e de la Suisse moderne. Des festivités, rien de plus : il était déjà, à cette époque, le Furgler de l’après-Furgler.
Souvenirs, encore : son élection, fin 1971 (il avait, j’ignore pourquoi, une béquille), sur la TV noir et blanc de mes parents ; sa magistrale intervention, à Genève, en novembre 1985, devant Reagan et Gorbatchev, que je découvrais de mon lit d’hôpital. Et puis, mille autres épisodes, de son cas de conscience sur l’avortement à l’échec de la police fédérale de sécurité. L’affaire des mirages, son rôle dans la question jurassienne, je ne les ai connus que plus tard, par le filtre de l’Histoire.
Les éditos, demain matin, seront élogieux, et ça ne sera que justice. Les grands conseillers fédéraux de l’après-guerre tiennent sur les doigts d’une main : Tschudi, Furgler, et j’ajoute Jean-Pascal Delamuraz. Ceux qui, non seulement, ont façonné l’Histoire suisse, mais, plus encore, ceux qui nous l’ont racontée, en ont fait quelque chose qui, sans aller jusqu’à la légende, relève tout au moins de la geste et du souffle. Encre, qui, pour longtemps, imbibera les livres d’Histoire. Trace, dans nos mémoires. Correction de l’inéluctable. Parfum d’aventure humaine, quelque part dans la brutalité minérale de l’attendu.
Surtout, le destin de Kurt Furgler corrige une sottise trop répandue, qui sert souvent d’excuse aux médiocrités : l’idée que la Suisse n’aimerait pas (et jusqu’à les rejeter) les têtes qui dépassent. Faux, archi-faux : du Genevois James Fazy au Valaisan Maurice Troillet, du Vaudois Henri Druey au Bâlois Tschudi, le souffle de l’esprit et de l’innovation n’a cessé, à travers les âges, de traverser notre communauté nationale. Que nous en ayons moins le culte que nos voisins français est une chose ; que nous prétendions les gommer en est une autre, inacceptable.
Reste l’incroyable classe de cet homme, qui vient de nous quitter. Son français parfait, sans le moindre accent. Son incessant combat pour réformer nos institutions. Ses galons de brigadier, qui en font le conseiller fédéral le plus gradé du vingtième siècle. Son intelligence, sa rapidité de synthèse. « Un homme de feu », a résumé François Lachat, qui en sait quelque chose, ce soir dans Forums. Un homme de feu, oui, et on aura tout dit.
Pascal Décaillet
Sur le vif - Page 1140
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Un très grand Suisse nous a quittés
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Un tout petit « crime de guerre »
Sur le vif - Jeudi 17.07.08 - 09.00h
Il est un peu fatigant d’entendre répéter sur toutes les ondes, de façon brute et sans contexte, que l’usurpation de l’emblème de la Croix-Rouge, lors de la libération d’Ingrid Betancourt, est un crime de guerre.
Non que ce soit faux. Juridiquement, selon les Conventions de Genève, c’est même parfaitement exact. Seulement, quand on donne les informations, même dans des modules très courts, il ne suffit pas toujours de se contenter sèchement de la vérité objective du droit.
Le moins n’est-il pas, dans cette affaire, d’interroger le contexte ? Si cet expédient était le seul, fallait-il y renoncer, et laisser mourir l’otage aux mains des FARC ? Ces dernières sont-elles autre chose, par leurs méthodes, que des terroristes ? Ce cheval de Troie était peut-être impur, illégal, nourrira sans doute mille discussions de juristes internationaux bien assis et bien au chaud, mais en attendant, INGRID BETANCOURT EST LIBRE.
« Crime de guerre » ? Peut-être, sur le papier. Mais utiliser, sans nuance, la même expression pour l’opération Betancourt que pour les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, du Vietnam ou des Balkans, il y a là atteinte au sens. Ce qui, sans être un crime, n’en constitue pas moins une faute.
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Ingrid et Marie
Sur le vif – Mercredi 16.07.08 – 1230h
A entendre certaines ondes, ce matin, Ingrid Betancourt n’aurait pas le droit, ou en tout cas serait malvenue, d’afficher ses convictions chrétiennes, encore moins sa dévotion mariale, dans ses prises de position publiques, depuis la fin de son calvaire. Sa présence à Lourdes, même, est critiquée.
Il y a des moments où il faut laisser sortir sa fureur. La laïcité, oui: c’est le seul moyen d’organiser correctement les relations entre l’Etat et les religions. Mais ce monde où plus personne, a fortiori un ex-otage ayant vécu six années de captivité et de solitude, ne pourrait faire état de ses émotions spirituelles, n’est pas plus acceptable que ne l’était la théocratie.
Laïcité, oui. Mais ces ayatollahs du rejet de toute référence religieuse, ou cultuelle, cela commence à suffire. Il n’appartient à aucun d’entre nous de connaître le chemin de solitude intérieure d’une femme restée enchaînée six ans, loin de sa famille, loin de tout. Qu’Ingrid Betancourt ait été amenée à ce que nous appellerons une révélation spirituelle (je ne demande à personne d’y croire, juste le respecter), relève de sa sphère la plus privée, et elle a parfaitement le droit d’en témoigner.
Lourdes, Fatima, la Salette, le culte marial, on y croit ou non. Mais il se trouve que nous sommes là, et pas seulement depuis Pie IX et le 8 décembre 1854, dans l’un des lieux d’expression les plus forts de la foi catholique. Comme il y a ceux de la foi protestante, de la foi orthodoxe, des Juifs, des Musulmans. Pouvoir l’exprimer en public relève du droit le plus élémentaire : c’est justement pour garantir ce droit, dans la pluralité des sensibilités, que la laïcité a été inventée.
Sans compter qu’Ingrid Betancourt, dans ses déclarations, ne fait aucun prosélytisme. Elle témoigne, simplement. La puissance de ce témoignage, chacun doit avoir le droit, tout au moins, de l’entendre.
Pascal Décaillet
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