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Notes de lecture - Page 5

  • Mitterrand, sur le vif, par Michèle Cotta

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    Notes de lecture - Dimanche 24.07.11 - 16.51h

     

    De mes hauteurs valaisannes, d'où j'écris ces lignes, j'ai le privilège d'avoir depuis tant d'années, authentiquement surgies du grenier, une collection de magazines « L'Express » des années soixante, celui de la grande époque, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Françoise Giroud. Quinze mille fois, je l'ai les décortiqués, dégustés. Toujours avec le même bonheur : celui de savourer des analyses politiques n'ayant, avec le recul d'un demi-siècle, pas pris une ride. Les plumes en sont magistrales. Beaucoup d'entre elles sont féminines : Giroud, bien sûr, avec ses éclairs, mais aussi Irène Allier, Catherine Nay (dès 1968) et Michèle Cotta. Nous sommes là dans une aristocratie du journalisme politique français dont le moins qu'on puisse dire est qu'on peine à déceler l'équivalent aujourd'hui.

     

    Déjà, dans ces années soixante, le style Cotta : factuel, dans le sens le plus noble du terme. Jeune journaliste, elle avait décroché la toute première grande interview de François Mitterrand après l'affaire de l'Observatoire (1959), dont il était sorti laminé. Pendant 37 ans, 23 d'opposition, puis 14 d'Elysée, le destin de la journaliste (qui accèdera aux plus hautes fonctions de l'audiovisuel) ne cessera de croiser celui de l'homme politique le plus énigmatique et le plus séduisant de l'après-guerre en France. Publiées en mars, avec une préface inédite, les 868 pages de ses « Carnets de route » avec Mitterrand constituent une lecture passionnante, piquante, rafraîchissante comme l'eau vive puisée directement à la source : celle de ces notes, prises sur le vif, devant servir de canevas à ses papiers de l'époque.

     

    On y découvre quoi ? Un exceptionnel combattant politique. L'homme qui ne renonce jamais. L'homme seul, le plus insulté de France, abandonné de tous au lendemain de l'Observatoire ou de Mai 68. L'homme pulvérisé, qui patiemment se reconstruit. L'homme qui connaît par cœur chacune des circonscriptions de la carte électorale française. L'homme qui, très lentement, face aux caciques de la SFIO, face à la deuxième gauche de Rocard, à force d'un acharnement sans pareil, s'impose au sein d'une famille socialiste qui, au départ, n'est absolument pas la sienne. L'homme qui, non seulement, renverse le rapport de forces entre socialistes et communistes, mais finit par reléguer ces derniers, premier parti de France à la Libération, dans un rang mineur.

     

    On y découvre aussi qu'en politique, rien n'est jamais gagné, ni d'ailleurs perdu, qu'il n'y a aucun ami, que tout proche est un traître potentiel, que le danger est partout. Il n'y a ni monarque, ni « Dieu », ni « Tonton », il y a l'aspérité du combat d'un homme seul, à la constante merci du piège, de la chute, de la disparition. Il y a aussi, dans ces carnets, la très grande violence de la vie politique, éliminer l'autre, et avant tout le proche. « 1967 : comme je lui demande comment il compte s'y prendre pour déjouer les assauts de Guy Mollet, alors secrétaire général de la SFIO, qui ne veut pas lui laisser le champ libre à gauche, il me répond : « C'est simple, Guy Mollet pense à m'abattre 23 heures sur 24. Il me suffit, à moi, de penser 24 heures sur 24 à être plus fort que lui » (Page 852, réflexion de Michèle Cotta le 8 janvier 1996, jour de la mort de François Mitterrand).

     

    Au fil de toutes ces notes, Michèle Cotta ne cherche pas à faire du style, ni à prétendre, comme d'autres, tramer une oeuvre littéraire autour du destin, déjà par nature si romanesque, du héros. Et c'est précisément la sobriété de ces carnets qui révèle les lignes de force d'une vie, d'un combat, d'un caractère. Autour du personnage principal, certaines figures, comme Mauroy, sortent grandies. D'autres, comme Rocard, étrillées. On ne peut pas dire, concernant ce dernier, que la narratrice le défende avec acharnement, tout au plus un sobre « bravo » au moment des Accords de Matignon, juin 1988, sur la Nouvelle-Calédonie (page 648).

     

    Quant à la somme phénoménale des intrigues, embrouilles, chausse-trappes, au sein même de la famille socialiste, elle dépasse l'entendement. On mesure, en lisant Michèle Cotta, à quel point la discorde interne est ontologiquement ancrée dans ce parti-là. Qu'il faut pourtant, et impérativement, d'abord contrôler si on aspire ensuite à l'Elysée. Le seul qui soit, jusqu'à nouvel ordre, parvenu, à ce jour, à maîtriser successivement le parti, puis le pays, s'appelle François Mitterrand. On conseillera donc avec beaucoup de diligence cette lecture d'été à Martine Aubry, Ségolène Royal et François Hollande. Et, plus largement, à tous ceux que passionne la politique française, et la figure magistrale du personnage principal de ces carnets.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** "Mitterrand, carnets de route", par Michèle Cotta, Editions Pluriel, 868 pages, mars 2011.

  • Une lecture toscane, l'été

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    Notes de lecture - Mercredi 20.07.11 - 12.50h

     

    L'action se déroule en Toscane, et, comme je suis un garçon perfectionniste, c'est en Toscane, perché au sommet d'une colline inspirée, que j'ai savouré, il y a quelques jours, le dernier livre de Dominique Fernandez. Ce roman est un bonheur. Il nous plonge dans une Italie perdue, celle de l'immédiat après-guerre. Il nous immerge dans une jeunesse, des codes, des conventions qui n'ont plus cours depuis longtemps. Il nous donne envie d'avoir vécu cela, nous qui sommes venus après. C'est un roman sur l'Italie, l'une des grandes passions de l'auteur qui en est un éminent spécialiste, agrégé, docteur ès lettres. Mais c'est aussi un texte sur la jeunesse perdue. Il y a toujours, dans la littérature italienne ou consacrée à l'Italie, quelques fragments d'ombre des Promessi Sposi, et le thème des fiançailles, ici chez Fernandez, se promettre à quelqu'un, cela semble aujourd'hui si lointain, domine le livre.

     

    Etudiants en langue et littérature italiennes (un choix rare, en France, dans les années qui ont suivi le fascisme), deux jeunes gens d'une vingtaine d'années, Octave et Robert (le narrateur), quittent Paris, en octobre 1951, pour un séjour studieux d'un an à Pise. Dans un automne qui, là-bas, ressemble encore à l'été, ils débarquent dans une Italie à peine sortie de la guerre, et surtout de l'épopée mussolinienne, coupée en deux (comme dans l'univers de Don Camillo) entre démocratie chrétienne au pouvoir, celle d'Alcide de Gasperi, et communisme. Il faut être l'un ou l'autre, il n'y a guère d'autre choix. L'Italie est belle, veut vivre, oublier les années difficiles, les deux garçons découvrent la liberté sur une vespa. Qui les amène, un beau jour, dans la propriété des Tibaldi, noblesse ruinée, fascistes dépossédés, où vit la belle Ivanka. Jeune fille à marier. Je ne vous en dis pas plus.

     

    Je ne parlerai pas de l'histoire d'amour, parce que je suis en train de finir « Belle du Seigneur », et que, côté puissance passionnelle, je suis trop imprégné d'Ariane et de Solal pour avoir encore à l'esprit les battements de cœur d'Octave, Robert et Ivanka. Mais je vous parlerais des heures de cette Italie-là, si finement restituée par Fernandez, cette rigueur dans le paraître, cette pudeur des sentiments, ce délicieux apartheid entre garçons et filles, ce monde perdu, à la fois archaïque et primesautier, poussiéreux, décati, et pourtant éclatant de lumière. La lumière de Toscane. Autant dire l'intensité du bonheur. Quand il surgit. Et déjà, quand il nous échappe.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** "Pise 1951", par Dominique Fernandez, Grasset, janvier 2011, 327 pages.

     


  • L’homme qui voulait défoncer la NRF

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    Notes de lecture - Dimanche 29.05.11 - 09.14h

     

    248 pages qui nous laissent essoufflés. Bise noire. Folio édite un choix des « Lettres à la NRF » de Céline, quelques-unes dans les années trente, l’immense majorité au sortir de la guerre, dans les années d’exil au Danemark, puis à Meudon. Les lettres étaient sorties il y a une vingtaine d’années dans la collection blanche, j’entends encore Sollers en parler sur une chaîne de radio, les voilà en format populaire, à l’usage de tous.

     

    Bise noire, parce que Céline épistolier, c’est Céline tout court. 248 pages, quelque trois heures de lecture, bonheur brûlant d’une piqûre intense, enfin le rythme, enfin la revoilà, cette petite musique, unique, seule au monde. Oui, le docteur Destouches qui réclame du fric à Gaston Gallimard, vomit le monde, parsème de foutre et de césures des bribes de phrase sans fin, tantôt tendre, tantôt hurlant sa rage, c’est le même mystère du style que le Voyage ou Bagatelles. L’homme, on s’en doutait d’ailleurs, ne prend pas de gants blancs lorsqu’il écrit à son éditeur.

     

    Tout avait très mal commencé, avec la NRF. Ils étaient passés à côté du Voyage, en 1932, et Céline, rapide, avait signé chez Denoël. Rendez-vous manqué, dont Sollers rappelle, dans la préface, qu’il laissera des traces solides. On la sent resurgir, cette sourde rancœur, entre mots d’amitié, flèches de haine, maquignonnages d’argent, suppliques pour paraître en Pléiade, lacération des plus grands, que sont Gide et Proust, parce qu’ils n’auraient rien compris à la musique, ne seraient pas « dedans ».

     

    « Mon cher Editeur et ami.

    Je crois qu’il va être temps de nous lier par un autre contrat, pour mon prochain roman « RIGODON »… dans les termes du précédent sauf la somme – 1500 NF au lieu de 1000 – sinon je loue, moi aussi, un tracteur et vais défoncer la NRF, et pars saboter tous les bachots !

    Qu’on se le dise !

    Bien amicalement votre

     

    Destouches »

     

    Ultime missive. 30 juin 1961. Le lendemain, Louis-Ferdinand Céline quittait ce monde. Sans avoir eu le temps de louer son tracteur. A lire, très vite. Pour la piqûre. Et pour la musique.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Céline - Lettres à la NRF - Folio - 10 mai 2011 - 248 pages.