Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Notes de lecture - Page 2

  • Rosette : un destin brisé, qui passe par Genève

    book-07210717.jpg 

    Notes de lecture - Mardi 26.01.16 - 16.35h

     

    93 pages qui se lisent d’une traite. Une histoire tragique dont on connaît la fin, avant même d’attaquer le livre : le destin de Rosette Wolczak, une jeune Juive française, d’origine polonaise, qui réussit à passer en Suisse, dans le canton de Genève, le 24 septembre 1943, s’en voit refoulée le 16 octobre, est arrêtée par les Allemands le 19, envoyée à Drancy (le camp de regroupement, près de Paris) le 25, puis à Auschwitz, par le convoi 62, le 20 novembre. Arrivée dans le camp d’extermination, dont nous célébrerons demain le 71ème anniversaire de la libération, elle est immédiatement gazée, à quinze ans et demi.

     

    « Rosette, pour l’exemple », c’est le dernier livre de mon confrère Claude Torracinta. On connaît la passion de ce brillant journaliste pour l’Histoire, de la Genève de Léon Nicole et d’Oltramare (Le Temps des passions, 1978) à « Ils ont pris le Palais d’hiver ! », publié en 2013, en collaboration avec son épouse, Claire Torracinta-Pache. « Toute histoire est contemporaine », affirme l’auteur en page 16 de « Rosette » : parler du passé, c’est parler d’aujourd’hui.

     

    L’histoire de Rosette ne nous éclaire pas seulement sur la France de Vichy, ni sur l’abomination du régime nazi, tout cela nous le connaissons depuis longtemps. Non, l’originalité de l’éclairage de Claude Torracinta, qui a mené une véritable enquête journalistique, braque les projecteurs sur le système « d’accueil », et bien souvent de refoulement, des réfugiés juifs dans le canton de Genève, lors de la dernière guerre. A l’automne 1943, il n’y a plus, depuis près d’un an (11 novembre 1942), de zone libre en France, l’occupant est partout, c’est lui qui tient la frontière. Pour les Juifs refoulés, c’est la certitude d’être arrêtés, puis déportés.

     

    Alors, de façon sobre et factuelle, mon confrère nous raconte le chemin de Rosette, celui de sa famille, originaire de Lodz, devenue française, ayant quitté Paris pour Lyon à l’époque de la zone libre, puis Rosette ayant quitté Lyon pour tenter sa chance en Suisse.

     

    L’éclairage sur Genève est cruel. L’auteur, page 35, nous donne deux noms de responsables chargés d’y appliquer les directives fédérales à l’égard des réfugiés. Je vous laisse les découvrir. L’un d’eux, en tout cas, ne se signale pas par un excès d’humanité. Bref, après quelques jours seulement à Genève, Rosette sera refoulée pour une « raison disciplinaire » que je vous laisse aussi apprécier dans l’ouvrage. Après trois jours en Haute-Savoie, elle est arrêtée par les Allemands. La suite, on la connaît.

     

    Il faut être reconnaissant à Claude Torracinta pour son travail de recherche, et aussi pour la clarté journalistique de son ouvrage, où il parvient à nous restituer avec simplicité narrative le fil des événements. L’auteur sera ce soir, mardi 26 janvier, 19h, en direct sur le plateau de Genève à chaud. Et demain, 71ème anniversaire de la libération d’Auschwitz, nous aurons un morceau de musique, interprété en direct dans l'émission. Nous penserons à Rosette. Et à tous les autres.

     

    Pascal Décaillet

     

     

    *** Rosette, pour l'exemple - Par Claude Torracinta - Préface de Ruth Dreifuss - Editions Slatkine, 2016.

     

     

  • La Savoie des écrivains: passionnant ouvrage

    joseph.jpg 

    Texte publié dans GHI - 03.07.13

     

    La Savoie ! Et si, pour une fois, nous parlions de cette magnifique voisine autrement que sous l’angle du Grand Genève, du CEVA, des frontaliers, du marché de l’emploi ou des flux automobiles ? Et si nous nous intéressions aux profondeurs culturelles, historiques de ce qui fut très longtemps un Duché, avant d’être, comme on sait, rattaché à la France en 1860. Trente ans après l’Algérie ! Pour se fondre dans l’identité savoyarde, jusqu’à s’y perdre tellement l’errance est passionnante, rien ne vaut un guide : le plus éblouissant de tous, dont j’ai déjà parlé ici pour son livre « Ecrivains en Pays de Savoie, de l’Antiquité à nos jours » (2012), est Rémi Mogenet, poète et professeur de littérature, incroyable érudit, comme on n’en fait plus.

     

    Car la Savoie, bien sûr, a une Histoire. Et elle est passionnante ! Elle fut Comté (1032-1416), puis Duché, au cœur de l’Europe et de ses alliances, et nous la connaissons depuis le Traité de Turin (Second Empire) comme double Département français. Cette Histoire nous a touchés de près, à Genève (bien au-delà de l’épisode de l’Escalade), dans le canton de Vaud, en Valais. La Savoie, ce sont aussi de très brillantes figures, souvent liées à un catholicisme omniprésent chez nos voisins (il suffit de s’y promener), mais aussi aux arts, à la philosophie. Apprenons à les connaître, elles nous sont si proches !

     

    Le tout dernier livre de Rémi Mogenet, « La littérature du Duché de Savoie, anthologie (1032-1860) », sorti le 10 juin aux Editions des Régionalismes, pose la question d’une littérature savoyarde. Existe-t-elle ? La question est exactement la même que pour la littérature romande : dans les deux cas, il y a de grands écrivains, de véritables figures. Mais peut-on définir ce qu’ils auraient, sur le plan littéraire, en commun, sous l’appellation ethnique : « écrivains romands », ou « auteurs de Savoie » ? L’auteur tente une réponse : peut-être un certain rapport à l’image (issu du catholicisme), à une « imagination libre » rejetée par le rationalisme du Grand Siècle français. Et aussi, ce que le livre précédent montrait déjà avec éclat, un lien très puissant avec un romantisme allemand surgi des paysages, des mythes locaux et des racines.

     

    Sa thèse, Mogenet la nourrit par un très riche catalogue de personnages. Ni citons ici que les deux les plus connus, Saint François de Sales (1567-1622), l’un des plus grandes figures de son temps, connus de tous ceux ayant transité par l’Institut Florimont, évêque de Genève en exil à Annecy, contre-réformateur, remarquable écrivain, et dont Mogenet est aujourd’hui l’un des meilleurs connaisseurs. L’autre figure, éblouissante aussi à tant d’égards, est celle de Joseph de Maistre (1753-1821), cf portrait ci-dessus, contre-révolutionnaire, éminent franc-maçon, penseur politique, théocrate, sur lequel on a tant écrit depuis deux siècles.

     

    Ce livre de Rémi Mogenet, il faut le lire. Il nous décrit la Savoie comme ce qu’elle est : une terre de culture et d’images, infiniment ouverte aux fracas des idées d’Europe, le contraire même du refuge ou du repli, ou de la réserve d’Indiens. Une terre de poésie, de piété, d’élans mystiques. Au cœur d’un paysage qui, à l’égal de nos montagnes suisses, coupe le souffle par la majesté de sa présence.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** La littérature du Duché de Savoie - Anthologie (1032-1860) - Par Rémi Mogenet - Editions des Régionalismes - 2013.

     

  • Sibylle, le récit d'une enfant déracinée

    stepczynski_bettina_150x100.png 

    Notes de lecture - Dimanche 07.04.13 - 16.56h

     

    Une écriture si simple, si limpide. Le présent historique comme temps unique du récit, sur 149 pages. Une histoire hors du temps : juste le sous-titre du roman, « Une enfant de Silésie », et une « note de l’auteure » de quelques lignes, à la toute dernière page, pour nous rappeler ce que fut, en 1945, l’exode de ces centaines de milliers d’Allemands de Pologne, reflués vers l’ouest au moment de la défaite, Günter Grass en a si bien parlé. Hors de cela, c’est juste l’histoire de Sibylle, une enfant de cet exil, l’histoire de sa famille, celle de ce père, qui ne revient de captivité qu’à la fin du récit, et pas nécessairement pour longtemps.

     

    « Sibylle » est un récit troublant. Je ne sais rien de l’auteur, Bettina Stepczynski, sinon qu’elle est née en 1974, a étudié les lettres, est mère de trois enfants et vit à Carouge, comme l’indique la deuxième de couverture. Non, je ne sais rien d’elle, si ce n’est que nous avons affaire à un écrivain, ce qui n’est pas exactement le cas de toute personne commettant un ouvrage, même dans l’ordre de la fiction.

     

    « Sibylle » est un récit d’exil, il commence dans le fracas des trains dans lesquels on s’entasse et qu’il ne faut pas rater, et s’achève dans l’apaisement d’une vie qui s’éteint. Sibylle jeune fille en caractères droits, en alternance avec Sibylle gravement malade, dans l’attente du terme, dans un corps plus penché, pas vraiment italique, mais reconnaissable. Oui, juste un corps plus penché.

     

    Il se trouve, comme je l’ai noté une fois ici, que j’ai vécu, dans ma jeunesse, chez un Allemand de Silésie, il y a si longtemps. Rescapé du front de l’Est, il avait franchi l’Elbe in extremis pour ne pas tomber aux mains des Rouges, et, tout près du fleuve, juste « du bon côté », en Basse-Saxe, avait construit de ses mains (auxquelles il manquait trois doigts) la maison de briques rouges où il passait ses soirées à me raconter ses souvenirs. Je l’écoutais passionnément, dans cet allemand difficile qui était le sien, mouillant des gutturales que Badois ou Bavarois conservent dans leur dureté. Il lui arrivait de jurer en polonais. En lisant Sibylle, je n’ai cessé de penser à lui.

     

    Retour au style. Bettina a la phrase courte, et la syntaxe pourtant liée, où la succession d’indépendantes, loin de hacher le récit, lui donne souffle et rythme, dans un présent continu où les phrases s’enchaînent comme naturellement. Dans cette Allemagne du Nord où la famille de Sibylle a trouvé refuge, il y a des scènes de campagne, des étés de foins à ramasser, des hivers sibériens où les cristaux de glace s’agglutinent aux fenêtres, des cachettes pour enfants dans les recoins d’une ferme, la conscience terrible d’être les perdants. Là d’où ils viennent, ils ne seront plus chez eux. Oui, Sibylle est une déracinée. Peut-être pas avec la rude fierté d’un héros de Barrès, ni de Jules Roy. Non, juste une enfant de l’exil, parmi des centaines de milliers d’autres.

     

    L’une de mes meilleures amies, prof de français au Collège, m’a demandé de lui conseiller des récits qui, peut-être, pourraient intéresser, par la qualité de leur écriture, des jeunes gens de 15 à 19 ans. Je lui ai recommandé « Sibylle ». A vous aussi, si par hasard vous passez par là.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Sibylle, une enfant de Silésie. Par Bettina Stepczynski. Editions d'autre part. 2013. 149 pages.