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Notes de lecture - Page 6

  • Jack Lang : des fragments qui déçoivent

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    Notes de lecture - Dimanche 08.05.11 - 09.22h

     

    Bien sûr, ce livre-là n’est pas « Les Chênes qu’on abat », il n’est d’ailleurs pas question qu’il le soit, est c’est tant mieux : François Mitterrand n’est pas de Gaulle, Jack Lang n’est pas Malraux, il est des collines plus inspirées que d’autres, des lieux où souffle l’esprit, des plumes habitées par la grâce, d’autres moins.

     

    Oui, le livre de Jack Lang sur Mitterrand, acheté hier midi, lu dans l’après-midi, me déçoit. En apercevant la couverture, on se dit que la conjonction de l’auteur (l’un des deux plus grands ministres français de la Culture) et de l’objet du récit doit nécessairement engendrer des étincelles. Eh bien non. Le miracle ne se produit pas. Question d’étiquette. La bouteille arbore un grand cru, la dégustation révèle un nectar honnête. Sans plus.

     

    Jack Lang fut un très grand ministre. Après la désolation culturelle des années giscardiennes, il a réveillé la vieille ambition d’Etat d’encourager les arts, a conduit de grands projets, n’avait pas son pareil pour organiser d’immenses manifestations populaires, des sortes de Fêtes de la Fédération. Son nom, dans l’Histoire, demeurera. Il fut aussi un mitterrandolâtre, le grand propagandiste coloré du régime à la rose, un metteur en scène à l’échelle de la nation. C’est le revers de la Fête révolutionnaire : le culte de l’Être suprême.

     

    Pourquoi le livre déçoit ? Parce que ces « Fragments de vie partagée » nous apprennent, au final, peu de choses nouvelles. Dans une biographie arpentée, sillonnée au plus près. Pentecôte à Solutré, parfum des pins landais de Latche, discours de Nevers sur les chiens, itinéraire initiatique dans le labyrinthe du Panthéon, tout cela, tant de fois, nous fut déjà raconté : même le lecteur le moins averti le connaît par cœur. D’un homme comme Lang, proche parmi les proches, on aurait attendu l’irruption d’une intimité plus profonde, non pour dévoiler, mais pour approcher, d’un peu plus près encore, comme face à l’énigme d’une relique, le mystère de François Mitterrand. Dans le livre, ça n’est guère le cas, et c’est dommage.

     

    Jack Lang a-t-il trop attendu ? Ou plutôt, son héros ne lui aurait-t-il, au fond, beaucoup moins livré qu’on ne l’imaginerait ? Oui, le Mitterrand de ces « Fragments » se dérobe plus qu’il ne se révèle, garde pour soi plus qu’il ne donne, reléguant le narrateur, tout prestigieux qu’il soit, au rang de spectateur d’une énigme. Vous me direz que c’est déjà beaucoup. Face au sphinx, faut-il s’attarder, ou passer son chemin ? Bonne lecture, tout de même !

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Il y a juste trente ans, « l’homme du passif »

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    Notes de lecture - Jeudi 05.05.11 - 17.22h

     

    Deux hommes, face à face. Deux fauves. Deux calibres. C’était il y a, jour pour jour, trente ans. C’était Giscard face à Mitterrand, épisode 2. Leur première rencontre, sept ans auparavant, avait été gagnée par le Giscard du « Monopole du cœur ». La revanche, ce mardi 5 mai 1981, sera clairement remportée par Mitterrand. Je viens, ce matin, de visionner l’intégralité de ce duel sur le site de l’INA. Je ne l’avais plus revu depuis trente ans. C’était hier. Ma jeunesse. Printemps d’exception. Dont j’ai souvent parlé, sur ce blog. Et que je revis intérieurement, au fil de mes lectures, au fur et à mesure qu’approche l’anniversaire du 10 mai.

     

    L’occasion, comme promis, de vous dire quelques mots du livre de Moati. C’est un ouvrage attachant. Celui d’un homme qui a vécu de très près la montée en force de François Mitterrand entre 1965 (première candidature contre de Gaulle, en décembre), 1971 (la prise de pouvoir sur le parti, au congrès d’Epinay, magnifiquement raconté au chapitre 10), et la victoire du 10 mai 1981.

     

    Le débat du 5 mai, Moati le connaît d’autant mieux que c’est lui, avec quelques autres, qui en a fixé les règles. Incroyablement coercitives, d’ailleurs, des histoires de plans ce coupe, de régies, de réalisation, que Giscard, président sortant et réputé bien meilleure bête de télé que son challenger, a fini par accepter. Beaux chapitres, les 26 et suivants, qui racontent, par le menu, ce second (il n’y en aura plus d’autre) duel entre les deux hommes. Où Mitterrand a-t-il gagné, à quel moment ? Il est convenu de retenir l’estocade « Vous êtes devenu l’homme du passif », allusion à « l’homme du passé » lancé par Giscard, de dix ans le cadet, en 1974.

     

    Magnifique jeu de syllabe, c’est vrai. Mais la victoire de Mitterrand, je m’en suis rendu compte ce matin, est beaucoup plus ample, elle est continue, se confirme, devant Michèle Cotta et Jean Boissonnat (les meneurs), sur l’ensemble du débat. François Mitterrand, qui a une revanche à prendre, domine. Il surmonte son complexe d’infériorité télévisuel face à Giscard, déjoue tous les pièges, se révèle de plus en plus présidentiel alors que s’écoule le débat, gagne aux points. Nettement. Cinq jours plus tard, il l'emportera devant le peuple de France. Entrera dans l’Histoire.

     

    Tout cela, et tout son parcours aux côtés de l’homme d’Etat, Moati le raconte. Avec des moments de lumière et d’abandon, d’entourage et de solitude (comme lorsque, patron de chaîne, il devra aller rechercher Guy Lux, jeté à l’écart). Il parle aussi de lui, sa jeunesse tunisienne, ses parents trop tôt disparus, et ce livre, écrit avec un bel humour, mérite le détour. En tout cas pour tous ceux qui, comme votre serviteur, demeurent comme envoutés par la magie de cette époque. Nostalgie, non du socialisme, encore qu’il ait apporté d’indispensables réformes. Mais de cet homme d’exception, ce magicien, ce voyou génial de la politique et du verbe. François Mitterrand.

     

    Pascal Décaillet

     

    "30 ans après", par Serge Moati, Seuil, mars 2011, 330 pages.

  • Mai-juin 40, vus par Julien Gracq

     

    ManucritsGuerre_gracq.jpgNotes de lecture - Dimanche 01.05.11 - 10.14h

     

    Quelque part au milieu des sept merveilles du monde, il y a la prose de Julien Gracq. Du Rivage des Syrtes à Lettrines, en passant évidemment par l’éblouissant Balcon en forêt, ceux qui aiment cet auteur se disaient qu’ils devaient être face à une œuvre achevée. C’était sans compter deux petits cahiers légués par Gracq à la Bibliothèque Nationale de France. Le récit des journées sombres de mai-juin 1940, l’effondrement de la France en six semaines, par un lieutenant de presque trente ans, Louis Poirier, affecté au 137e régiment d’infanterie de la « première armée du monde », l’armée française. Qui s’écroulera, s’évanouira, se pulvérisera en moins d’un moins et demi.

     

    Poirier, c’est Gracq. À en croire Bernhild Boie, dans l’avant-propos, ces souvenirs de guerre, jetés là, au jour le jour, sur un cahier d’écolier intitulé « Le Conquérant » ( !) n’étaient pas destinés à sortir d’un tiroir privé. Le texte commence le 10 mai 40, jour de l’attaque allemande à l’ouest, et se termine le 2 juin, lorsque le lieutenant Poirier, encerclé près de Dunkerque (dont il devait tenir la tête de pont) crie à la Wehrmacht : « Ne tirez pas. Nous nous rendons ». C’est tout.

     

    Entre ces deux dates, c’est, au fond, toute « L’Etrange Défaite », le chef-d’œuvre de Marc Bloch, que nous raconte le lieutenant. Promenée en Belgique, puis en Hollande, pour finalement confluer avec des dizaines de milliers d’hommes vers Dunkerque en déroute (tenir, à tout prix, pendant que des camarades plus chanceux embarquent vers l’Angleterre), la section Poirier se trouve constamment comme en marge, en lisière de la « vraie guerre », sans jamais la mener. Le lieutenant Poirier n’est ni héros, ni lâche : là où d’autres détalent sous le feu ennemi, il refuse le repli sans avoir reçu un ordre écrit.

     

    Il nous décrit des hommes indifférents au destin de cette guerre, un commandement empêtré dans des ordres contradictoires, une absence totale d’esprit de corps, chacun ne pensant qu’à soi, à commencer par le lieutenant. Le narrateur de ces cahiers de guerre, sensible à la météo (nous sommes au printemps, il trouve sublimes certaines régions de Hollande), nous décrit le paysage de campagne avec l’amoureuse précision de l’une des grandes passions de sa jeunesse, la géographie. Et puis, l’Allemand fascine. Parce qu’il sait, lui, où il va, il a des objectifs de guerre, se donne les moyens de les atteindre. Dans ce récit, l’armée française est toujours terrée quelque part, à attendre, la Wehrmacht toujours en mouvement. Gracq et ses hommes, littéralement, la regardent passer ! Comme s’ils étaient spectateurs de cette guerre, non acteurs.

     

    Reste la grande question : qui écrit ? Louis Poirier, Julien Gracq ? En 1940, l’ancien élève, brillantissime, du Lycée Georges-Clemenceau de Nantes est déjà entré en écriture, notamment avec Au château d’Argol, remarqué par Breton. Il faut voir, dans ces souvenirs de guerre, comme le style évolue selon que le narrateur nous décrit l’attente, ou la furie des derniers jours, lorsque la section se trouve encerclée près d’un canal, dans la région de Dunkerque, et sent l’étau allemand, par une apocalypse d’artillerie, se refermer sur elle. Saisissantes, ces pages : on y retrouve le style du Balcon en forêt, la proximité de la guerre, le chemin de lisière, qui finit par devenir présence.

     

    Sobriété du style. Phases sans verbe. À la manière d’une chronique du temps qui passe, ou d’une sorte de journal de garde, disons tenu par un factionnaire très légèrement surdoué. Ce livre est là (je viens de le lire quelque part dans le Vaucluse), on y voit la guerre et on ne la voit pas, on y entrevoit l’Allemand comme une silhouette nocturne, fugace, pressée. Le temps de la Wehrmacht est un autre temps que celui de la section Poirier. Son monde, un autre monde. L’un est celui de l’aube, l’autre se sait crépusculaire.

     

    Ce livre est là, sous vos yeux. Il ne vous tombe pas des mains. A lire, d’urgence.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Julien Gracq, Manuscrits de guerre, Editions José Corti, avril 2011, 246 pages.