Notes de lecture - Samedi 12.03.11 - 19.24h
Robert Boulin a-t-il été assassiné ? Si oui, pourquoi, et par qui ? Depuis plus de trente ans, la question est ouverte, les thèses s’entrechoquent. Un livre, après plusieurs autres, relance l’affaire. Écrit par la fille du défunt, Fabienne Boulin Burgeat. J’ai commencé à le lire hier soir, ne l’ai guère lâché des mains. C’est un livre qui se lit d’un coup. Il est quasiment impossible de s’y arracher.
Le 30 octobre 1979, le présentateur du Midi d’Antenne 2, Patrick Lecocq, lance une édition spéciale en nous annonçant la mort de Robert Boulin, 59 ans, ministre en exercice, du Travail, dans le gouvernement de Raymond Barre, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Un très grand commis de l’Etat, député et maire de Libourne (Gironde) depuis 1959, ministre presque sans interruption de 1961 à sa mort, il avait d’ailleurs battu le record de longévité de Colbert.
Comme hypothèse prépondérante, Lecocq – et toute la presse française avec lui – avance, à chaud, la thèse du suicide : Boulin devait se défendre dans une affaire dite des « terrains de Ramatuelle », il aurait mis fin à ses jours pour question d’honneur et de calomnie. C’était la version officielle, je me souviens l’avoir prise, à l’époque, pour argent comptant, comme des millions de gens. Cette édition spéciale du Midi d’Antenne 2, vous pouvez la visionner, sur les archives de l’INA.
Et d’ailleurs, Fabienne Boulin Burgeat, la fille du ministre, et son frère veulent y croire, les premiers temps, à cette thèse, contrairement à leur mère, intimement persuadée, dès le début, que son mari a été assassiné. Ça n’est que plus tard que le frère et la sœur, face à l’éloquence d’indices accumulés, se convertiront et, dès lors, mettront toute leur énergie à faire valoir la piste de l’assassinat. C’est cela que raconte le livre, 316 pages, avec une incroyable puissance de détails sur les expertises, les contre-expertises, les autopsies, les exhumations, les incohérences de la version officielle, manifestement agréée (s ce n’est dictée) en très haut lieu.
Robert Boulin a-t-il été assassiné ? À lire le récit de sa fille, tout porte à le croire. Innombrables sont les entraves « qu’on » a jetées, en trente ans, sur le chemin de la vérité. Preuves qui disparaissent, menaces si on s’intéresse de trop près à l’affaire, pressions de toutes sortes. Si oui, par qui ? À partir de là, tout est possible. En aurait-il trop su sur le financement des partis politiques, par exemple du sien, le RPR ? Détenait-il des informations, des bombes sur les réseaux d’Elf, ou ceux de Jacques Foccart, le redoutable « Monsieur Afrique » du gaullisme ?
Autre piste, la politique pure. Boulin était très apprécié de Giscard (qui venait, quelques semaines plus tôt, de lui rendre un vibrant hommage en sa ville de Libourne), il était pressenti pour succéder à Barre comme Premier ministre. C’est l’époque de la guerre fratricide au sein de la droite française, menée avec une incroyable fureur par Chirac contre Giscard, dont il avait été Premier ministre de 1974 à 1976. Pour Chirac, à l’époque chef du RPR, il ne faut surtout pas qu’un RPR s’installe à Matignon : ce serait mortifère pour sa stratégie présidentielle de 1981.
Certes. Mais la mort d’un homme… L’hypothèse Chirac, un peu comme Sherlock Holmes dans la première partie du « Chien des Baskerville », n’apparaît qu’une fois, dans la bouche du Garde des Sceaux de l’époque, Alain Peyrefitte : « Le grand est prêt à tout ». Juste une ellipse, page 120.
En juin 2010, le procureur général de la Cour d’appel de Paris refusait de rouvrir l’enquête. Mais Fabienne Boulin Burgeat, admirable de ténacité, n’en démord pas. Quelle que soit la vérité, l’acharnement de cette femme à défendre la mémoire de son père force l’admiration. Reste, quelque part dans un étang de la forêt de Rambouillet, dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979, le corps étrangement tuméfié du ministre du Travail en exercice de la République française. Un homme de dialogue et de partenariat social, un gaulliste social, proche de Chaban, favorable à la participation. Et qui n’était plus, ce soir.là, affalé dans son étang, que le titre de ce merveilleux poème de Rimbaud : « Le Dormeur du Val ».
Pascal Décaillet