Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Notes de lecture - Page 10

  • Le Valais de Despot est aussi le mien

    c070valaisE_v2.jpg

     

     

    Notes de lecture - Dimanche 08.11.09

     

    Du plus loin qu’il m’en souvienne, du plus profond de ces mille randonnées et de tant de cabanes, avec mon père, le Valais des chapelles et des sentiers, des torrents et des bisses, des lacs de montagne, ce Valais d’hier et celui de demain, habite mon âme.

    Elle était très enviable, cette enfance, j’en conviens, qui en juillet nous menait sur les routes d’Italie, de Grèce ou du Proche-Orient ; en en août, sur les chemins escarpés de Bagnes et d’Entremont. L’été la marche, l’hiver le ski, à haute dose, ces hivers de gerçures, de jambes cassées, de vitesses déraisonnables: j’ai aimé ça, passionnément.

    Vous comprendrez, dans ces conditions, la divine surprise que vient de constituer, pour moi, la lecture du « Valais mystique », de Slobodan Despot, publié dans sa propre maison d’édition, Xenia. Du « Mur d’Hannibal », à Liddes, au Christ-Roi de Lens, en passant par le Vallon de Van et la « sentinelle de béton » (l’admirable église d’Hérémence), Despot nous prend par la main, nous promène dans cette terre de chaleur et de lumière, celle de l’eau vive et des lumignons, au pied des madones.

    Il faudrait sillonner les chemins de Despot avec, toujours, sur soi, un livre de Chappaz. Ou peut-être de Strabon, le géographe. Ou, à coup sûr, de Cingria, chroniqueur de l’itinérance. A travers les lieux, à travers le temps et les œuvres, dans les marges des manuscrits, les variantes des partitions musicales. Ou alors, sans rien. Juste dans la solitude de la vie qui va. Car ces chemins de croix sont chemins de traverse. Et si la naïveté de cette piété, en fait, n’était que l’éclair perdu de la lucidité ?

    A lire, à dévorer des yeux. A parcourir, surtout. De préférence l’été. Merci, Slobodan.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • La « Lettre à tous les Français » de Charles Beer

     

    23 pages, un corps de caractère suffisamment gros pour ne pas faire fuir le putatif électeur du troisième âge, ni le faux aveugle. Quelques intertitres clairs, aussi. Voici, épicé par une forte dose d’épicène, version tous ménages, le credo de Charles Beer en quête de réélection. Il a bien voulu, hier soir, m’en offrir un exemplaire, je l’ai lu avec intérêt.

    « Lettre à tous les Français », c’était François Mitterrand, 1988, d’un septennat l’autre, la campagne où il n’en finit plus de jouir du patient assassinat de son propre Premier ministre, Jacques Chirac. « Vous avez parfaitement raison, Monsieur le Premier ministre », lui lance-il dans un débat de légende. « J’ai choisi de vous écrire », c’est le texte de Charles Beer, judoka ailé, politique avisé, l’homme accompli, à cela près que, contrairement à Mitterrand, il est lui, un authentique socialiste. Nul n’est parfait.

    D’abord, hommage. Très bien d’avoir choisi l’écriture, ces quinze ou vingt minutes d’attention que le candidat à réélection réclame de son (é) lecteur. Le texte est clair, le public visé est le plus large possible, les parts du chemin personnel (référence à des grands-parents artistes, page 19, histoire de préparer les esprits à son futur grand Département Formation et Culture) et du projet collectif, bien balancées. Thèse, antithèse, synthèse, on gomme un peu le moi pour laisser poindre l’être syndical, altruiste, coopératif, parce que la vie est belle, et l’air, dépollué par les cousins Verts, si pur.

    Sans ambition de plume, juste de clarté, le candidat Beer, bon élève socialiste (n’a-t-il pas, lui aussi, hier soir, au risque de perdre des tonnes de voix, rendu hommage à l’œuvre policière de Laurent Moutinot, ce qui apparaît comme la forme ultime, disons esthétisée, du suicide électoral) n’oublie ni Jaurès (Dépêche de Toulouse, page 8), ni Blum (Congrès de 1919, page 13), ni Mitterrand (la Lettre à tous les Français, justement, page 21). Il fait tout juste, Beer. Un peu scolaire (à lui, on le pardonnera), un rien prévisible. Transparent. Mais juste.

    Pour le reste, une condamnation du gain spéculé (page 5) au profit de l’économie réelle qui relève, par les temps qui courent, d’une extraordinaire prise de risque intellectuelle, 97,69% des gens la partageant. Un éloge (page 9) des Réseaux d’enseignement prioritaires qui passionnera les foules, un rappel (page 13) de la nécessité de « la notion de genre dans la formation initiale des enseignantes et enseignants », qui sonne un peu comme une apologie de la parthénogénèse, devant une rangée, attentive, d’escargots.

    Mais qu’importent ces broutilles, et je me hais moi-même, dans toute la noire imperfection de mon être, de les relever. L’homme a osé. Il a écrit. Le Goncourt ? Peut-être pas. Mais une intention louable. Un marchepied vers la réélection. En attendant d’autres cieux, juste dans la verticalité de l’être. Sous le soleil, exactement.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le pays des ocres

    Lacouture - Raymond Jean.gif

     

     

    Tribune de Genève - Lundi 29.06.09

     

    Pour moi, les vacances, c’est lire, lire et lire encore. Comme je suis loin d’être seul dans ce cas, je vous recommande un petit bijou, le dialogue de deux éclatants octogénaires, le biographe de génie Jean Lacouture (1921) et l’essayiste Raymond Jean (1925), auteur, entre beaucoup d’autres, de « La lectrice », d’un « Nerval » et d’un « Eluard ».

    Ces deux hommes se sont connus au Maroc en 1958, et, régulièrement, se croisent l’été dans le Vaucluse, département de fierté républicaine, de vignes vierges, d’olives et de premières figues, le « pays des ocres », comme ils l’appellent, le Luberon. Non loin, la Durance, le gris moiré des alluvions où l’Alpe se charrie jusqu’à la mer.

    De quoi parlent-ils ? De tout ! Voltaire, Rousseau, la communauté juive de Salonique, Combat, le Monde, Clavel, Jacques Rivière, Gide, Ben Barka. Et si c’était eux, la Durance, avec le charivari des sables et des graviers, les troncs, les branches d’une vie d’homme, juste dans le siècle ?

    Rien, dans ce dialogue de 120 pages, qui suinterait le didactique. Juste la vie, qui s’écoule et nous rafraîchit l’âme. Sublime vieillard que Lacouture, vin de vie boisé, de la plus parfaite tradition bordelaise. Et Raymond Jean, à niveau, pour des répliques à faire frissonner les ambitions de la Mort. A lire, vite.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Raymond Jean, Jean Lacouture : « Dialogue ininterrompu, Maroc 1958 - Luberon 2008. Entretiens au pays des ocres ». L’Aube, mai 2009.