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Notes de lecture - Page 8

  • Un livre d’été, éblouissant

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    Notes de lecture - Dimanche 27.06.10 - 15.48h

     

    C’est l’histoire d’une femme qui ne dit jamais « je », nous raconte pourtant sa vie, qui est à la fois la sienne et celle des autres, la nôtre. Sans une amie qui me l’a offert, je n’aurais sans doute jamais lu « Les années » d’Annie Ernaux. Sans le miracle d’une Pentecôte-éclair dans le Lubéron, il y a quelques semaines, je n’aurais pas eu l’intense bonheur de m’y plonger.

     

    C’est l’histoire d’une femme née au début des années quarante, on l’appellera simplement « elle ». C’est le livre « d’elle », avec son apparence impersonnelle, et c’est notre livre à tous, pour peu que nous ayons frayé avec cette époque et que l’univers de références très français de la narratrice ne nous rebute pas.

     

    Dans ce livre-là, nul chapitre, juste le fil du temps qui passe. Chronologique. Et, comme repères, un album de photos, sur lesquelles, de l’enfance à la retraite, apparaît « elle ». Juste pas l’Occupation, ou à peine, mais la France de l’immédiate après-guerre, miséreuse, celle d’avant les glorieuses. La Quatrième République, les guerres coloniales, Indochine puis Algérie, notre jeune fille qui grandit, brille aux études, s’arrache à sa famille paysanne de Normandie, monte à Paris. Et c’est la vie qui va, les souvenirs qui remontent, l’aventure collective d’une génération, jamais de « je », toujours « elle ».

     

    Mais l’impersonnel n’est qu’apparent. Elle vit, elle aime, elle souffre, cette jeune femme, se marie puis divorcera, elle enfante et travaille, écrit. L’histoire qu’elle nous raconte ne se cantonne de loin pas à la politique. La consommation, les grands magasins, les pubs, la vie de femme, la pilule dans les années soixante, l’avortement avec Simone Veil, les rapports au sein de la famille. C’est un album de photos et c’est un film, c’est une fresque de mille détails, c’est le « Je me souviens » de Perec autrement raconté, c’est sa vie et c’est la nôtre, ses souvenirs à elle et les nôtres, qui s’entrechoquent.

     

    C’est une écriture, surtout, d’une rare limpidité. Le fil du temps qui court sous la plume, le destin des foules allant se fondre dans celui d’une seule personne, « elle ».

     

    « Le plus défendu, ce qu’on n’avait jamais cru possible, la pilule contraceptive, était autorisé par une loi. On n’osait pas la réclamer au médecin, qui ne la proposait pas, surtout quand on n’était pas mariée. C’était une démarche impudique. On sentait bien qu’avec la pilule la vie serait bouleversée, tellement libre de son corps que c’en était effrayant. Aussi libre qu’un homme ». (Page 95 de l’édition Gallimard folio, 2008)

     

    Le héros, qui est-ce ? Est-ce « elle » ? Est-ce nous ? Et si c’étaient, simplement, les années ? Ce temps commun qui nous enveloppe, ensemble, et fait de nous, avec toutes nos différences, les enfants d’un même destin collectif. Ces années qui nous prennent comme individus et nous transforment, doucement mais irrévocablement, en contemporains.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Trois hommes, le pouvoir, la vie

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    Notes de lecture - Samedi 08.05.10 - 19.05h


    Voilà un bouquin qui dormait depuis deux ans dans l’une des nombreuses piles qui jouxtent ma table de chevet, j’avais négligé de l’ouvrir, c’est désormais chose faite.

     

    C’est l’histoire de trois hommes, le premier est Président de la République, le deuxième Premier ministre, l’autre ministre de l’Intérieur. Les deux derniers se détestent. Le premier dissimule ses sentiments. On s’épie, on se cherche, on se renifle, on se vouvoie, on s’observe en embuscade, à l’affût de la moindre erreur. L’action se déroule entre 2005 et 2007. Les trois hommes s’appellent Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Nicolas Sarkozy.

     

    L’auteur, aujourd’hui ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche dans le cabinet Fillon, s’appelle Bruno Le Maire. Au moment des faits, il est conseiller puis directeur de cabinet du Premier ministre, Dominique de Villepin. Autant dire les premières loges. À l’épreuve de la lecture, voilà en tout cas un homme politique français sachant écrire. Très jeune, avant l’ENA, il rédigeait déjà un mémoire de littérature française sur la Statuaire dans la Recherche de Proust ! Aujourd’hui, il n’a que quarante ans.

     

    Les faits sont connus : ces fameuses deux dernières années du règne de Chirac où Sarkozy monte, n’en peut plus de monter, dans la folle aimantation de sa course vers l’Elysée, et où le locataire de Matignon n’en peut plus d’observer, dans l’impuissance d’un fusible de luxe, l’irrésistible. Au reste, tout le monde le sait, le dit, nul ne s’en cache : on est face à l’inéluctable, c’est ainsi, il suffit juste de purger ces deux ans. Putain, deux ans !

     

    Chirac, Villepin, Sarkozy. Et, quelque part dans le triangle, l’affaire Clearstream. Le Premier ministre affaibli. Le soupçon, La rumeur. La haine, entre Beauvau et Matignon, qui va et se promène. Et notre Bruno Le Maire, si bien placé pour compter les coups, mais aussi les fausses douceurs, les promesses de pacotilles. Et il raconte bien, notre futur successeur de Sully à l’Agriculture, tenant son journal, prêtant l’oreille, se faisant discret pour mieux rapporter. Et le résultat, tout simplement, se délecte. La lecture, sur un balcon de mai où les normes saisonnières de température ne sont hélas pas au rendez-vous, ça réchauffe et ça égaie.

     

    À tous, de ce livre-là ou d’un autre, excellente lecture !

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Saint Jean et l’éblouissante noirceur des maudits

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    Notes de lecture - Samedi 01.05.10 - 15.40h

     

    Le livre que je viens de terminer commence par une soirée chez Cocteau en 1927 et s’achève par une causerie avec Malraux en 1971. Peu d’entre nous connaissent aujourd’hui le nom de son auteur, qui fut pourtant l’un des journalistes les plus remarqués de la fin de la Troisième, de la Quatrième, puis de la Cinquième République : Robert de Saint Jean (1901-1987) nous entraîne, dans son « Journal d’un journaliste », dans un caléidoscope de célébrités, au premier plan desquelles son ami de toujours, son « amour platonique » pendant 60 ans, Julien Green.

     

    Ce que furent l’activité journalistique de Robert de Saint Jean, ses champs d’enquête, le livre ne nous en révèle rien. Nous savons que l’auteur travailla, notamment, pour Paris-Soir, le Parisien libéré ou Paris-Match, en passant par l’hebdomadaire gaulliste Carrefour. Son labeur quotidien, dans son journal, il n’en parle pas. Ce qu’il met en avant, ce sont des noms, avant tout des écrivains, des personnalités, des « dîners » (incroyable, ce qu’on pouvait « dîner » dans ces années-là !), des rencontres.

     

    Et c’est l’Histoire de France qui défile, de Gaulle ou Pétain, Gide ou Céline, Briand, Claudel, Mauriac. L’Histoire de France, et celle de l’Europe : à plusieurs reprises, Robert de Saint Jean rencontre Mussolini, notamment en mai 1935, alors que le Duce est au sommet de sa gloire, sans doute en ce milieu des années 30 (juste avant l’expédition d’Abyssinie) l’homme politique le plus admiré en Europe. Bref, il fréquente les grands, notre homme, y prend manifestement plaisir, a bien dû se prendre, à certains moments, pour Joinville ou pour Plutarque, avec le vent de l’Histoire (celle de ces années-là) toujours prêt à vous faire tourner la tête.

     

    Et ma foi, il raconte plutôt bien. Ainsi, cette rencontre aux Invalides, le 22 octobre 1935, avec le maréchal Pétain : « Dans l’antichambre, les portraits de Condé et de Vauban dominent des rangs de chapeaux mous et des melons. Pétain : la majesté du sénat romain, avec la froideur britannique. Droit, sans embonpoint, avec un étonnant regard d’acier. La veine temporale à peine marquée. Des rancœurs, toujours plus âpres chez les vieillards, à cause du temps qui leur est mesuré ». On n’est pas très loin de certaines descriptions de l’Imperator par de Gaulle, dix-neuf ans plus tard, dans le premier tome des « Mémoires de Guerre ». Deux ans plus tôt (21 mai 1933), c’est un autre maréchal, Lyautey, que rencontre notre journaliste, chez Maurois. Un an avant la mort du « pacificateur » du Maroc.

     

    A lire. Par qui ? Par tous ! Tous ceux qui aiment se laisser porter par l’Histoire de France, ses grands esprits, ses écrivains, ses hommes d’armes, ses figures de gloire et de défaite, l’éblouissante noirceur de ses maudits. Oui, vous avez bien lui, quelques lignes plus haut : Condé et Vauban dans l’antichambre du Maréchal, aux Invalides. L’époustouflant vainqueur de Rocroi, premier prince du sang, qui combattra le Roi son cousin, et que Louis XIV finira pourtant par absoudre. Et puis, le défenseur, le fortificateur. La Ligne Maginot, trois siècles avant. A cette petite différence près : l’œuvre de Vauban, elle, tiendra. A laquelle de ces deux puissantes références le vainqueur de Verdun allait-il le plus puiser ses désirs ?

     

    A tous, excellente lecture !

     

    Pascal Décaillet