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Commentaires GHI - Page 198

  • A quoi sert le Département présidentiel ?

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 14.10.15

     

    Couper des rubans. Prendre de grands airs. Survoler. Ne point intervenir dans les affaires courantes, ou du moins le prétendre. N’être point lié aux contingences concrètes, ou en tout cas le feindre. Glisser entre les dossiers dérangeants. Se faufiler. Savoir se montrer, juste au bon moment, entre deux éternités diaphanes. Prendre la parole, entre deux majestés du silence. Telles sont, grossièrement résumées, les tâches d’un personnage nouveau, fruit de l’imagination fertile des Constituants : le président, pour cinq ans, du Conseil d’Etat genevois. Fonction inédite, à laquelle le premier titulaire, pour la législature 2013-2018, François Longchamp, a su ajouter un rare parfum d’immatériel. Appelons cela, toute grammaire diluée, l’irréel du présent.

     

    Car enfin, à quoi rime ce poste ? Nos braves Constituants n’ont pas su, ou pas voulu, trancher. Ils n’ont pas voulu d’un « gouverneur », modèle Guy-Olivier Segond, ni d’un Premier ministre, au-dessus des six collègues, mais dont la responsabilité personnelle serait engagée dans toute affaire liée au collège, dans son ensemble. Il n’ont pas, non plus, voulu du modèle vaudois, fort bon, où le président conserve un Département : les Finances pour M. Broulis, puis la Santé pour M. Maillard. Ils nous ont griffonné, sur quelque trame théorique, une fonction aussi illisible que déracinée. Coupée du réel. De l’administration. De tout lien avec les nécessités concrètes de la population. Un quotidien céleste. Dans la fraternité des nuages. Dans un triangle d’azur où rien ne bouge. La vie, comme le bleu sacré d’une icône.

     

    Esthétiquement, c’est intéressant. On nous y peint une forme de théocratie dans la douceur, sans la rudesse biblique, sans élus ni damnés, sans le serpent de l’Apocalypse, le Grand Dragon du Mal. Non, juste la hiérarchie des anges. Avec, tout en haut, une âme d’administrateur, hélas privée d’administrés. Alors, commence à se distiller le péril de l’ennui. Régner, oui régner, mais où sont les sujets ? Briller, dans un Palais des Glaces, Versailles, Soleil, Lumière, mais, hormis l’omniprésence du courtisan, où est passé le peuple ? Nos braves Constituants auraient voulu nous esquisser une fonction de Grand Prêtre, ou d’intangible Vestale, ils ne s’y seraient pas pris autrement.

     

    Pourtant, l’Homme parle. Il ne lui déplaît pas, par exemple, de faire la morale au peuple, lorsqu’il estime que ce dernier a mal voté. Par exemple, le 9 février 2014. La Parole, il ne lui déplaît pas de nous la délivrer pour la sainte litanie des bilatérales, l’ouverture des frontières comme dogme. Là, oui, il sort de sa réserve. Indique le droit chemin. D’aucuns l’écoutent avec l’extase de l’ouaille face au pasteur. La Sainte Raison, celle qui monte à l’Autel, allez disons pour une heure, le temps de l’acte. Le reste du temps, la vie du peuple reprend ses droits, avec son cortège de bouchons dans les rues, ces jobs impossibles à trouver, ces taxes qui nous submergent, oui toutes ces contingences de la vie matérielle, loin de l’Encens du pouvoir. Grisée, pour quelques jours. Allez, rien de grave. C’est juste pour cinq ans. Plus qu’une moitié, et c’est fini. Ou peut-être que ça continue. La vie des saints, qui la prévoit ?

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • La peur de déplaire

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 30.09.15

     

    La liberté d’expression n’existe pas. Elle n’a jamais existé, nulle part, sous aucun régime. Bien sûr, il est certains cieux sous lesquels sa non-existence est carrément flagrante : les dictatures, par exemple. En démocratie, c’est différent, on peut donner son opinion. Mais n’allez pas imaginer que cette latitude soit totale. Limitée, elle l’est déjà par la loi : on n’insulte pas les gens, on n’attaque par leur honneur, on respecte le cadre légal en matière de racisme, d’antisémitisme, etc. Jusque-là, rien à dire.

     

    Mais le problème n’est pas là. Il tient à ce qu’on n’ose plus dire, à l’intérieur des limites énoncées ci-dessus. Ne parlons pas ici de pays lointains, ce serait bien trop facile : évoquons Genève, la Suisse, le cadre de notre vie à nous, ici et maintenant. Oh certes, nul d’entre nous ne risque la Bastille. Ni prison, ni amende. C’est appréciable. Mais cela n’empêche pas, chez ceux qui prennent la plume, la pression d’une autocensure. Non par peur de représailles légales. Mais par la crainte de « sortir du cadre ». Quel cadre ? Celui des partis dominants. Celui des pairs. Celui du convenable. Bref, le pouvoir en place, dans toute son horizontalité diaphane.

     

    Un exemple. La Nouvelle Force. Le bloc MCG-UDC constitue à peu près un tiers de l’électorat genevois. On s’en réjouit, on s’en plaint, c’est selon. Mais c’est un fait. Si la presse de notre canton était peu ou prou représentative du corps électoral, alors, il faudrait qu’un éditorialiste sur trois défende, dans les grandes lignes, les thèses de ces partis-là. Par exemple, sur l’idée de frontière. Ou encore, sur la nécessité d’une régulation des flux migratoires, thème d’actualité vous en conviendrez. Ce journaliste sur trois, il est où ? Vous le lisez souvent ? Il n’y en a pas un sur dix !

     

    Chacun d’entre nous est pourtant parfaitement libre de défendre ces idées-là. Au pire, on se fera attaquer par le camp d’en face. Et alors ? C’est la vie. J’ai parlé des frontières, j’aurais pu évoquer le 9 février 2014. J’aurais pu parler du Pape François, celui qui veut plaire à tous, et contre lequel toute critique ferait passer celui qui l’émet pour un réactionnaire. Ou de Didier Burkhalter, sanctifié par les siens tant il est correct, de bonne tenue, jamais un mot plus haut que l’autre : vous critiquez Burkhalter, en Suisse, vous êtes mort.

     

    J’aurais pu parler de la démocratie dite « représentative » : dès que vous émettez une critique sur le travail d’une députation, on vous taxe d’antiparlementaire. Ou de populiste. Ou de péroniste. Ou de boulangiste. On vous adressera les mêmes gentillesses si, à l’inverse, vous dites trop de bien de la démocratie directe. On s’empressera aussitôt de vous rappeler qu’il ne saurait être question d’une dictature du peuple. Si vous défendez l’idée de souveraineté nationale, on vous traitera de « nationaliste ».

     

    Alors, face à ce maelstrom aussitôt dirigé contre vous par quelques régulateurs du pouvoir en place, notamment sur les réseaux sociaux, la plupart de ceux qui pourraient faire partie de ce 30% de l’opinion, ce Tiers Etat, préfèrent se la coincer. Nul juge, pourtant, ne les menace. Juste une peur par eux-mêmes érigée. La pire de toutes : celle qui paralyse. C’est dommage. La liberté des idées, dans notre pays, vaut mieux que ces silences, ces craintes de déplaire, et finalement ces démissions, dans un combat éditorial qui n’a de sens que dans sa pluralité.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Campagne 2015 : que du bonheur !

     

    Commentaire publié dans GHI - 23.09.15


     
    Il fut un temps où le candidat se devait d’être un individu différent des autres. Il parlait d’une estrade, haranguait la foule. Il y avait une voix, il y avait un rythme, un tonus, un tempérament. Il y avait un message. Pour lui, on organisait un meeting. Il arrivait du fond de la salle, comme le célébrant d’une messe. Il dispensait la parole, maudissait, bénissait, il était lui-même le verbe, on l’écoutait.


     
    Aujourd’hui, plus rien de tout cela. Que fait le candidat ? Il ne songe qu’à se fondre dans la similitude avec l’électeur. Il ne lui dit plus : « Du haut de mon autel, je te parle », mais « Je suis avec toi, comme toi, tu me touches, je te touche, nous posons sur le même selfie, j’ai ta main sur mon épaule, j’ai ta main dans ma main, je suis toi, mais n’oublie pas tout de même de voter pour moi ».


     
    Alors, quoi ? Alors, le « terrain », s’il vous plaît ! Alors, Russin ! Alors, Fête des Vendanges ! Alors, kermesses, tracteurs, rudes et sains travaux des champs, enfin pour la photo. Alors, se montrer. Non face à la foule, mais au milieu d’elle. En tendre empoignade avec elle. Électeur, je suis comme toi. Je suis ton semblable, je bois dans le même verre, je trinque sous les mêmes cieux. Je souris aux mêmes femmes. Aux mêmes hommes. Je caresse les mêmes chiens.


     
    Le message ? Disparu. Volatilisé, dans l’invisible fermentation de cette liturgie commune. Fini, le contenu. Fini, le discours. Aux orties, l’élévation du verbe, celui qui cisèle l’individu, sculpte la différence. Non, tous pareils. Tous au même endroit, au même moment. Tous à la même messe. Que du bonheur.


     
    Pascal Décaillet