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Commentaires GHI - Page 202

  • Ca n'était qu'une primaire de la droite

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     Commentaire publié dans GHI - Mercredi 30.11.16

     

    D’abord, ce scandale, déjà relevé ici la semaine dernière : les grandes chaînes nationales françaises nous ont couvert cette « primaire de la droite et du centre » avec la même liturgie, la même débauche de moyens, les même ridicules « envoyés spéciaux au QG du candidat », pour nous dire qu’il « va arriver d’une seconde à l’autre », que s’il s’était agi du premier ou second tour de la présidentielle. Lesquels n’auront lieu qu’en avril et mai 2017. Tout cela, pour quoi ? Pour l’immense marketing de cette famille politique, profitant ainsi des canaux nationaux pour un processus privé de désignation interne. Juste pour les taux d’audience : le processus de l’élection républicaine, la seule qui vaille, organisée par l’Etat, a été mimé par des privés, à leur profit.

     

    Reste qu’il en émerge un homme de valeur. C’est du moins l’image qui émane de François Fillon, vainqueur de l’exercice. Je dis bien : « l’image ». Car au fond, que s’est-il passé ? Par ses qualités, bien réelles, la rigueur, la simplicité, la sobriété, l’ancien Premier ministre a touché les votants. C’est maintenant clair, on préfère l’austérité d’un notaire de province, surgi de Balzac ou de Mauriac, voire de Chabrol, à l’insupportable cliquetis de nouveau-riche associé à l’image de Nicolas Sarkozy. Dont acte. Mais ça n’est, toujours, qu’une image ! Ça définit un style, très français au fond. Mais ça nous renseigne encore assez peu sur la configuration politique du Monsieur.

     

    Cette dernière est complexe, et, je l’affirme, contradictoire. Nous avons affaire à la fois à un conservateur, sur des questions de société, et à un libéral, voire un ultra, sur le plan économique. Du jamais vu depuis longtemps dans l’Histoire de France : Pompidou n’était pas si conservateur, ni si libéral ; de Gaulle n’était absolument pas libéral ; il faudrait peut-être voir du côté de Tardieu, ou Guizot, mais c’est bien lointain. Surtout, la Vieille France, provinciale et contre-révolutionnaire, qui n’a cessé d’exister en plus de deux siècles, n’est certainement pas celle du libre-échange économique, loin de là. Chez ces gens-là, on est autoritaire, mais social ; traditionnaliste, mais attaché à la cohésion. Singulier pays, passionnant, pétri d’Histoire, riche de ses contradictions : peut-être la personne complexe de François Fillon résume-t-elle quelques-unes des saveurs multiples de la France profonde.

     

    Terminons par un coup de gueule. Contre la presse. Les moutons, toujours recommencés, comme la Mer, chez Paul Valéry. Pendant des semaines, ils ne juraient que par Juppé. Ce dernier s’effondre, et retourne gérer la ville de Montaigne : voilà qu’ils ne jurent plus que par Fillon, nous assurant déjà qu’il sera en mai 2017 à l’Elysée. En vérité, nul n’en sait rien ! Tant de choses, en six mois, peuvent encore se produire : que va-t-il se passer à gauche, que va faire le Front national, quelles secousses telluriques vont, peut-être, ébranler l’électorat français ? En résumé, Fillon émerge. C’est bien. Mais ça n’était qu’une primaire de la droite. Rien d’autre.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Foutez-nous la paix avec les années trente !

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 23.11.16

     

    Vous avez remarqué ? Dans une conversation, dès que quelqu’un se met à défendre le suffrage universel, il y a toujours, quelque part, un petit malin pour dire : « Hitler aussi a été élu par le peuple ». En général, ça jette un froid glacial, et ça met un terme au sujet. Et c’est bien dommage : faut-il, sous prétexte du 30 janvier 1933, renoncer à la souveraineté populaire ? Faut-il, parce qu’il y a eu le nazisme et le fascisme, s’interdire aujourd’hui, 80 ans plus tard, toute remise en question de la démocratie représentative ? Ou toute conception du monde syndical autrement que dans l’allégeance à la lutte des classes ? Faut-il, au motif que l’idée de nation, salvatrice en soi, a été dévoyée au profit du nationalisme, y renoncer ? En bref, faut-il continuer à se laisser impressionner par cette perpétuelle référence aux années trente, brandie, la plupart du temps, par des gens n’ayant qu’une connaissance très approximative de l’Histoire ? A toutes ces questions, la réponse est non.

     

    La phrase « Hitler aussi a été élu par le peuple » est en général prononcée par le perdant d’une votation, par exemple d’une initiative, le dimanche soir du scrutin. C’est une manière de nous dire que le peuple n’a pas toujours raison, ce qui est d’ailleurs exact : il ne s’agit pas, dans notre système suisse, qu’il ait « raison », mais qu’il décide en ultime instance. Nous ne sommes pas dans une géométrie morale, mais dans une définition du souverain. Nous tous, citoyennes et citoyens, qui votons quatre fois par an, sur une multitude de sujets, nous sommes parfois dans le camp des vainqueurs, parfois dans l’autre : sachons perdre. Sans insulter le système, convoquer les ultimes semaines de la République de Weimar, nous prendre pour Thomas Mann (photo), le génial écrivain antinazi, ou Heinrich, son frère, ou Klaus, ou Erika. Ou Brecht. Ou Stefan Zweig. Il y a d’autres choses à faire, dans la rhétorique politique, que cet obsessionnel retour aux années trente.

     

    Il se trouve que je suis un passionné de ces années-là. Les grands écrivains de l’antinazisme, je les ai lus. Je leur ai même consacré un chapitre de ma Série Allemagne, en 144 épisodes. Qu’on les lise, assurément. Qu’on les monte, sur les planches. Qu’on rende hommage à leur lucidité, leur courage. Mais de grâce, qu’on évite l’outrecuidance de se prendre pour eux, sous le seul prétexte qu’on défendrait la démocratie représentative contre le suffrage universel, l’ouverture des frontières contre leur régulation, le cosmopolitisme mondialiste contre l’attachement à la nation. Nous ne sommes plus au début des années trente. Les enjeux n’ont strictement rien à voir. Et il doit être parfaitement possible, dans nos pays, de plaider pour un conservatisme patriote, social, attaché aux valeurs du pays, sans se faire traiter immédiatement de nazi ou de fasciste. Ceux qui nous brandissent ces anathèmes, nous mentent. Ils pervertissent l’Histoire. Ils en dévoient le sens profond. Toute ma vie, je lutterai contre leur discours. Avec des arguments, des références. Sans jamais leur céder le moindre millimètre.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La Révolution conservatrice est en marche

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    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.11.16

     

    Depuis des années, dans ce journal, j’annonce l’avènement d’une Révolution conservatrice. N’y voyez pas, je vous prie, un quelconque retour à un ordre ancestral, un âge d’or, ni la nostalgie d’un paradis perdu. L’Histoire est ce qu’elle est : capricieuse, imprévisible. Elle nous joue des tours. Tantôt, elle nous fait croire à l’existence de l’idée de Progrès. Tantôt, elle nous dynamite nos illusions. Regardez l’Histoire allemande, émancipatrice sous Frédéric II, au dix-huitième siècle, socialement en avance sur tous sous Bismarck, au dix-neuvième, tragiquement régressive sous le Troisième Reich : comment voulez-vous y déceler une autre démarche que celle du crabe, incertaine, titubante ?

     

    La Révolution conservatrice n’est pas le retour à un ordre ancien. Mais assurément, elle remet en question, de façon drastique, ce que les quarante dernières années, disons depuis Mai 68, ont créé comme illusions de progrès définitif. Sur le plan économique, elle prend le contre-pied de l’immonde vision ultra-libérale des années 1990, qui Dieu merci s’est déjà bien calmée, mais enfin, pour qu’elle mourût, il lui fallait un coup de grâce. Sur trois axes, en tout cas, la Révolution conservatrice est en marche : adieu la mondialisation, adieu le culte du multilatéralisme, bienvenue au retour de l’idée de frontière. C’est valable aux Etats-Unis, avec l’élection de Donald Trump. Au Royaume-Uni, avec le Brexit. Au sein de l’Union européenne, avec la montée en puissance de la colère des peuples. Et, bien sûr, c’est aussi valable en Suisse.

     

    Obsédés par la coupe de cheveux de Donald Trump, n’hésitant pas à l’attaquer sur son physique, braqués sur sa « vulgarité » et sa « misogynie », qui sont simplement hors-sujet pour savoir s’il est qualifié pour présider les États-Unis, inféodés jusqu’à la moelle à la cause de Mme Clinton, les médias de Suisse romande sont passés totalement à côté de la présidentielle américaine 2016. Ils se sont laissés piéger par les thèmes de la bienséance et de la morale, alors qu’il s’agissait de choisir un leader pour mener la première puissance du monde. C’est grave, très grave, ils auront, nos braves médias, à en tirer les leçons. D’autant que concentrés sur cela, ils sont juste passés à côté de l’essentiel, qu’ils refusent de voir depuis des années : la Révolution conservatrice.

     

    Donald Trump, comme une majorité montante d’entre nous en Europe, veut contrôler la pression migratoire. La sienne, d’une violence inimaginable, vient du Sud : du Mexique. Il veut concentrer les énergies sur l’intérieur du pays, rénover les infrastructures (avec des accents de New Deal, le programme de relance de Roosevelt). La frontière, le protectionnisme : aux Etats-Unis comme en Suisse, et peut-être, au printemps prochain, en France, ce sont les éléments-clefs de la Révolution conservatrice. Pour peu que cette dernière soit aussi sociale, partageuse, redistributrice, génératrice de cohésion à l’intérieur du pays, il est bien possible qu’elle nous occupe, en Suisse et ailleurs, pour quelques années. C’est cela, au-delà de couleur de ses cheveux, la vraie leçon de l’élection de Donald Trump.

     

    Pascal Décaillet