Commentaire publié dans GHI - Mercredi 18.10.23
Tout a commencé avec la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. Sous prétexte de victoire sur le bloc soviétique, donc sur le communisme, les chantres du capitalisme, sous forte pression anglo-saxonne, ont soumis notre vieille Europe continentale à un ultra-libéralisme sauvage, destructeur de services publics, de lien social, d’identités nationales. Il faut les avoir vécues, ces ahurissantes années 1990, et au fond jusqu’à la crise financière de 2008, pour prendre la mesure des ravages de cette idéologie sanctifiant le Marché, comme un Veau d’or, comme si les nations n’avaient jamais existé. Comme si l’Histoire ne jouait aucun rôle. Comme si les frontières n’avaient pas façonné, au cours des siècles, même en se modifiant, les visions des peuples. Comme s’il n’existait d’autre langue que l’anglais. Pour se faire entendre à Wall-Street, chez les boursicoteurs.
En Allemagne, et je sais de quoi je parle, sous prétexte de « réunification », le glouton Helmut Kohl, atlantiste à souhait, a littéralement laissé le capitalisme le plus débridé dévorer la DDR, cette République démocratique allemande qui avait certes un régime détestable, mais avait développé, en quarante ans d’existence (1949-1989), un système social, une ambition culturelle, une vie associative et sportive, ainsi qu’un savoir-faire industriel, qui font partie de l’Histoire allemande, et n’avaient pas être gommés, d’une chiquenaude. Allez la visiter, cette ex-DDR, j’y passe moi-même quasiment tous les étés, elle est passionnante, culturellement stimulante. Je n’ai pas toujours eu cette impression dans certaines villes sans âme, américanisées, à l’Ouest. Ce que j’écris ici, je le disais déjà sur le moment, lors de la chute du Mur et juste après, mais nul n’écoutait ce discours : il fallait, pour l’ordre cosmique du discours, que le libéralisme triomphe.
Vous me direz que cette frénésie s’est un peu calmée depuis 2008. C’est vrai. Mais ses traces demeurent. Prenez la loi sur l’assurance-maladie : son péché originel, dès sa création au début des années 1990 (j’étais à Berne), est d’avoir misé le bien le plus précieux des humains, leur santé, sur la mise en concurrence de futurs monstres financiers qu’on appelle les Caisses. On a jeté aux orties l’ambition d’Etat, on a livré au profit ce qui relève manifestement du régalien. Erreur majeure, dévastatrice, errance de ces années ultra-libérales, nous en payons aujourd’hui le prix fort. Je le dis ici : le libéralisme de ces trente dernières années est un échec. Je ne dis pas le libéralisme historique, humaniste. Je dis : ce libéralisme-là, dénué de culture, d’ancrage, de références historiques, d’adhésion spirituelles, nous précipite dans le gouffre. Je suis un homme de droite, vous le savez. Mais d’une droite sociale, populaire, nationale et joyeuse. Et je ne pense pas, ni en Suisse ni en Europe, être le seul à puiser mon inspiration dans d’autres références que celles du Marché.
Pascal Décaillet