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  • Et maintenant, la "cohésion sociale" : quel culot !

     
    Sur le vif - Dimanche 23.01.22 - 10.48h
     
     
    « Sans journalisme, la cohésion sociale est en danger », ose titrer le Matin dimanche : propos d’une personne interviewée.
     
    « La cohésion sociale » ! Ils n’ont pas peur du ridicule. Pourquoi pas l’existence des anges, tant qu’on y est ?
     
    La « cohésion sociale », aujourd’hui, elle est sur les réseaux. J’y suis, vous y êtes, nous y sommes tous, des centaines de millions d’humains, sur la planète.
     
    La cohésion, mais aussi la connaissance partagée. La transmission des passions. Les coups de cœur, les coups de gueule. Les auteurs : nous tous ! Pas de rédacteur en chef. Pas de « séances de rédaction », avec leurs éternelles grandes gueules, souvent les pires journalistes. Pas de syndicat. Pas de corporatisme.
     
    Rien de tout cela. Mais la joie d’être là. L’immédiateté. L’inattendu. Le jaillissement de la surprise. La soudaine découverte, chez le plus obscur des quidams, d’une plume de feu.
     
    Et il faudrait continuer à soutenir un système archaïque, ne visant que la survie de sa propre corporation ? Perpétuer une machine à Tinguely ?
     
    Ma réponse est non. La cohésion sociale, je suis pour. C’est même, comme citoyen, mon impératif premier. Retraites. Solitude des seniors. Emploi des jeunes. Apprentissage. Fiscalité étouffante sur les revenus du travail. Primes maladie. Pouvoir d’achat. Je passe ma vie professionnelle à monter des débats sur ces thèmes-là.
     
    Mais de grâce, ne confondons pas tout : la survie de la « presse traditionnelle » n’a strictement rien à voir avec cela. Et pour cause : ces médias ne nous parlent plus que de questions germanopratines, liées au genre, ou à la couleur de la peau. À la cohésion sociale, ils préfèrent le doucereux zéphyr des modes.
     
     
    Pascal Décaillet

  • La mythologie des "faits". Avec ventilateur et bouteille de whisky.

     
    Sur le vif - Samedi 22.01.22 - 17.34h
     
     
    Les agences de presse, issues des débuts du télégraphe, au dix-neuvième siècle, n'ont absolument plus aucune raison d'être, en 2022. Les professionnels vous diront le contraire, les agenciers eux-mêmes bien sûr, les syndicats, et toute la machinerie lourdingue qui tourne autour du journalisme organisé en "rédactions". Avec, plus haut, des "directions". Et, encore plus haut, des "conseils d'administration". Tout ce petit monde vous dira le contraire. Les mêmes qui ne cessent de répéter que "le journalisme est indispensable à la démocratie". Ils ne manquent pas d'air.
     
    Jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'est l'opinion qui prévalait dans les journaux, j'ai travaillé sur des milliers d'entre eux. Dans l'après-guerre, la constitution des "faits" a pris de l'ascendant, surtout ces cinquante dernières années. Dans toute école de journalisme, on vous dira, bien sagement, qu'il faut principalement établir des faits. Et, très subsidiairement, si vraiment vous y tenez, si vraiment vous avez l'âme éditoriale, vous pourrez de temps en temps vous essayer au commentaire. Mais ça doit être rare, mon pauvre ami, garde-toi d'y prendre goût ! Au Journal de Genève, où j'ai fait mes premières années de journalisme, il y a bientôt quarante ans, il y avait, au centre de la rédaction, rue du Général-Dufour, un cagibi, avec vue sur la cour intérieure, où avait droit de venir phosphorer, tout un après-midi, dans la solitude et le silence, celui qui avait charge de rédiger le "commentaire" du lendemain. Le saint des saints. De temps en temps, on lui apportait un café, sur la pointe des pieds. Tout à son oeuvre, il nous chuchotait un furtif "Merci !".
     
    Oui, les faits ont pris l'ascendant. Jusqu'à être magnifiés dans cet exercice sur lequel j'ai beaucoup à dire (et pas que du bien) appelé le "journalisme d’investigation". Pour avoir donné au Journal de Genève (je n'y étais déjà plus, étant passé à la RSR, pour de très longues et magnifiques années) cette tonalité de remueurs et de limiers, n'hésitant pas à bousculer oligarques et financiers, certains portent la responsabilité d'avoir, de l'intérieur de la rédaction, coulé le Journal de Genève (1826-1998). L'ADN de ce dernier était l'analyse, le commentaire, le recul, la mise en perspective historique, la qualité des plumes. "Certains" n'ont pas trop apprécié qu'il tente de devenir un bureau de détectives. A la Chandler. Avec ventilateurs et bouteilles de whisky.
     
    Ces dernières années, les journalistes ont totalement perdu leur monopole sur le commentaire, et c'est très bien ainsi : sur ce même réseau où j'écris ces lignes, et où je me sens si bien, tout humain peut créer un compte, nous donner son avis sur ce qu'il veut.
     
    Les journalistes ont perdu ce monopole, alors ils ont trouvé une combine pour bien nous persuader qu'ils sont "indispensables à la démocratie" : ils reconnaissent leur défaite sur la dimension éditoriale, mais en contrepartie, ils tentent sur tous les tons de nous convaincre qu'ils ont, seuls au monde, autorité à établir des "faits". Je vous en parlerai, un jour aussi, de ce terrorisme du factuel, dont il convient de démonter la grande illusion. Alors, comme tout repose désormais sur la dogmatique des "faits", il faut évidemment sauver le Temple delphique de leur élaboration, les agences de presse. En leur donnant de l'argent.
     
    En boucle, on nous répète que les "faits", ancrés dans une prétendue recherche impartiale de la vérité, ne relèvent pas de l'idéologie, contrairement à l'éditorial. C'est faux, et j'y reviendrai. Et surtout, c'est à géométrie variable : quand les journalistes français interrogent Eric Zemmour, l'invité a immédiatement droit à l'ineffable exercice du "fact-checking" (en anglais, ça fait plus sérieux), en fin d'émission, pour bien montrer au public à quel point il brode, et raconte des salades. Que la même équipe soit invitée à l'Elysée pour interviewer Emmanuel Macron, toute syllabe présidentielle sera bue et sanctifiée, sans la moindre remise en cause "factuelle". Deux poids, deux mesures. Le "fait", instrumentalisé.
     
    Nous sommes à l'époque des réseaux sociaux. On peut montrer son chat, les plats que l'on déguste, chacun est libre. On peut aussi commenter, nous ne nous en privons pas. Mais rien, strictement rien, n'interdit à un quelconque quidam, habité par la mission d'établir "les faits", de se livrer à l'exercice. S'il accomplit bien son boulot, au fil du temps, cela se verra, cela se saura. Et il aura, un jour, tout crédit pour servir de référence. Les journalistes ont perdu le monopole du commentaire. Ils perdront bientôt celui des "faits". Et les agences de presse, pour nous convaincre de leur foncière utilité, pourront peut-être nous rétablir les pigeons-voyageurs. C'est léger, c'est discret, c'est fiable. Et ces volatiles providentiels seront peut-être bien les derniers, à part quelque poète maudit, à vivre de leurs plumes.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Non, Madame Sommaruga, la presse n'est pas gentille !

     
    Sur le vif - Vendredi 21.01.22 - 15.24h
     
     
    Madame Sommaruga croit que les médias sont gentils, que la presse est gentille, que le monde politique est gentil, que le Conseil fédéral est gentil. Dans ce cosmos des équilibres, elle veut sincèrement aider la presse, dans laquelle elle voit une garante de la démocratie : présentation des enjeux de la vie politique, débats, mise en antagonisme des idées, bref tout ce que votre serviteur s'échine à faire en 36 ans de journalisme professionnel. Ceux qui connaissent mon action audiovisuelle sur la place genevoise me reconnaîtront au moins cela : je fais vivre, parmi d'autres, le débat démocratique.
     
    Pourtant, Madame Sommaruga (pour laquelle j'ai de l'estime) a tort. Le monde n'est pas gentil. La presse, depuis ses vrais débuts à l'époque de Balzac et des Illusions perdues, première partie du 19ème siècle, n'a jamais été là pour être gentille avec le pouvoir. Dès les origines, elle est militante, dérangeante. Elle affiche des opinions. Elle combat. Elle lutte pour son indépendance face au pouvoir politique. L'idée d'une gentille presse de pure information, qui serait "neutre", "objective", se contenterait d'analyser froidement le monde, est en fait très récente, elle date de l'après-guerre. Elle est un leurre absolu, j'y reviendrai une fois.
     
    Je suis pour une presse militante, je l'ai toujours été. Jamais je ne reprocherai à aucun confrère, aucune consœur, aucune rédaction, d'afficher ses opinions, défendre les uns, attaquer les autres, être acteur dans la Cité, et non simple arbitre. Je n'ai jamais cru une seule seconde à cette ahurissante "neutralité" du journaliste. J'ai trop pratiqué, par milliers de numéros, la lecture de la presse de l'Affaire Dreyfus (sur laquelle j'ai réalisé une Série radiophonique en 1994), pour me satisfaire de cette conception du journaliste-eunuque. Si certains de mes confrères veulent se faire passer pour tels, c'est leur affaire. Moi, je m'assume comme combattant dans le monde de l'opinion. Je défends les uns, j'attaque les autres, je prends position. Citoyen, parmi les citoyens.
     
    Je respecte Mme Sommaruga, sa culture, son intelligence, son souci de cohésion de notre pays. Mais désolé, elle ne comprend pas le monde des médias. Elle y voit, au fond, une sorte de corps de l'Etat, chargé d'animer la vie politique. C'est faux. Les médias, dans toute leur Histoire, se sont toujours construits contre les pouvoirs constitués. Non pas contre la gauche. Non pas contre la droite. Mais contre les appareils. Contre tout appareil, tout pouvoir, d'où qu'ils viennent !
     
    Et puis, que dira Mme Sommaruga, le jour où, pour une raison ou pour une autre, un organe de presse, ou un journaliste, l'attaquera elle, très fort. Elle pestera contre lui ! Et elle aura parfaitement raison. Et chacun sera dans son rôle, le journaliste qui lui cherche noise, la conseillère fédérale qui le considère comme un fouille-merde. Et chacun aura raison ! Et ce binôme, entre l'emmerdeur et l'emmerdé, c'est cela le vrai garant de notre démocratie : poser des antagonismes, et non chercher béatement à les taire. Il est parfaitement normal que des ministres exercent le pouvoir. Et parfaitement normal que des citoyens, journalistes ou non d'ailleurs, en dénoncent les dérives. C'est cela, la vraie démocratie : un rapport de forces, des rognes, des brouilles, des haines aussi parfois (je fais partie de ceux qui ne craignent pas d'utiliser ce mot).
     
    Non, Mme Sommaruga, la presse n'est pas gentille. Et vous non plus, les gens de pouvoir, vous ne l'êtes pas. Il n'y donc aucune raison, dans ces conditions, qu'un seul centime provenant du portemonnaie des contribuables suisses soit affecté à la presse. Cette dernière doit trouver ses ressources ailleurs que par une aide directe de l'Etat. Sinon, c'est la liquéfaction des différences, la confusion des rôles, la trahison des serments de l'aube.
     
     
    Pascal Décaillet