Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 4

  • Trois guerres de retard !

     
    Sur le vif - Lundi 21.12.20 - 11.41h
     
     
    Le papier du Matin dimanche sur le "changement d'ambiance", de Pierre Maudet à Nathalie Fontanet, pour les milieux de l'économie à Genève, ne correspond absolument pas à la réalité.
     
    De deux choses, l'une. Soit il relève d'une instrumentalisation de la rédaction de ce journal par les milieux libéraux et une branche très libérale du patronat genevois, n'ayant qu'un rapport lointain avec les petites entreprises. Soit il révèle une complicité éditoriale de la même rédaction avec l'appareil de propagande libéral en faveur de Mme Fontanet.
     
    Nous avons des élections, à Genève, le 7 mars. Il s'agit, pour certains milieux, d'entreprendre toutes choses pour éliminer un homme. Qui a peut-être commis des fautes, la justice tranchera. Mais qui n'a ABSOLUMENT PAS démérité, pendant les mois de la crise sanitaire où il était aux affaires, dans ses relations avec le monde des petits entrepreneurs en difficulté, à Genève. Lui nier cet actif, c'est tout simplement dégueulasse.
     
    J'invite les observateurs de la vie politique à ne pas avoir toujours trois guerres de retard dans leurs analyses des mécanismes du pouvoir. Et à se méfier plutôt des puissants - et des puissantes - que de ceux qui sont à terre. Administrer à ces derniers un énième coup de grâce, alors qu'ils n'en finissent plus de gésir, ne grandit ni le journalisme, ni le citoyen soucieux de clairvoyance, ni surtout l'homme d'honneur.
     
    Quant à Mme Fontanet, chez laquelle nous percevons surtout une grande capacité d'adaptation à se maintenir dans toute dynamique de pouvoir, nous sommes prêts à en dire le plus grand bien. Le jour où elle aura réduit le déficit et la dette, allégé le fardeau fiscal des classes moyennes, soulagé ceux qui se lèvent le matin pour aller bosser, pour peu qu'un ukase de la bureaucratie sanitaire n'ait pas fermé leur établissement. Hélas, je ne sache pas qu'elle ait, pour l'heure, emprunté ce chemin-là.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Série Allemagne - No 29 - Vienne, 7 mai 1824 : la Missa Solemnis

     

    Dimanche 20.12.20 - 17.29h

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux - No 29 – L’événement se passe à Vienne. C’est la Première (non-intégrale) d’une Messe en latin. L’auteur est certes allemand, mais toute sa carrière créatrice s’est déroulée en Autriche. Il la dédie à un Archiduc autrichien. Nous sommes 18 ans après la dissolution du Saint-Empire. Pourtant, nous avons choisi, en toute connaissance de cause, d’intégrer la Première viennoise de la Missa Solemnis, de Ludwig van Beethoven, dans notre Série allemande ! Parce que le compositeur est profondément allemand. Parce que nous sommes au cœur de l’Histoire musicologique allemande. Parce qu’il faut comparer cette œuvre, encore marquée d’une latinité conventionnelle d’Ancien Régime, à une autre, immense, parue 44 ans plus tard : le Deutsches Requiem, de Johannes Brahms, composé cette fois sur texte allemand, celui de la traduction de la Bible par Luther, en 1522.

     

    Vienne est une ville autrichienne, elle en est même la prestigieuse capitale. A Vienne, on parle allemand. Vienne n’est pas une ville allemande. Mais, comment dire, elle n’est pas, non plus, une ville détachée des Allemagnes. Nous aborderons, plus tard, dans notre Série en 144 épisodes, la très complexe question autrichienne, liée à mille ans d’Histoire du Saint-Empire, un lien coupé en 1806, mais jamais totalement. Les Autrichiens ne sont pas des Allemands. Mais le verbe et la musique, les contours de l’Histoire, la puissance de la langue, font de leur lien avec l’Allemagne une question historique de premier ordre, très délicate et très difficile à traiter.

     

     Ludwig van Beethoven, né à Bonn en 1770, mort à Vienne en 1827, est un Allemand ayant fait sa carrière en Autriche, d’abord dans les dernières années du Saint-Empire, puis sous l’Empire d’Autriche. Il est Allemand de Vienne. Mais il est Allemand, jusqu’au bout des ongles. Il est le compositeur allemand, par excellence. Nul n’aurait l’idée de le classer dans la musique autrichienne, et Dieu sait si cette dernière nous a livré le plus haut degré du sublime : Haydn, Mozart, Schubert, Bruckner, Mahler, Alban Berg, Schönberg. Et tant d’autres. Et Dieu sait, aussi, si le jeune Beethoven, arrivé à Vienne dans son adolescence, doit un legs impérissable à ses maîtres autrichiens. Avec eux, notamment, il étudie l’harmonie et le contrepoint.

    Beethoven compose sa Missa Solemnis au sommet absolu de son art : il a entre 48 et 53 ans, ce sont les dernières années de sa vie, il est complètement sourd, mais cela ne l’empêche pas une seule seconde de composer. Les notes, les accords, la polyphonie des voix, il les a dans sa tête, il sait exactement ce que cela donnera, dans l’univers de ceux qui entendent. C’est l’une des œuvres qui lui coûtent le plus de temps : cinq années d’un travail acharné. Il la considère comme le meilleur de ses ouvrages, « le plus grand ». Il présente pourtant, exactement au même moment, sa fameuse Neuvième Symphonie, dont la terre entière connaît le Final, l’Hymne à la Joie, sur le poème de Friedrich Schiller. Ce sont aussi les années des derniers Quatuors, ceux qui font avancer de deux siècles l’Histoire de la musique.

     

    L’Histoire de la Missa Solemnis a été étudiée à fond par les musicologues. Saviez-vous, par exemple, que la véritable Première s’était déroulée non à Vienne, mais à Saint-Pétersbourg, trois mois plus tôt, le Tsar ayant fait partie des premiers souscripteurs ? On ajoutera aussi que la Première viennoise, le 7 mai 1824, au Kärntnertortheater, le Théâtre de la Porte de Carinthie, ne pouvait être complète, le régime de Metternich interdisant qu’une Messe fût représentée ailleurs que dans une église ?

     

    Reste l’immensité des questions posées. Pourquoi le répertoire sacré occupe-t-il si peu de place (par rapport à Mozart, notamment), dans une œuvre aussi totale ? On pense certes au Christ sur le Mont des Oliviers, et à la Messe en ut. Pouvait-on, en 1824 à Vienne, présenter une Messe autrement qu’en latin ? Là, la réponse est clairement non, et c’est là qu’il faut comparer l’aventure de Beethoven avec celle, en 1868, du Deutsches Requiem de Brahms, dans un contexte d’Unité allemande triomphante (Cf. le numéro 9 de ma Série, "Lepizig, 1869 : Ein Deutsches Requiem", publié le 31 juillet 2015). Quel est le rapport de Beethoven à la religion ? Il se dit certes croyant (dans sa Correspondance, notamment), mais comment se définit-il par rapport à l’Etiquette religieuse étouffante de la Vienne de Metternich, toute sonore de latinité et de liens avec l’Italie pontificale ? Et puis, surtout : pourquoi l’auteur d’une Messe aussi époustouflante n’a-t-il pas davantage consacré d’énergie à la musique religieuse ? A la plupart de ces questions, les réponses fouillées demeurent à trouver.

     

    Reste une œuvre immense, notamment dans la répartition des voix entre les quatre solistes. La discographie est impressionnante. Nous retiendrons Toscanini, Böhm, Karajan (en plusieurs versions), Klemperer, Giulini, Herreweghe, parmi tant d’autres. Pour, ma part, l’une d’entre elles, plus que les autres, résonne en mon âme : celle que j’ai écoutée hier soir, samedi 19 décembre 2020, sur Mezzo : le Concertgebouw d’Amsterdam, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt. En y pensant, 20 heures plus tard, j’en ai encore des frissons. Entre Mozart et Brahms, il y a, quelque part dans l’univers, cette Messe en latin d’un compositeur allemand qui a révolutionné la musique. Tout en acceptant, dans le cas présent, de s’inscrire pour l’apparence dans la codification traditionnelle de la musique sacrée autrichienne, d’expression latine. Un sacré paradoxe, que dissout seulement l’écoute de l’œuvre : elle vous emporte, au-delà du monde. Au-delà de l’Histoire.

     

     

    Pascal Décaillet

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux – Une Série racontant le destin allemand, de 1522 (traduction de la Bible par Luther) jusqu’à nos jours. Les 24 premiers épisodes ont été publiés en 2015, et peuvent être lus directement en consultant ma chronique parue le 11 juillet 2020, ici :

    https://pascaldecaillet.blog.tdg.ch/archive/2020/07/11/serie-allemagne-c-est-reparti-307498.html .

    La Série n’est pas chronologique, elle suit mes coups de cœur, mes envies, mes lectures. Lorsqu’elle sera achevée, une version rétablissant la chronologie vous sera proposée.

     

     

     

     

     

     

  • Ludwig van Beethoven n'a pas fini de nous hanter

    Sur le vif - Samedi 19.12.20 - 16.17h
     
     
    Le passage de Ludwig van Beethoven sur cette terre, entre 1770 et 1827, marque la plus fulgurante évolution de l'Histoire musicale. Il est le chemin d'un homme perpétuellement en marche. Un destin en Révolution permanente.
     
    Oh, la musique a toujours évolué. Elle n'a fait que cela. Elle est vie, vibrations et lumière, elle est mouvement, elle est en marche. Le jeune Bach, qui vient de suivre en 1705 (il a vingt ans) les cours du grand Buxtehude à Lübeck, n'écrit pas comme le fera, dans les années 1740, le même homme devenu Cantor de Leipzig. Les premiers opéras de Wagner sont beethovéniens. Les premières oeuvres de Richard Strauss sont wagnériennes. Etc.
     
    Mais chez Beethoven, le chemin est fulgurant. Il signale une exigence créatrice, et surtout rénovatrice d'un opus à l'autre, à nulle autre pareille. Nulle oeuvre n'en rappelle une autre. Et même les fameuses Variations, sublimes, sur les oeuvres de Haendel, tout en déclarant l'emprunt du thème, sont bien du pur Beethoven. On aurait aimé écouter l'homme en concert, son génie de l'improvisation, qui époustouflait les auditeurs viennois.
     
    J'ai évoqué ici, dans un texte récent, la nécessité pour moi d'aborder le chemin beethovénien par une autre approche que celle de la biographie, même si cette dernière est passionnante. Il me faut, il nous faut tous, l'Histoire de l'évolution musicale de cet homme, en 57 ans de vie. Pour cela, il nous faut des musicologues. Des musiciens. Il faut qu'on nous montre des partitions, avec leurs ratures. Il nous faut entrer dans l’œuvre, comme en littérature, par la fréquentation de ce qu'elle a de plus concret. Il nous faut pénétrer les variantes, comparer toutes celles d'un même opus, en fonction du rythme, de la mesure, du tempo. Cela, pour la musique de chambre, pour les Sonates, autant que pour les Symphonies.
     
    250 ans et trois jours après sa naissance à Bonn, on a l'impression que tout été dit sur ce Prométhée, porteur du feu. J'avance ici la thèse contraire. Certes, des textes sublimes ont été composés autour de Beethoven. Mais il me semble que tout reste à dire, à trouver. Je ne parle pas ici de nouvelles partitions. Mais de lectures réinventées du corpus, tel qu'il se présente à nous aujourd'hui.
     
    Cette évolution fulgurante, en quatre décennies de composition active, entre le classicisme des premières oeuvres, où l'on entend poindre encore l'influence d'un Haydn, et l'absolue Révolution formelle des ultimes Quatuors, dans les années 1820, il faut qu'elle nous soit posée, présentée, interprétée. C'est cela, plus encore que les chemins impétueux de la biographie, dont nous avons besoin. Pour mieux accéder à la vie intérieure de cet être unique. Ludwig van Beethoven n'a pas fini de nous hanter. Sa présence, au plus profond de nos âmes, ne fait que commencer. Elle est la promesse d'une éternelle naissance.
     
     
    Pascal Décaillet