Sur le vif - Mercredi 17.07.19 - 12.00h
Jamais l'Allemagne, depuis 1945, n'a été aussi puissante en Europe. Et voilà qu'en plus, on nomme une Allemande à la tête de la Commission européenne ! Il y a là un danger : non celui du retour d'un pangermanisme calmé pour un moment, mais celui d'accentuer le déséquilibre souligné ici dans mes derniers papiers : l'émergence d'une super-puissance à l'intérieur de la construction européenne, c'est l'absolu contraire de la volonté des pères fondateurs, lors du Traité de Rome, en 1957.
Dans cet Âge d'or de l'Europe communautaire, tout était entrepris, en termes de signaux, pour souligner l'équilibre et le respect entre les six membres fondateurs. Ainsi, on distribuait volontiers les postes les plus puissants à des petits pays, comme la Belgique ou les Pays-Bas, qui avaient souffert de la guerre, et vécu dans leur chair l'occupation allemande. Surtout, avec la réconciliation allemande, le couple de Gaulle-Adenauer nous présentait l'amitié retrouvée des deux peuples comme la pierre angulaire d'une Cathédrale. L'image était puissante, émouvante, elle parlait aux cœurs et aux âmes. Le plus important : l'Allemagne de l'époque, en plein miracle économique, était encore, pour longtemps (jusqu'en 1989), un nain politique, et cela rassurait tout le monde.
Aujourd'hui, le nain est redevenu un géant, totalement décomplexé. Dans les Balkans pendant les années 1990, puis en Europe centrale et orientale, dans les Pays Baltes, en Ukraine, il joue sa propre carte nationale, sous le paravent européen. Face à la Grèce, berceau de notre civilisation, il s'est comporté avec la dernière des vulgarités et des arrogances suzeraines. La Grèce, oui, où les Allemands avaient laissé quelques souvenirs entre 1941 et 1945.
Le géant est là, c'est un fait, une réalité historique. Le seul pays capable de maintenir l'équilibre, la France, n'a vu que du feu à cette prodigieuse renaissance, un retour en puissance d'autant plus pervers qu'il s'effectue sous les vivats et les applaudissements d'une opinion publique peu rompue, hélas, à une analyse froide et stratégique de l'Histoire. La France n'a rien vu venir, le premier qui en porte l'écrasante responsabilité est François Mitterrand, lorsqu'en pleine guerre des Balkans, lâchant son vieil et fidèle allié serbe, il a, sous l'influence des BHL et des Kouchner, et de leur cosmopolite "droit d'ingérence", embrassé la cause allemande, sous paravent européen.
Le géant est là, déjà seul au pouvoir au milieu d'une Europe déséquilibrée par sa puissance, et on nomme une Allemande à la tête de la Commission européenne. Les qualités de Mme Ursula von der Leyen ne sont pas en cause, c'est le principe et la fonction qui méritent d'être scrutés. On ne fera pas grief - au départ - à la nouvelle Présidente allemande de la Commission de favoriser son pays en sous-main. Mais assurément, elle est Allemande. Même famille politique que Kohl et Merkel. Sa vision de l'Europe est allemande. Sa Weltanschauung est allemande. Sa manière de penser la construction européenne, autour de l'Allemagne augmentée (cf. mes précédents papiers), est allemande.
On notera, au demeurant, que dans ses fonctions comme Ministre de la Défense de la nation appelée "Allemagne", Mme Ursula von der Leyen ne s'est pas particulièrement opposée aux programmes allemands de réarmement qui, notamment en matière de marine de guerre et de sous-marins, se votent là-bas dans la parfaite indifférence des chers voisins européens. Preuve de plus du double langage de l'Allemagne en Europe : pour la paix, les mots ; pour le réarmement, les actes.
Quelles que soient, donc, les qualités de la nouvelle Présidente de la Commission, c'est une vision allemande qui va tenir l'Union européenne pendant cinq ans. La vision française : il n'y en a plus ! M. Macron s'affirme comme le chevalier servant de Mme Merkel, il lui court et lui trottine derrière, il est d'accord avec elle sur tout. Il se comporte en charmant vassal de la Chancelière. Son rôle n'est pourtant ni d'être charmant, ni encore moins d'être vassal.
Qui, pendant ces cinq ans, va oser contrarier la vision allemande de l'Europe ? Qui, pour remettre en cause une extension à l'Est totalement précipitée, gloutonne, taillée sur mesure pour servir les intérêts économiques et commerciaux des grandes entreprises allemandes ? Qui, pour s'élever contre la politique allemande en Ukraine ? Qui, pour exiger une construction européenne où reviennent l'équilibre et le respect mutuel des premières années ? Une chose est sûre : en tout cas pas M. Macron. On imagine déjà le chevalier servant de Mme Merkel inviter la nouvelle Présidente allemande de la Commission sur la piste de danse. Comme aux plus belles heures de la Société des Nations, à l'époque d'Ariane, d'Adrien Deume et de Solal, dans Belle du Seigneur.
Pascal Décaillet