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  • On ne siffle pas le chef des Armées

     

    Sur le vif - Dimanche 14.07.19

     

    Je suis, comme on sait, totalement opposé à la politique menée par Emmanuel Macron. Opposé à son libéralisme économique. Opposé à la relation qu'il entretient avec les puissances financières cosmopolites, qui l'ont tant aidé à se hisser au pouvoir. Opposé à son européisme gravissime, en réalité une relation non avouée de vassalité par rapport à l'Allemagne.

    Opposé, oui. Mais désolé, lors du défilé du 14 Juillet, on ne siffle pas le Président de la République. Quel qu'il soit. Il est le chef des Armées, c'est ainsi, c'est dans la Constitution. En vertu d'une très vieille tradition française, bien antérieure à la Révolution, qui veut que le commandement militaire suprême incombe, non au connétable, mais au souverain. C'est ainsi. C'est la tradition française.

    On peut attaquer tant qu'on veut le chef de l’État dans le débat d'idées. Mais on ne siffle pas le détenteur suprême de l'épée, lorsque défilent devant lui les remarquables troupes de la Nation. Celles qui portent la mémoire de Valmy, Fleurus et Rivoli. Celles dont le sacrifice a tant de fois sauvé le pays.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • La puissance allemande, contre l'équilibre européen

     

    Sur le vif - Samedi 13.07.19 - 10.46h

     

    L'Europe communautaire, ça fonctionnait de façon équilibrée et respectueuse, jusqu'à la chute du Mur (9 novembre 1989). Ça fonctionnait, tant que la partie allemande représentée y était l'Allemagne de l'Ouest. En gros, l'équivalent de la Confédération du Rhin sous Napoléon (dont les contours ne devaient rien au hasard), augmentée du Royaume de Bavière, toutes terres dont l'ancrage occidental est séculaire.

    La chute du Mur, qui sur le moment m'a donné un immense vertige, a complètement changé la donne. D'abord, elle a très vite rompu l'équilibre. Il était très clair, pour qui est sensible à l'Histoire, dès la nuit du 9 novembre 1989, que l'Allemagne allait très vite se réunifier (elle l'a fait en 1990). Il était moins clair, hélas, que cette opération n'allait rien être d'autre que le glouton phagocytage de la DDR par les appétits affairistes et capitalistes des géants industriels et commerciaux de l'Ouest.

    Je l'ai dit, je le répète : on a, d'un trait, rayé de la carte un pays membre (au même titre que la RFA) de la communauté des nations. L'Ouest a purement et simplement annexé l'Est. Le glouton Kohl, Rhénan totalement insensible aux réalités de l'Est, notamment à la dignité germanique des Prussiens et des Saxons, s'est comporté comme le valet des Américains et d'un système capitaliste mondial n'ayant plus rien à voir avec le vieux capitalisme rhénan, celui justement de sa région d'origine, à lui.

    Ce géant réunifié, la Prusse définitivement rayée de la carte, et jusqu'à son nom (depuis 1945) jeté aux oubliettes, ce géant devenu de loin la première puissance démographique du continent (alors que les forces, avec la France, étaient équilibrées jusqu'en 1989), allait dès lors entraîner la construction européenne dans sa deuxième grande phase, totalement différente de l'esprit de la première.

    La première phase, de 1957 à 1989 (on peut pousser jusqu'en 1992, Maastricht), est marquée par l'équilibre (nulle puissance hégémonique n'émerge), et le respect mutuel. La réconciliation entre la France et l'Allemagne, scellée par la Traité de Reims (1963), fonctionne comme la pierre angulaire d'une cathédrale. Il y a quelque chose de beau et de grand dans cet espoir d'une Europe des cœurs et des âmes.

    La deuxième phase, de 89/92 jusqu'à aujourd'hui, c'est celle de l'Allemagne augmentée, que je décris dans mon dernier papier. L'Allemagne de Kohl, qui joue cavalier seul dans les Balkans, d'abord dans l'affaire croate et slovène, puis dans l'affaire Bosniaque, puis (avec ses services secrets) dans l'affaire du Kosovo. La France n'y voit que du feu, laisse son prophète à chemise blanche nous inonder de morale lors de son voyage auto-publicitaire en Bosnie, la France ne fait plus de politique, elle ne jure que par l'humanitaire et le droit d'ingérence. Kouchner en sera le grand bailli.

    Oui, depuis trois décennies, l'Allemagne est totalement décomplexée. Géant économique, elle est redevenue le géant politique en Europe, la France est à la traîne, et l'épisode Macron accentue le sentiment de vassalité de Paris face à Berlin. En Europe centrale et orientale, en Pologne, dans les Pays Baltes, les entreprises allemandes s'installent partout où elles peuvent. En Ukraine, l'Allemagne (qui a laissé là-bas quelques souvenirs, entre 1941 et 1944), joue sans vergogne une carte historique particulièrement dangereuse, sous-estimant la possibilité, un jour, de réaction des Slaves russophones. Une Allemagne décomplexée, sans tabous, apparemment sans mémoire, profitant du paravent européen pour imposer, en réalité, ses propres intérêts nationaux supérieurs.

    Cette deuxième phase de la construction européenne n'a plus rien à voir avec la première. Là où celle-ci était porteuse d'espoir, de respect et d'équilibre, celle-là suinte et respire la captation d'un ensemble par son élément le plus puissant. Exactement ce que craignaient, comme la peste, les pères fondateurs du Traité de Rome, en 1957.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • L'Europe, c'est l'Allemagne augmentée

     

    Sur le vif - Vendredi 12.07.19 - 12.09h

     

    L'Europe, jusqu'à 1992, j'étais plutôt pour. La tentative, sur les décombres de la guerre, de faire parler un autre langage que celui des armes, ne pouvait être rejetée d'un revers de la main.

    Ça n'est pas, contrairement à ce qu'on dit, la construction européenne qui a prémuni notre continent d'une nouvelle guerre, mais l'équilibre des forces, entre Soviétiques et Américains. Mais enfin, dans les balbutiements autour du charbon et de l'acier (CECA), dans le Traité de Rome (1957), et surtout dans la magnifique démarche de réconciliation franco-allemande (de Gaulle-Adenauer, 1963), qui a mis en œuvre les cœurs, il y avait quelque chose de beau, pour ma génération.

    Enfant, adolescent, j'ai passé de longues et superbes périodes en Allemagne, plus enrichissantes que tous les livres. Je réfléchissais à l'Allemagne, à son destin que je savais être toujours en marche. Donc, je réfléchissais à l'Europe. Car l'Allemagne et l'Europe sont inséparables.

    Je viens de passer huit jours en Allemagne, principalement dans le Nord de mon enfance. La vitalité de ce pays est intacte, mais il est vrai que cette fois, je ne me suis pas rendu dans ces régions de l'ex-DDR, en Saxe notamment, où la précarité est hélas au rendez-vous. Mais enfin l'Allemagne vit, sa puissance industrielle est palpable à tous les coins de rue, son poids démographique, son énergie, son aptitude à la réinvention.

    Le miracle économique allemand ne se résume pas aux prodigieuses années d'après-guerre (reconstruction en un temps record, volonté de remonter la pente, énergie d'airain), non, ce miracle, comme tout le mouvement de renaissance des Allemagnes après la destruction totale de 1648 (Guerre de Trente Ans), date de Frédéric II (1740-1786), d'une conception exemplaire de la Révolution industrielle, du génie de l'Université prussienne, avec ses scientifiques, ses ingénieurs, d'un capitalisme rhénan à visage autrement humain que les dérives ultra-libérales anglo-saxonnes. Ce miracle date de Bismarck et de ses lois sociales, puis plus tard de l'énergie mise à se relever du Traité de Versailles, puis, après la guerre, à se relever, tout simplement, du néant.

    Ce qu'on appelle Europe, depuis 1992 (à vrai dire dès la chute du Mur), ça n'est hélas plus du tout le mouvement équilibré de réconciliation des premières décennies de l'Europe communautaire (1957-1992). Non, depuis 1992, depuis l'Acte unique, et surtout depuis la monnaie unique (début des années 2000), ce qu'on appelle Europe, c'est l'Allemagne augmentée.

    L’Allemagne augmentée, c'est l'Allemagne de Kohl et de Merkel, ces chanceliers d'Empire qui rêvent (consciemment ou non) de réinventer, non le pangermanisme prussien, mais une construction beaucoup plus subtile, parce que pacifique en apparence, et bénéficiant des bénédictions de ses voisins : l'augmentation, patiente et silencieuse, de l'influence allemande en Europe, avec le Stempel des gens de Bruxelles. Le Stempel, et même les vivats, les bénédictions, comme dans l'affaire ukrainienne. Le Stempel, avec la complicité dans l'arrogance, comme dans l'affaire grecque. Le Stempel, avec la cécité des autres pays d'Europe face aux objectifs réels de l'Allemagne, qui sont économiques, industriels et commerciaux, dans l'affaire de l'élargissement à l'Est.

    Le phagocytage glouton et précipité, par l'UE, sous volonté allemande, des pays d'Europe centrale et orientale, par exemple les Pays Baltes, répondait en fait à une impérieuse nécessité : laisser aux grandes entreprises allemandes le champ libre pour s'établir sur ces Marches de l'Est vers lesquelles, depuis Frédéric II (ne remontons pas aux Chevaliers Teutoniques), convergent les appétits germaniques. Là où naguère, par d'autres moyens mais par les mêmes chemins, la colonisation allemande de l'Est avait échoué, elle est en train, aujourd'hui, de réussir, grâce au Stempel et au blanc-seing de l'Europe communautaire.

    Là où Willy Brandt (1969-1974), de loin le plus grand chancelier de l'après-guerre, voulait, avec son Ostpolitik et sa bouleversante génuflexion de Varsovie (1970), une démarche des cœurs et des âmes vers l'Est, Kohl et Merkel n'auront offert à l'Histoire que la vulgarité gourmande d'un colonialisme économique éhonté.

    L'Europe, aujourd'hui, n'a plus rien à voir avec la construction équilibrée, respectueuse, des pères fondateurs de 1957. L'Europe d'aujourd'hui, c'est l'Allemagne augmentée. L'Allemagne, plus puissante que jamais depuis la défaite d'étape de 1945. L'Allemagne, première puissance économique du continent. Avec des générations de jeunes qui se rendent à Berlin, avec des compagnies à bas coût, pour y passer des week-ends de foire. Insensibles à l'idée qu'ils pourraient profiter de leur séjour dans la capitale historique de la Prusse pour tenter d'y tâter le tragique de l'Histoire. Avec un peu d'attention, une fois passé le vernis cosmopolite, ce tragique y est pourtant constant. Encore faut-il des yeux pour voir, et des âmes pour se souvenir.

     

    Pascal Décaillet