Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Un jour, on redira "la Prusse"

     

    Sur le vif - Samedi 29.06.19 - 15.33h

     

    La question des frontières orientales de l'Allemagne n'est absolument pas réglée. Tout au plus fut-elle gelée, en 1945. L'année même où disparut du vocabulaire (oui, le mot fut littéralement radié, jeté aux oubliettes) un nom qui, tôt ou tard, refera parler de lui : la Prusse.

    On peut censurer les mots, quand on impose sa domination de vainqueur. Mais on ne peut modifier un seul millimètre des réalités.

    Ces dernières feignent le sommeil éternel. En fait, elles hibernent. Après un siècle, deux siècles, parfois plus, elles surgissent, imposent leur présence, éclatent de vie. Il faut juste laisser passer les générations, et les pouvoirs du moment.

    La Prusse, la nation prussienne, au sens si allemand du mot "nation", à la fois puissamment identitaire et intégrée à la Confédération allemande, constituent, devant l'Histoire, depuis Frédéric II (1740-1786), et à vrai dire déjà depuis son père, une réalité intangible.

    On peut la débaptiser, la nommer DDR pendant quarante ans (avec la Saxe et la Thuringe), on peut gommer son nom, damner sa mémoire (comme les empereurs romains le faisaient de leurs prédécesseurs), on peut ne parler que du Brandebourg et du Mecklembourg Pré-Poméranie, tout cela ce sont des artifices du moment, du bricolage historiographique pour étouffer la puissance d'une réalité.

    Un jour, j'ignore absolument quand, un jour que je ne vivrai pas, dans un siècle, deux siècles, je n'en ai aucune idée, on se remettra, intellectuellement, politiquement, culturellement, à parler de la Prusse. Et peut-être, ce jour-là, Königsberg, la ville de Kant, capitale historique de la Prusse Orientale, cessera d'être Kaliningrad. Et retrouvera son nom.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La démarche de crabe de l'Histoire

     

    Sur le vif - Vendredi 28.06.19 - 18.36h

     

    Il faudra quand même, un jour, envisager l'historiographie de la Seconde Guerre mondiale, en Europe, autrement que par le seul prisme, ou les seules lunettes, des vainqueurs. Notamment, les vainqueurs anglo-saxons.

    Ce que les vainqueurs nous ont transmis est évidemment très important, il ne s'agit ni de le nier, ni de le sous-estimer. Remettre en cause, par exemple, l'importance stratégique du Débarquement de Normandie (par rapport au Front de l'Est, où l'essentiel, en termes de masses antagonistes, s'est joué), ça n'est en rien diminuer le mérite des Alliés, encore moins le courage des combattants, ni l'apport de cette ouverture d'un front occidental pour accélérer la fin de la guerre.

    Mais enfin, pour poursuivre sur cet exemple, si on veut peut parler des événements de Normandie entre le 6 juin 1944 (Débarquement) et le 26 août de la même année (Libération de Paris), alors il faut tout dire. Tout, et pas seulement l'héroïsme de la percée du premier jour.

    Tout dire, c'est raconter à fond le bombardement de Caen, et celui d'autres villes normandes, martyrisées par voie aérienne. Bombardées certes par les libérateurs, mais pulvérisées quand même. La différence, pour ceux qui sont en-bas, n'est pas toujours perceptible au premier abord.

    Tout dire, c'est ne pas s'arrêter au soir du 6 juin 1944. Mais raconter, pour ceux qui s'intéressent à l'aspect stratégique (nous sommes là dans l'Histoire militaire), l'incroyable résistance des Allemands, une fois les renforts arrivés, notamment dans le bocage. Donc, en face, le sacrifice des Alliés. Bref, une vraie bataille, de plusieurs semaines, très équilibrée, tellement lointaine de l'image d’Épinal des sympathiques soldats américains qui, de leurs jeeps, distribuent chewing-gums, coca et biscuits à des populations enthousiastes.

    Tout dire, c'est raconter comment les soldats allemands, sur place, ont vécu ces semaines de bataille. Qu'ils fussent puissance occupante, depuis quatre ans, ne justifie en rien de taire l'historiographie de leur côté, tout aussi passionnante que celle des Alliés.

    Tout dire, au-delà de cet exemple normand, c'est raconter par exemple les boucheries de l'aviation britannique sur Hambourg (1943) ou sur Dresde (1945), rappeler ce qu'elles avaient de représailles pour venger Coventry (1940), constater à quel point ces vengeances (parmi tant d'autres) furent, désolé de le dire, totalement disproportionnées à ce que la Luftwaffe avait lâché, certes déjà de mesure gigantesque, sur les villes anglaises, même au pire moment du Blitz (1940).

    Tout dire, c'est équilibrer les témoignages. Non dans une optique idéologique, surtout pas. Mais dans un souci constant de recherche de la vérité. Cela passe par l'acceptation, face à chaque nouveau récit, de la lente construction mentale et intellectuelle d'un choc de paradoxes. Un témoignage contrarie le précédent, et puis un autre contrarie le deuxième. C'est seulement en prenant en compte la parole de tous, sans la moindre exception, qu'on arrive progressivement à élargir son champ de conscience historique. Démarche de crabe, paradoxale, jamais achevée.

    Ainsi fonctionne le rapport à l'Histoire. Il ne procède pas de l'idée, ni du monde de la philosophie, encore moins de celui de la logique, mais de l'observation patiente et passionnée d'un réel qui, constamment, se déconstruit et se dérobe.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Versailles : il n'y a rien à fêter

     

    Sur le vif - Vendredi 28.06.19 - 10.31h

     

    Signé il y a cent ans aujourd'hui, le Traité de Versailles, totalement injuste et humiliant pour l'Allemagne, dicté par la soif de vengeance d'un Clemenceau déserté par le génie rassembleur qui avait été le sien en 1917 et 1918, est l'une des pires calamités du vingtième siècle.

    J'ai creusé en profondeur la période qui, en Allemagne, s'ouvre avec la Révolution du 9 novembre 1918 (avant-veille de l'Armistice), couvre toute l'année 1919 et s'étend jusqu'au putsch raté de 1923. Versailles est une abomination. C'est la loi des vainqueurs dans toute sa caricature, Clemenceau en étant bien plus responsable que le Président Wilson.

    Versailles est la cause immédiate de la radicalisation des Corps-Francs (lire Ernst von Salomon, Die Geächteten, les Réprouvés) en mouvements politiques, dont évidemment le NDSAP.

    Versailles est la cause directe de l'instillation, aux tréfonds de l'âme allemande, d'une immense colère rentrée. On sait quel homme, pendant toutes les années vingt et jusqu'au 30 janvier 1933, à su incarner cette colère, lui donner des raisons de se transformer en revanche.

    Versailles est l'une des causes, quatorze ans avant, de l'avènement du nazisme. La cause des colères territoriales sur Dantzig. La cause de l'aspiration, par fierté, à un réarmement. Et quel réarmement, le jour venu !

    Versailles porte en son sein, vingt ans avant, les germes de la Seconde Guerre mondiale. Ce Traité a été signé dans une candeur de monde nouveau et multilatéral, dans l'ignorance totale de la réalité des nations.

    Versailles est une honte. Cent ans après, il n'y a rien à fêter.

     

    Pascal Décaillet