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  • Un homme, face à l'Histoire

     

    Sur le vif - Lundi 17.06.19 - 11.29h

     

    Les grandes figures de la seconde partie du vingtième siècle, c'est chez les Non-Alignés qu'on les trouve. Au premier plan d'entre eux, Gamal Abdel Nasser.

    J'ai beaucoup lu, en quarante ans, sur cet homme, à peu près tout ce qu'on peut lire en langue française. La conscience qu'il avait de la Nation égyptienne, et, au-delà de cette dernière, de l'ensemble du concept de Nation arabe, son sens de l'Histoire, son intelligence tactique face aux grands mouvements tectoniques de la société égyptienne, dont bien sûr les différentes composantes religieuses, sa passion de l'Etat, en font à mes yeux un géant.

    Cela, au-delà de ses succès (Suez, 1956) et de ses échecs (1967), de ses immenses qualités et de ses inévitables défauts. Au-delà de la péripétie, Nasser est, comme de Gaulle, comme Willy Brandt, un homme de l'Histoire. Un homme, face à l'Histoire.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Que chacun tienne son journal !

     

    Sur le vif - Dimanche 16.06.19 - 15.16h

     

    Depuis deux siècles, il y a des gens qui écrivent dans des journaux, et une masse d'autres gens, qui lisent ces journaux. Une immense majorité, pour lire la production d'une infime minorité. Ce temps-là est bientôt révolu. Donnons-lui, en étant magnanime, encore deux ou trois décennies, maximum.

    La révolution des réseaux sociaux, c'est que chacun, s'il en éprouve le besoin, peut tenir publiquement son journal. Chacun de nous est libre de le faire ou non. Libre du choix de ses sujets, de son rythme de parution, de ses angles, de la tonalité qu'il entend donner à ses mots, fougueuse ou raisonnable, rugissante ou sereine, analytique ou engagée.

    Chacun de nous est libre de prendre connaissance, ou non, de ce que les autres proposent. Libre d'aimer, détester, adhérer, rejeter. Libre de partager des textes, des archives, des photos, des musiques, des vidéos. Libre de l'ornementation qu'il veut donner à son journal : sobriété cistercienne pour les uns, limitée au texte ; enluminure baroque pour d'autres.

    Chacun de nous est libre. Chacun s'exprime pour soi, engage sa responsabilité individuelle, met en oeuvre sa sensibilité, ses antennes, ses passions. Dans cet univers, il n'y a ni mentor, ni caïd, ni chef de file, ni gourou. Il n'y a ni Barrès, ni Gide, ni Sartre pour jouer les grands éditeurs, les filtres par lesquels il faudrait absolument passer. Il n'y a ni prêtre, ni officiant, ni intermédiaire. Chacun est libre, chacun est seul, chacun est responsable.

    A partir de là, faites vos jeux. Que chacun tienne son journal. Bientôt, les experts nous rejoindront, il n'auront pas le choix, chacun d'entre eux s'exprimera en toute liberté, et chacun pourra juger de leur expertise. Si un texte est bon, s'il est fondé, s'il apporte du sens, on a tendance à s'en rendre compte assez vite, en général, et on n'a nul besoin d'un souffleur, pour nous indiquer sa qualité.

    Lorsque les réseaux sociaux se seront dégagés de leur péché originel (vie privée, bavardage, délation), ils deviendront le premier vecteur de communication, d'apprentissage, d'accès à la connaissance, de partage du savoir, sur cette terre. En attendant, laissons ronchonner les ronchonneurs, pleurnicher les pleurnicheurs, et vitupérer les vitupérateurs.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • La joyeuse confrérie du soupirail

     

    Sur le vif - Samedi 15.06.19 - 11.09h

     

    Faut-il, à tout prix, aimer le journalisme ? La réponse est non. Nous sommes des citoyens et des citoyennes. Des hommes et des femmes libres, qui entendent le rester. Ce que nous devons aimer, avec passion, c'est la liberté, pour chacun d'entre nous, d'exprimer sa pensée, ses visions, sa sensibilité. En parlant, en écrivant, en dessinant, en dansant, que sais-je encore ? La liberté d'expression, voilà une valeur fondamentale.

    Si le journalisme porte la liberté d'expression, s'il l'illustre, la défend, s'il prend des risques pour cela, alors oui, rendons-lui hommage. Mais pas parce qu'il est journalisme ! Juste parce qu'il serait l'un des vecteurs (parmi tant d'autres) de la liberté d'expression.

    Ce qu'il faut récuser, c'est cet étrange statut du journalisme, véhiculé par le corporatisme de cette profession, comme prétendu sanctuaire, inviolable, de la liberté d'expression. Il ne l'est assurément pas. Tant de journaux sont au contraire le lieu de la censure, à commencer par la pire : l'autocensure. S'interdire de traiter ce qui déplaît, ne pas contredire la masse, ne pas irriter la pensée dominante, ne pas froisser ses pairs, craindre ce qui va se dire en débriefing. C'est cela, la plaie mortelle du journalisme d'aujourd'hui : la peur du semblable. On écrit pour ses confrères, sa caste, au lieu de s'adresser au plus grand nombre.

    Et puis surtout, les journaux ne sont absolument plus le lieu central de l'expression publique. Ils sont juste les résidus grégaires de ce que les groupes industriels, lâchés par les financiers actionnaires, ont bien voulu laisser, pour occuper les dernières années d'un métier qui, né avec Balzac, se meurt doucement, et rendra l'âme d'ici deux ou trois décennies.

    Les lieux d'expression d'aujourd'hui, où sont-ils ? Eh bien ici, pardi, puisque vous avez bien voulu venir y lire ce texte ! Ici, et ailleurs. Sur les blogs, sur les réseaux sociaux, dans la rue. Nous sommes dans une société à peu près libre quant à l'expression (elle pourrait l'être davantage), nous n'avons pas à nous plaindre, nous pouvons nous exprimer, alors allons-y !

    Et l'expression libre est tellement sur les réseaux sociaux, elle y éclate avec tant de vie, que les bonnes vieilles rédactions, salariées, des bons vieux journaux, les bonnes vieilles équipes syndicalisées et corporatistes, passent leur temps, l'index pointé vers le ciel, à nous répéter que les réseaux sociaux ne valent rien, ne sont porteurs que d'humeur et pas de réflexion, ne charrient que de l'émotif et nullement de la raison. Bref, ce serait ici la racaille de la pensée, la joyeuse confrérie des Gueux derrière le soupirail, là où eux seraient l'élite du donjon.

    Laissons-les ronchonner. Laissons-les soupirer. Laissons-les mépriser. Vivons nos vies. Donnons de la voix, de la plume, chacun d'entre nous, individuellement. Soignons nos textes. Cultivons l'ultime dignité du soupirail : de la tenue, et puis du style.

     

    Pascal Décaillet