Sur le vif - Dimanche 16.06.19 - 15.16h
Depuis deux siècles, il y a des gens qui écrivent dans des journaux, et une masse d'autres gens, qui lisent ces journaux. Une immense majorité, pour lire la production d'une infime minorité. Ce temps-là est bientôt révolu. Donnons-lui, en étant magnanime, encore deux ou trois décennies, maximum.
La révolution des réseaux sociaux, c'est que chacun, s'il en éprouve le besoin, peut tenir publiquement son journal. Chacun de nous est libre de le faire ou non. Libre du choix de ses sujets, de son rythme de parution, de ses angles, de la tonalité qu'il entend donner à ses mots, fougueuse ou raisonnable, rugissante ou sereine, analytique ou engagée.
Chacun de nous est libre de prendre connaissance, ou non, de ce que les autres proposent. Libre d'aimer, détester, adhérer, rejeter. Libre de partager des textes, des archives, des photos, des musiques, des vidéos. Libre de l'ornementation qu'il veut donner à son journal : sobriété cistercienne pour les uns, limitée au texte ; enluminure baroque pour d'autres.
Chacun de nous est libre. Chacun s'exprime pour soi, engage sa responsabilité individuelle, met en oeuvre sa sensibilité, ses antennes, ses passions. Dans cet univers, il n'y a ni mentor, ni caïd, ni chef de file, ni gourou. Il n'y a ni Barrès, ni Gide, ni Sartre pour jouer les grands éditeurs, les filtres par lesquels il faudrait absolument passer. Il n'y a ni prêtre, ni officiant, ni intermédiaire. Chacun est libre, chacun est seul, chacun est responsable.
A partir de là, faites vos jeux. Que chacun tienne son journal. Bientôt, les experts nous rejoindront, il n'auront pas le choix, chacun d'entre eux s'exprimera en toute liberté, et chacun pourra juger de leur expertise. Si un texte est bon, s'il est fondé, s'il apporte du sens, on a tendance à s'en rendre compte assez vite, en général, et on n'a nul besoin d'un souffleur, pour nous indiquer sa qualité.
Lorsque les réseaux sociaux se seront dégagés de leur péché originel (vie privée, bavardage, délation), ils deviendront le premier vecteur de communication, d'apprentissage, d'accès à la connaissance, de partage du savoir, sur cette terre. En attendant, laissons ronchonner les ronchonneurs, pleurnicher les pleurnicheurs, et vitupérer les vitupérateurs.
Pascal Décaillet