Il faudra un jour s'interroger sur la tyrannie de "l'échange", l'un des fondements du libéralisme économique, ou plus exactement de la dérive ultra de ce dernier, celle qui régente et régule l'Europe, depuis trente ans.
L’Échange. Je ne pense pas ici à la sublime pièce de Claudel, mais à ces millions de produits dont la circulation frénétique, d'un bout à l'autre de la planète, nous est imposée comme passage obligé du bonheur terrestre. Depuis la chute du Mur, donc du communisme, depuis que le libéralisme est devenu dogme unique.
Au nom de l'échange, nos pays ont laissé mourir nos agriculteurs. Au nom de la domination absolue du Commerce extérieur, qui va jusqu'à infléchir nos taux monétaires, on a laissé tomber une partie importante de la production agricole dans nos pays. On nous fait miroiter des vins d'Australie, du Chili ou de Californie : c'est un peu dommage, les nôtres, les vins suisses, les vins français, les vins italiens, ne sont pas si mauvais, non ?
Au nom de l'échange, on a sacralisé les transactions bancaires internationales, invisibles, inodores, plus rapides que la lumière. On les a défiscalisées, on traite de doux rêveurs ceux qui voudraient les taxer.
Au nom de l'échange, on a laissé les fonctionnaires du Commerce extérieur sécréter des tonnes de directives qui, sous l'apparence incompréhensible du jargon juridique, justement là pour noyer toute compréhension et étouffer toute tentative de contrôle démocratique, n'ont d'autre fonction que de faciliter la vie à ceux qui font commerce d'exporter, ou d'importer mondialement des produits.
Millions de tonnes de kérosène grillés, camions bulgares, roumains, lituaniens, qui envahissent nos autoroutes sans que personne ne sache ce qu'ils transportent. Nourrir le Commerce extérieur, comme on entretient une usine à gaz, faire croire au bon peuple que l'hyper-circulation démentielle des marchandises serait la seule voie du salut.
Il y a trop d'échanges, sur la planète. Il ne s'agit pas de les supprimer, mais de les diminuer. Revenir au raisonnable. Encourager la production indigène, en priorité dans le domaine agricole. Légiférer sur les grands distributeurs. Introduire un rapport avec le Tiers-Monde, notamment les pays d'Afrique, qui soit d'un authentique respect mutuel dans l'éthique de l'échange, et non le pur et simple pillage d'un continent par un autre.
De très grands poètes ou auteurs ont écrit sur le thème de l'échange, dès la tragédie antique, à vrai dire dès les poèmes homériques. J'ai cité Claudel, parce que sa pièce est un éblouissement, tant par la qualité de la langue que par celle du propos. J'aurais pu citer Bernard-Marie Koltès, ce duo bouleversant entre deux hommes, autour d'un échange, un "deal", dans la pièce "La solitude des champs de coton". J'aurais pu citer la Bible, les Psaumes. Et puis, ne parle-t-on pas "d'échange de correspondance", "d'échange amoureux" ?
Sans une réflexion profonde sur le thème de l'échange, sans une volonté politique de remettre à sa place la tyrannie du Commerce extérieur, non pour s'isoler mais pour rendre à l'humain sa primauté sur la transaction, il sera difficile d'avancer. Je vous invite tous à cette réflexion. Tiens, nous pourrions par exemple "échanger nos idées".
Pascal Décaillet