Réflexion politique - Dimanche 19.03.17 - 17.32h
Je l’écris depuis des années, le temps des Parlements n’est pas éternel. Ils sont nés – dans leurs fonctions actuelles – autour de la Révolution française, à vrai dire un peu avant, puisque certains Parlements de Province ont joué un rôle majeur dans la fermentation des idées prérévolutionnaires. Ils ont rempli une mission considérable, pendant plus de deux siècles, dans la vie politique de nos pays. En 1848, en France, en Allemagne, en Suisse, ils étaient au cœur du Printemps des Peuples. Pendant toute la Troisième République française (1870-1940), et même encore la Quatrième (1946-1958), la Chambre était au centre du processus politique. En Suisse, depuis 1848, surtout depuis 1919 (proportionnelle), les Chambres fédérales ont fait avancer le pays. On leur doit l’AVS (1948), les grandes lois sociales, et d’innombrables réformes centrales dans l’Histoire du pays.
Mais les Parlements ne sont pas éternels. D’abord, parce qu’en politique, rien ne l’est : qui aurait encore imaginé, dix ans avant 1789, que le système hérité de la féodalité allait se fracasser si vite ? Ensuite et surtout, parce que les temps ont changé, les moyens d’accès à l’information. Il y a deux siècles, l’immense majorité du peuple était analphabète. Mais le système révolutionnaire lui a donné le droit de vote. Avant tout, le droit d’envoyer, dans la capitale du pays (Paris, Berne, ou la Diète de Francfort, puis le Reichstag de Berlin), des gens cultivés, connaissant les lois, des avocats ou des notaires, très souvent. On leur faisait confiance pour la défense de ses intérêts. On se sentait « représenté » par ces éminentes personnalités. On a appelé cela « la démocratie représentative », héritée du système britannique, en avance sur tous, déjà avant la Révolution française.
Mais aujourd’hui ? Amis Français, vous vous sentez « représentés » par vos députés au Palais-Bourbon ? Compatriotes Suisses, vous avez toujours une totale confiance dans les 200 conseillers nationaux, ou les 46 conseillers aux États ? Concitoyens Genevois, vous les tenez vraiment pour vôtres, nos 11 conseillers nationaux, nos 2 conseillers aux États ? Vous les percevez vraiment comme plus cultivés que vous, mieux instruits dans l’art de la politique, la perception historique et citoyenne des grands enjeux ? Car aujourd’hui, nous savons tous lire. Nous bénéficions de milliers de sources d’informations. Nos connaissances, par les réseaux sociaux, nous les partageons immédiatement. Nous nous nourrissons de celles des autres. Nous donnons à apprécier les nôtres. Nous nous critiquons mutuellement. Nous nous corrigeons. Nous avons mis en réseau notre accès au savoir, notre dimension critique. Nous percutons nos idées, les unes avec les autres. Il n’y a plus de clerc, plus de grand Sage céleste, dont il faudrait boire les paroles. La parole, nous la partageons.
Les Parlements ne sont pas éternels. Rien n’est éternel, ni une vie humaine, ni une dynastie de pouvoir, ni même une civilisation. En France, le vote du peuple, pour une fois consulté, au printemps 2005, sur le Traité constitutionnel européen, a été purement et simplement défait par le Parlement. C’est dévastateur. En Suisse, nous avons eu l’affaire du 9 février 2014. C’est de nature à rompre une confiance. Pire : dans les domaines où, jusqu’ici, le Parlement excellait, la fabrication de nos grandes assurances sociales, les Chambres fédérales ne sont plus capables que de produire de l’immobilité, de l’annulation de forces, de la paralysie. C’est valable pour l’assurance maladie. Ou, on vient de le voir, pour l’avenir des retraites.
Les Parlements ne sont pas éternels. Oh, ils ont encore de beaux jours, des décennies, peut-être même un ou deux siècles. Mais le temps commence à poindre, avec la mise en réseau des connaissances et une évolution des techniques qui ne fait que commencer, où le suffrage universel, actionné chez nous par la démocratie directe, va progressivement s’approprier davantage la dimension politique. Pas seulement pour corriger des décisions parlementaires qui lui déplaisent (référendums), mais surtout pour INITIER lui-même les thèmes. Car avec le crépuscule des Parlements, viendra celui des partis, ces groupes de pression nés exactement au même moment (Révolution française), auxquels pourraient bien se substituer, de plus en plus, des comités citoyens thématiques, regroupés sur un objectif politique à atteindre, par exemple faire passer une initiative. Moins de pouvoir pour les apparatchiks, les soldats du réseau, davantage pour les citoyennes et citoyens. La politique, beaucoup plus orientée sur les thèmes, beaucoup moins sur les personnes et les affiches électorales.
L’avenir dessiné ici, c’est l’évolution des techniques et la mise en réseau des connaissances, par des moyens que nous n’imaginons même pas encore aujourd’hui, qui va progressivement le dessiner. Dans ce processus, passionnant, la démocratie directe, sous toutes ses formes, y compris celles qui restent à inventer, occupera un rôle central, déterminant. Qui s’en plaindra ?
Pascal Décaillet