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  • Ensemble à Gauche : courage et clarté

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 25.03.15

     

    Je vais faire ici l’éloge d’une formation dont il est connu que je ne partage pas les idées, ou en tout cas peu d’entre elles. Mais voilà : j’aime la politique, passionnément, la flamme militante de ceux qui s’engagent, tous partis confondus. Dans une Genève hélas infestée par le flou du compromis, voire les méandres de la compromission, j’apprécie la clarté. La politique est un combat d’idées : très bien, combattons. Mais de grâce, sur des bases lisibles, courageuses. C’est exactement ce que font, dans le canton de Genève, les gens d’Ensemble à Gauche. On apprécie ou non, mais on sait à qui on a affaire. Les positions sont données. Les idées, affichées. Le contact est pris directement avec le peuple. Bien loin des réseaux sociaux, des amicales virtuelles, des congratulations entre soi, à travers la toile. Eh oui, il existe encore, dans les Marges, des partis capables de s’adresser aux couches populaires. Étrange littérature, où la Marge est plus lisible que le texte, plus séduisante, plus chaude, plus fraternelle.

     

    La fraternité : la dernière fois que j’ai entendu ce mot, c’était dans la bouche du Maire socialiste (bien à gauche) de Bruxelles, Salle des Abeilles, à l’Athénée, avril 2009, alors que j’animais un colloque international sur Pierre Mendès France, mis sur pied par Manuel Tornare. Le Belge rougeaud avait hurlé ce mot, et nous avions tous eu l’impression que la Voix du Nord, celui des mines et de Zola, faisait une irruption d’enfer sous les lambris. Oui, la politique a besoin de chaleur. De charisme. De contacts directs. Elle a besoin que des êtres se touchent, s’embrassent, s’émeuvent ou s’émerveillent ensemble, éclatent de rire ou de colère, s’engueulent, s’écharpent, trinquent, se réconcilient. Elle a besoin de la vraie vie des vraies gens, du fracas sonore de la parole, alors que le réseau social ne suinte que de conspirations silencieuses. Sans tonalité. Sans la musique de la vie.

     

    Et puis, il y a des noms. Pardonnez-moi de n’en donner que quelques-uns. Magali Orsini, Salika Wenger, Maria Perez, Vera Figurek, Rémy Pagani, Pierre Gauthier, Christian Zaugg, Stéphane Guex-Pierre. Mais aussi Clarisse Margueron, qui sut parler au Lignon le langage du cœur, Henriette Stebler, infatigable militante carougeoise, avec laquelle nous nous battîmes naguère, pour la cause d’une famille de sans-papiers. Et puis, tous les autres. Certains sont pénibles, exaspérants, ils grognent, vocifèrent. Mais ils sont là, vivants, et dans l’ensemble, leur famille politique donne moins que d’autres (à droite, et même à gauche) la pâteuse impression de l’illisible, celle de l’éternel compromis pour le pouvoir, ou s’y maintenir.

     

    Moi, vous me connaissez, je suis un type de droite. Républicain, social, mais de droite. Mais je rends hommage à ces gens d’Ensemble à Gauche, et à leur manière de combattre. Entre les Verts indéchiffrables et les socialistes agrippés à leurs prébendes, il existe non seulement une troisième voie, mais une autre musique dans la partition politique genevoise. Cette Marge-là sent le bitume autant que les embruns du large. Elle fait plaisir à voir. Loin des pactes de salons. Et de l’altière éternité des notables.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les chaînes françaises aux ordres de Matignon ?

     

    Sur le vif - Lundi 23.03.15 - 12.49h

     

    La manière dont les chaînes françaises nous ont présenté, hier 20h, puis une bonne partie de la soirée, les résultats provisoires ou les projections pour les élections départementales, est pour le moins singulière. Sur tous les programmes auxquels j’avais accès, on nous donne le chiffre du Front national. Mais nulle part celui de l’UMP, toute seule (sans l’UDI-UC-MoDem et les innombrables Divers Droite). Nulle part, non plus, celui du PS seul (sans les Divers Gauche). Autrement dit, on nous balance le résultat brut d’un parti (le FN), et on l’affiche pendant des heures en comparaison, non d’autres partis (l’UMP, le PS), mais de galaxies nommées « bloc de droite » ou « bloc de gauche ».

     

    Il a fallu attendre 23h pour obtenir, enfin, le chiffre de l’UMP seule (déjà fort bon, d'ailleurs), et surtout celui du PS, seul. On le sait ce matin, ce dernier est clairement battu pas le FN. En clair, on a « gonflé » l’UMP avec les Divers Droite. Et surtout, on a gonflé à mort le PS avec une galaxie de Divers Gauche qui n’ont strictement rien à voir, non seulement avec le socialisme, mais surtout avec la social-démocratie de Manuel Valls. Pendant trois heures, on a mélangé des pommes avec des poires. Pendant ces trois heures, tellement précieuses, une immense partie des spectateurs sont allés se coucher, les rotatives de presse écrite ont tourné, certains journaux plaçant ce matin le FN en troisième position, en tant que parti, alors qu’il est clairement deuxième.

     

    Pendant trois heures, on a fait croire aux Français l’existence d'un « bloc de gauche » ou d’un « bloc de droite » qui ne sont, l’un comme l’autre, que pure fiction. La logique de ces départementales n’a strictement rien à voir avec le scrutin majoritaire, uninominal à deux tours, qui prévaut en France pour les législatives depuis la Cinquième République, à part la brève parenthèse proportionnelle inventée en 1986 par François Mitterrand pour affaiblir Jacques Chirac. Pendant trois heures, on a créé l’illusion de blocs idéologiques qui seraient sémantiquement homogènes, alors qu’ils se combattent. D’ailleurs, il suffisait de voir, hier soir, l’ambiance entre la gauche de la gauche, celle de Mélenchon notamment, et le PS, pour constater que la seule vraie nouvelle de ce 22 mars était la fin, à gauche, de la primauté socialiste conquise de haute lutte, de 1971 (Epinay) à 1981 (prise du pouvoir) par François Mitterrand. A l’époque, contre son grand rival, le Parti communiste.

     

    Pour Manuel Valls, il y a non seulement défaite face aux Français, mais revers historique, lourd de conséquences, dans les rapports internes à la gauche française. Tout cela, bizarrement, a été soigneusement tu, sur les chaînes françaises, de 20h à 23h. On a laissé Manuel Valls se précipiter à l’antenne quelques minutes après les résultats et projections de 20h. On n’a cessé, comme des perroquets, de répéter que le PS « limitait la casse », alors que ce parti subit une défaite majeure. L’UMP s’en sort fort bien, même sans avoir besoin de la gonflette des Divers Droite. Et le FN conforte largement son ancrage, son maillage dans la vie politique française.

     

    Pourquoi le résultat isolé, sans les Divers Gauche, du PS, n’a-t-il pas franchement été donné dès 20h ? Pourquoi, pendant trois heures, a-t-on mis en balance le résultat intrinsèque d’un parti avec celui de « coalitions » imaginaires ? Pourquoi, surtout, le grave revers du PS a-t-il été caché jusqu’aux environs de 23h ?

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Bartok 1943 : les sons des adieux

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    Sur le vif - Samedi 21.03.15 - 17.50h

     

    Les adieux de Mariss Jansons, après plus de dix ans d’un travail acharné à la tête de cet ensemble, à l’Orcherstre Royal Concertgebouw d’Amsterdam. C’était hier soir, vendredi 20 mars, le moment de grâce que nous offrait la chaîne Mezzo. L’immense chef letton, 72 ans, n’est que le sixième maestro à la tête de cet orchestre depuis l’année de sa création, en 1888. C’est dire l’attachement du public néerlandais – et, à travers lui, des mélomanes du monde entier – à la personne de celui qui dirige « son orchestre », l’un des plus importants dans le monde musical aujourd’hui.

     

    Le grand moment, ce fut, en fin de programme, le Concerto pour Orchestre de Béla Bartók. Composé à New York en 1943, l’année même où naissait en cachette à Riga, Lettonie, Mariss Jansons : dans le ghetto de cette ville, une partie de sa famille avait trouvé la mort. En exil aux Etats-Unis depuis 1940, Bartok n’y était pas heureux, les commandes se raréfiaient, et c’est presque dans la misère que l’un des plus grands compositeurs du vingtième siècle y mourra d’une leucémie, le 26 septembre 1945, privant le monde, juste libéré de la Guerre, de son exceptionnelle inventivité. Celle qu’on retrouve, justement, dans ce Concerto, l’une de ses dernières grandes œuvres.

     

    A New York, 1943, à des milliers de kilomètres de la Hongrie, Bartók compose une œuvre qu’à Amsterdam, 72 ans plus tard, loin de sa Lettonie natale, dirige un chef de légende. En laissant entendre, dans l’interview diffusée pendant l’entracte, que le choix de programmation était dû au hasard, on se prend à penser que Jansons promène un peu le journaliste Antoine Pecqueur, au demeurant excellent, un jeune confrère dont j’adore l’enthousiasme et la très grande connaissance des choses musicales : il est lui-même Prix de basson du Conservatoire de Lyon.

     

    Comme les dernières années de Bartók à New York (1940-1945) m’ont toujours pas mal travaillé, je pensais à la mort, hier, pendant le Concerto pour Orchestre. J’avais tort : cette œuvre est un incroyable hommage au génie de chaque instrument, les vents notamment. Chacun, mis en valeur, y trouve sa sonorité ciselée : la très belle réalisation d’hier soir a su rendre hommage, plan par plan, au moment exact où il le fallait, à l’apport de chaque instrument. A la vérité, une œuvre impressionnante, aboutissement d’une existence : il y a bel et bien comme un chant de mort dans le troisième mouvement, avant le retour à la vie, le final.

     

    Puisse Mariss Janssons, ailleurs qu’à Amsterdam, ou en y revenant comme invité, nous faire profiter, longtemps encore, de son incomparable expérience du pupitre. Ce chef magique, qui s'était effondré d'une attaque en 1996, en dirigeant la Bohème à Oslo, fait partie, comme feu Abbado, comme quelques autres, de ceux qui m’impressionnent totalement. Il y a en lui, dans l’intensité de la présence, l’incroyable souci du détail, la fusion avec l’orchestre, quelques fragments d’âme qui nous jettent dans l’œuvre. Lorsque cette dernière provient d’un Béla Bartók au sommet de son art, on se dit que la chaîne Mezzo, une fois de plus, nous a mis en contact avec les grands. Et cela, ça fait du bien, vraiment.

     

     

    Pascal Décaillet