Sur le vif - Vendredi 20.03.15 - 17.55h
Depuis des années, ici même, je dis le plus grand bien de Gauchebdo. Je continue ce soir, et n’en démordrai pas. Tant qu’il me restera un souffle de vie, j’accorderai la préférence à ces articles qui nous surprennent et nous emportent, nous cultivent, infiniment, non d’un simple savoir lisse d’encyclopédie en ligne, mais parce qu’ils nous provoquent et nous remuent. Ils creusent, approfondissent, et en même temps nous élèvent, nous arrachent à nos pesanteurs, nous dessinent, à travers le ciel retrouvé, d’insoupçonnés chemins de traverse. Tel est, parmi quelques rares autres, Gauchebdo, hebdomadaire que je lis tous les samedis 15h, à part cette semaine, où j’ai pris de l’avance : chacun défie le temps comme il peut.
Un journal qui nous parle de la Grèce, pays qui vit une expérience unique, et qui en parle avec intelligence, ouverture, à travers la vie politique, mais aussi sociale, et surtout culturelle des Grecs d’aujourd’hui. Là, dans le numéro d’aujourd’hui, no 12, daté du 20 mars 2015, grande interview de Yanis Varoufakis, le déjà célèbre ministre des Finances. Reprise de l’Humanité : « Comme la République de Weimar, le centre a échoué. Le Pasok s’est effondré ». Un moment fort, où le grand argentier d’un pays sans argent renvoie à la puissante Allemagne d’aujourd’hui, celle de Mme Merkel, les fantômes de sa propre mémoire.
Un pays qui nous parle de la Tunisie, c’est tout de même le moins qu’on puisse faire, cette semaine, à travers une présentation du Forum social mondial, qui se tiendra du 24 au 28 mars à Tunis. Un journal qui consacre un long et bel article, signé Bertrand Tappolet, au FIFOG, le Festival international du Film oriental de Genève, sous l’angle, notamment, des ouvrières textiles du Caire. On est quand même, et j’enrage en l’écrivant, en termes d’appel et d’ouverture, à quelques milliers de lieues marines des futilités de mode et de complicité promotionnelle que nous balancent nos suppléments culturels du week-end. Le Samedi littéraire du Journal de Genève est mort. Celui de la Gazette de Lausanne, encore plus impressionnant, oui celui des fulgurances de Franck Jotterand, est mort. Il reste la NZZ, la Frankfurter Allgemeine, quelques autres. Et il reste l’esprit de résistance et d’originalité culturelle de Gauchebdo.
Allez, je vous en donne encore un ou deux. Une remarquable page, signée Myriam Tétaz-Gramegna, sur les 90 ans de Pierre Boulez, ce génial compositeur, éternellement « à l’affût d’un monde sonore inouï ». Ou encore, un papier sur l’horreur des tranchées, vécue par Cendrars, dont on sait qu’il y laissa un bras.
Et si l’écriture, celle d’un papier journalistique comme d’autre chose, nous proposait aussi, comme dans Boulez, le chemin vers « l’inouï » ? Et si chaque syllabe venait ravir nos oreilles d’une indomptable nouveauté ? Et si l’avenir de la presse, contrairement à toutes les apparences, et surtout à toutes les arrogances des grands groupes lécheurs d’actionnaires, appartenait à ces minuscules équipes : une, deux, trois personnes. Mais entre eux, la flamme de l’écriture, la fraternité dans l’ordre du verbe. A partir de là, que Gauchebdo soit communiste, je m’en fous complètement. L’essentiel que j’ai perçu de leur travail est d’un autre ordre, d’une autre solitude, d’une autre galaxie.
Pascal Décaillet