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  • Il faut une presse pour le Tiers Etat

     
    Sur le vif - Samedi 28.02.15 - 17.55h

     

    J’entends des gens de droite se plaindre d’une presse romande qui serait trop à gauche. Ou à l’inverse, des gens de gauche regretter la dérive droitière de nos journaux. Aucune de ces deux positions n’est exacte.

     

    Il n’y a, en Suisse romande, que très peu – trop peu – de journaux de gauche. Et il n’y a strictement aucun quotidien de la droite qu’on pourrait, au niveau national, rapprocher de l’UDC : souverainiste, protectionniste, désireuse de réguler les flux migratoires. En revanche, il y a pléthore – voire unicité – de journaux défendant, au sens large, le libéralisme économique : ouverture des frontières, libre circulation, forte poussée migratoire. La plupart – presque la totalité – de nos journaux défendent ces thèses, ainsi que l’ouverture à l’Union européenne, alors que ces courants de pensée ne sont représentés que par une fraction de l’électorat. Là, il y a un problème, immense, de représentativité de la presse par rapport à ce que nul ne pourra m’empêcher d’appeler « le pays réel », expression que j’assume totalement, et dont je connais par cœur, croyez-moi, l'univers de référence historique et philosophique.

     

    Un mot sur la gauche. Oui, la presse de gauche manque en Suisse romande. Il y a bien le Courrier, ou Gauchebdo (auquel on connaît mon attachement), mais la force de frappe de ces deux journaux, malgré la qualité de leur travail, est bien faible face à la dévastatrice artillerie des deux groupes de presse qui se partagent la totalité du gâteau suisse, l’un et l’autre basés à Zurich, l’un et l’autre fondés sur un modèle d’entreprise plus que libéral, Ringier et Tamedia. Dans ces groupes, les journalistes ne dirigent plus rien, à peine leurs rédactions : toutes les décisions concernant l’entreprise viennent d’hommes d’affaires cherchant à satisfaire l’actionnariat.

     

    Lorsqu’on a érigé à ce point, dans sa structure interne, et jusque dans son ADN d’entreprise, un modèle de capitalisme financier visant à maximiser le profit des actionnaires, il ne faut pas trop s’étonner que, comme par hasard, les lignes éditoriales défendues par les gentils rédacteurs en chef, alignés, couverts, mains sur la couture du pantalon, soient le reflet de cette idéologie. Politiquement, cela se traduit, de la Tribune de Genève au Temps, en passant par bien d’autres, par des journaux PLR, défendant la vision du monde PLR (au reste parfaitement respectable, là n’est pas la question), l’horizon d’attente PLR, la terminologie PLR, les conseillers d’Etat PLR, le conseiller fédéral romand PLR. Le culte voué à Didier Burkhalter pendant son année présidentielle, notamment dans l'affaire ukrainienne, a constitué un indice marquant de ce phénomène.

     

    Pas assez de journaux de gauche, donc. Beaucoup trop de journaux PLR. Et AUCUN, je dis bien AUCUN quotidien que se réclamerait de ce Tiers Etat de la politique suisse que constitue, au niveau national, l’UDC, ou au niveau genevois le bloc UDC-MCG. En clair, dans la presse romande d’aujourd’hui, un tiers de l’électorat n’est absolument pas représenté. Un tiers (la gauche) est clairement sous-représenté. Un tiers est incroyablement surreprésenté. Le problème no 1 de la presse romande est d’être une presse PLR (même le Nouvelliste doit faire face à de sérieux assauts, venant notamment de Martigny, pour s’emparer du fief), amie des milieux libéraux et radicaux, très proche des organisations patronales (et je ne parle pas ici de l’USAM, dont il est heureux qu’elle résiste à ce maelström monochrome). La presse suisse romande est libérale, uniformément, elle ne représente ainsi qu’une petite portion de la population. Elle creuse elle-même entre le pays profond (voyez, je varie les adjectifs) et ses journaux, un fossé qui va bientôt ressembler à une bombe à retardement.

     

    La presse romande a besoin de journaux de gauche. Et elle a besoin, de l’autre côté de l’échiquier, d’au moins un grand journal de la droite anti-libérale, à la fois conservateur et profondément social, proche des petites gens, des PME, favorable à une régulation des mouvements migratoires, à la souveraineté du pays, à une démocratie directe vivante, inventive, bref, le troisième tiers de notre politique. Ce Tiers Etat dont on n’a pas fini d’entendre parler.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Pour la Grèce, voyez Gauchebdo

     

    Sur le vif - Vendredi 27.02.15 - 19.21h

     

    Les journaux, j’en ai lus dans ma vie des dizaines de milliers, dès l’enfance. Et je continuerai, sur papier ou sur écran, nulle importance. Je continuerai à lire des papiers, des chroniques, de l’écrit, du bien torché, de l’envoyé. Plus le journal est engagé, plus il me plaît. Encore dois-je préciser une chose, essentielle : « engagement » n’est pas nécessairement couleur politique. Mais angle. Clef de lecture personnelle. Eclairage. Valeur ajoutée. Et surtout, ce qui me touche le plus : la dimension de solitude. J’ai beaucoup écrit sur celle d’un Péguy, d’un Léon Bloy. L’homme qui tient la plume est un homme seul. Il ne peut être que cela. Il peut bien sûr avoir une famille, des amis, je le lui souhaite. Mais face à l’acte d’écrire, il est seul.

     

    Ces valeurs, que je tiens pour cardinales dans le journalisme, je les retrouve dans Gauchebdo. Le numéro 9, daté d’aujourd’hui (27 février 2015), je viens de le dévorer d’une traite. Il est, une fois de plus, d’une qualité remarquable. Par les sujets choisis. Les angles traités. L’originalité des approches. Le fumet de résistance et de solitude, mais aussi paradoxalement de fraternité, qui se dégage de l’ensemble. Je pense souvent à la communion invisible des lecteurs de ce journal, ce bout de papier les rassemble toutes les semaines, il y a là quelque chose de puissant. Loin des salons mondains (dans la plurielle acception de cet adjectif) que sont les réseaux sociaux, ces labyrinthes en forme de palais des glaces, mais désespérément clos, voilà huit pages de papier qui soudent les âmes.

     

    Prenez la Grèce. Celle de Tsipras. L’un des enjeux les plus importants, les plus lourds de sens, du destin européen contemporain, l’autre étant évidemment ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie. Dans le numéro d’aujourd’hui, plusieurs pages sur ce qui se passe dans ce pays. Reportage à Perama, dans la banlieue populaire d’Athènes, cité ouvrière, taux de chômage très élevé. On y entend la voix des gens, leurs angoisses, leurs espoirs. Reportage tiré de l’Humanité : et alors ? N’est-ce pas là un très grand journal, ne fut-il pas fondé en 1904 par un certain Jaurès ? Et puis, un autre reportage, dans l’une des villes qui me sont les plus chères dans ce pays : la cosmopolite et fascinante Thessalonique, où un collectif citoyen a réussi à bloquer la vente de la distribution publique des eaux au groupe français Suez. Tout cela, dans Gauchebdo d’aujourd’hui, est exposé, raconté.

     

    J’aime Gauchebdo, pour les mêmes raisons que celles qui me font, de plus en plus, détester (à la capitale exception du cahier littéraire de la NZZ du samedi, et celui de la Frankfurter Allgemeine) les suppléments culturels de nos bons journaux romands. Dans ces derniers, malgré de belles plumes, règne un parfum de promotion et d’obédience aux modes du temps. Dans Gauchebdo, un goût de silex qui ressemble à l’idée de résistance. Et cela, jusque dans l’écriture, se transmet. Ainsi, pour l’expérience grecque, que pour ma part je suis avec passion, voyez Gauchebdo. On n'y parle ni de Mme Merkel, ni de son ministre des Finances, ni de la Banque mondiale, ni du FMI, ni de la Banque centrale européenne, ni de l’échelonnement de la dette. On y parle d’un peuple. On y perçoit son souffle, sa langue, ses souffrances. Et quelque part, dans ce pays de lumière, l’étincelle de l’espérance. Merci, Gauchebdo.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Illisibles Verts

     

    Commentaire publié dans GHI - 25.02.15


     
    Il y a un peu plus de trente ans, lorsqu’ils sont apparus sur la scène politique, il paraît que les Verts servaient à quelque chose. A l’époque déjà, tout en partageant leurs préoccupations légitimes pour notre environnement, je me méfiais viscéralement, non d’eux (car ce parti est riche de belles individualités), mais de leur discours post-moderne, prétendant s’affranchir de l’Histoire, du poids des nations et des frontières, au profit d’un monde nouveau.
     


    Aujourd’hui, le tragique de l’Histoire revient. Les frontières sont toujours là, les gens les réclament. L’attachement aux nations n’est pas mort, les citoyens s’en prévalent. Les grands rêves transfrontaliers, Union européenne par ci, Grand Genève par-là, s’effondrent comme des châteaux de cartes. Le frisson libertaire issu de 68 s’est fracassé contre les récifs du réel. La seule chose qui reste aux Verts, c’est leurs discours sur la protection de la nature. Mais, hélas pour eux, tous les autres partis, aujourd’hui, le tiennent aussi.
     


    Voilà donc les Verts face au miroir de leur illisibilité politique. Où sont-ils ? A droite ? A gauche ? Ils sont même pour la loi sur la police, signée Maudet ! Ils ont pénétré les arcanes du pouvoir, au point maintenant de s’y accrocher. Mais leur traçabilité, leur identité font cruellement défaut. Au point que les bons vieux partis issus de la lutte des classes – le parti socialiste, par exemple, mais aussi Ensemble à Gauche – dont les Verts se gaussaient tant naguère, les reléguant au monde de Zola, finiront par leur survivre. Ironie de l’Histoire, où l’ancien enterre le moderne. Parce qu’il vient, lui, de quelque part, avec de la mémoire, du sang, du tragique, des combats. Et non surgi d’un simple rêve libertaire, soluble dans le néant.


     
    Pascal Décaillet