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La langue, ce répit entre deux massacres

 
 
Sur le vif - Vendredi 17.10.25 - 18.48h
 
 
La question centrale est celle de la langue. Grecque, allemande, hébraïque, arabe, copte, arménienne. La langue.
 
Le chemin de paix, long et difficile, passe par le silence. Et il passe par la langue. Les ennemis ne se parlent pas, ils s'entretuent. Les émissaires osent quelques syllabes, mais que valent-elles ? Seuls deux humains habités, de l'intérieur, par la lumière de la paix, ont une chance, peut-être, d'avancer un peu. Défricher le macabre. Se frayer un chemin dans les ruines. Laisser poindre la mémoire, des deux côtés, celle des souffrances, celle des rancunes, celle des désirs cachés de vengeance. Il faut que cela, cette infection des âmes, puisse émerger.
 
Et c'est là que commence le travail de la langue. On dit des négociateurs qu'ils "parlementent". Ca veut dire qu'ils parlent ? Ou ça veut dire qu'ils mentent ?
 
Celui qui vient négocier pour rouler l'autre, le roublard, ne fait rien avancer. Il n'est pas un homme de paix, il n'est pas sur le chemin.
 
Il faut installer un contact par le miracle de la langue. C'est le terrain, le seul, où peut poindre, peut-être, une étincelle de lumière. Lisez à tout prix "Saint-Germain ou la négociation", publié le 19 juin 1958 par Francis Walder, qui lui vaudra le Goncourt. C'est l'espoir, par les lumières infinies de la langue, de décrocher en 1570 une paix, en pleines Guerres de Religion, deux ans avant la Saint-Barthélémy. Catholiques et Huguenots se rencontrent, négocient dur et ferme, autour de quelques places fortes, et des conditions d'exercice de la Religion réformée en France. C'est un livre époustouflant d'intelligence. Et c'est un livre sur la langue. Autour de la langue. Ce répit entre deux massacres.
 
Car la langue, c'est la vie. Et la guerre, c'est la mort.
 
Car le chemin vers la langue, pour paraphraser le sublime titre de Heidegger, "Unterwegs zur Sprache", c'est le chemin vers la vie. Et la duperie du roublard, c'est le chemin vers le retour de la mort.
 
L'Orient compliqué est terre de langues, de signes, de syllabes mêlées, d'invitations à la prière, de papyrus, de parchemins, de codes cryptés, de rituels, de prescriptions alimentaires, de tombeaux. Se promener dans la Vieille Ville de Jérusalem, "Trois fois sainte", et mille fois habitées de lumières et de signaux qui s'entrechoquent, c'est cheminer dans la langue. L'hébreu. Le grec byzantin. Le géorgien. L'arménien. L'arabe. Le copte. Le syriaque.
 
Habiter une langue, c'est déjà habiter toutes les langues du monde.
 
 
Pascal Décaillet
 

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