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  • Une initiative ? Rien de plus difficile !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 18.03.15

     

    Il fut un temps, à mes débuts dans le journalisme politique, où aucune initiative populaire fédérale ne passait jamais. Et cela, depuis des temps immémoriaux : de 1949 à 1982, aucune des nombreuses initiatives proposées au souverain n’est passée. Puis, une seule en 1987 (Rothenthurm). Puis une autre en 1990 (moratoire sur le nucléaire). Puis deux en 1994 (initiative des Alpes et 1er Août férié). Depuis, quelques-unes, dont la dernière en date, le fameux texte sur l’immigration de masse, le 9 février 2014. Depuis 1891, l’écrasante majorité des initiatives sont refusées. Cela, pour une raison bien simple : réussir son pari, un beau dimanche, devant la double majorité du peuple et des cantons, est un défi extraordinairement difficile. Il exige une énergie phénoménale. Et surtout, un choix du thème qui corresponde vraiment à des attentes profondes, viscérales, de l’électorat.

     

    Deux partis, le dimanche 8 mars, en ont fait la cruelle expérience. Le PDC suisse, dont l’initiative pour défiscaliser les allocations a été balayée par plus de trois Suisses sur quatre (75,4%). Et surtout, les Verts libéraux, qui s’étaient mis en tête de remplacer la TVA par une taxe sur l’énergie, idée napalmisée par 92% des votants. Dur, très dur, pour ces deux partis qui ont fait campagne, joué le jeu, argumenté devant le peuple, mais au final subi des échecs cinglants. D’autant plus saumâtre en année électorale : comme preuve de vitalité d’une formation politique, à sept mois des élections fédérales (18 octobre), on pouvait faire mieux. On imagine, au plus haut niveau de ces partis, la gueule de bois, le sentiment d’échec, l’aigreur des débriefings, les responsabilités qu’on se refile les uns aux autres, comme des patates chaudes.

     

    L’échec d’une initiative ou, beaucoup plus rarement, sa réussite, relève d’une magie dont nul ne détient la recette. Disons qu’il faut aller chercher, dans l’âme du citoyen, quelque chose de profond et d’enraciné, dont on aurait pressenti l’existence, et que l’ensemble des corps constitués du pays, Parlement, partis, auraient totalement sous-estimé. L’initiative fonctionne ainsi comme droit de parole enfin donné aux sans-voix, revanche de la majorité silencieuse. On l’a vu dans l’affaire des criminels étrangers, ou celle de l’immigration de masse. On l’avait, en effet, totalement sous-estimé dans l’initiative des Alpes. Ou encore chez Franz Weber, qui, lui, a toujours su s’adresser à quelque chose de puissant dans le rapport d’émotion du peuple suisse avec son paysage. Dans ces cas-là, ce sont des lames de fond que les initiants sont allés chercher : il faut bien avouer qu’avec l’histoire d’une taxe supplémentaire sur l’énergie, alors que la TVA fonctionne très bien, on n’était pas vraiment dans cet ordre-là.

     

    Notre démocratie directe, en Suisse, est notre bien le plus précieux. Justement parce qu’elle est difficile. Elle va chercher en nous une âpreté au combat, une ardeur dans l’effort, un goût du défi qui sont aux antipodes de cette « démocratie d’opinion » avancée par ses détracteurs, cette sorte de sondage permanent où un seul clic suffirait pour faire office d’acte citoyen. Non, le référendum et surtout l’initiative, en Suisse, sont des chemins caillouteux, escarpés. A l’image de notre pays, de son relief, avec son âme tourmentée. Où tout se mérite. Et rien n’est jamais acquis.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Laplace sur Oltramare : éblouissant

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    Sur le vif - Mardi 17.03.15 - 17.13h

     

    Depuis trente ans, chaque livre d’Yves Laplace est pour moi un événement. Une bonne trentaine, justement, et tant de souvenirs de théâtre, sa collaboration magique avec Loichemol, au premier plan desquels j’inscris « Nationalité française » (1986), l’un des textes les plus forts sur les Français d’Algérie. Et puis, des romans, des tonnes de souvenirs de radio avec lui, par exemple « La Réfutation » (1996), sur le thème de la filiation. Je savais que Laplace planchait depuis des années sur un nouveau livre, j’ignorais encore récemment que l’ouvrage allait tourner autour de Georges Oltramare (1896-1960), leader de l’Union Nationale à Genève dans les années trente. Un homme sur les archives radiophoniques duquel j’avais travaillé, notamment son fameux discours face au Parc de l’Ariana et la SDN, en 1936. Je viens de finir « Plaine des héros ». Ce livre est pour moi un éblouissement.

     

    Deux possibilités. Soit, par pédagogie, on réduit l’ouvrage à son héros, le personnage historique d’Oltramare, déjà largement passionnant. Soit on entre en matière sur la forme romanesque de Laplace, c’est évidemment moins populaire, plus littéraire, mais il y a tant à dire sur la théâtralité du récit, l’originalité des dialogues, qu’on se plaît déjà à rêver d'un futur « Plaine des héros », Laplace-Loichemol, sur quelques planches genevoises. Là où tout se complique, ou peut-être au contraire se simplifie, c’est qu’Oltramare, fils d’un latiniste dont Olivier Reverdin nous avait souvent parlé, est lui-même homme de lettres, homme de théâtre, auteur à succès dans les années vingt et trente. Cet homme-là aussi apparaît dans le livre d’Yves Laplace, avec les multiples facettes de son talent, loin de l’orateur fasciste qu’il savait être face aux foules.

     

    Et puis, vous pensez bien qu’Yves Laplace, romancier par excellence, ne va pas se contenter de nous raconter cursivement la biographie du chef frontiste : non, c’est dans les intelligences déroutantes de ses approches que réside le petit miracle du livre. On y découvre un neveu d’Oltramare, Grégoire, dont l’auteur avait fait la connaissance un peu par hasard en pleine rédaction de son livre, et qui nous révèle un autre visage d’Oltramare. Alors, parallèlement au livre, on se plonge, comme je l’ai tenté ces derniers jours, dans le maximum d’accès possibles à l’Oltramare historique, on découvre qu’il est par sa mère le petit-fils du conseiller d’Etat Antoine Carteret, leader radicalissime du dix-neuvième genevois, ou encore que son frère cadet était devenu conseiller d’Etat socialiste, lointain prédécesseur de Chavanne au DIP, entre 1924 et 1927.

     

    Le destin du Georges Oltramare historique, on le connaît : il collabore (c’est le mot !) à Radio Paris pendant l’Occupation, sous le surnom de Charles Dieudonné (si !), passe par Sigmaringen en 44-45, fait de la prison en Suisse, est condamné à mort par contumace en France, décède en 1960. Saviez-vous par exemple qu’il avait même, en 1956, au début du règne de Nasser, animé une émission antisémite en Egypte, « La Voix des Arabes » ?

     

    Mais disant tout cela, je ne vous ai encore rien dit. J’aimerais, dans un autre texte, revenir sur l’essentiel : l’art du dialogue, du récit, les tournures du roman chez Yves Laplace. Car nous sommes dans une structure incroyablement travaillée : le surgissement des personnages, des événements, est paré de la folie des meilleurs mécanismes du théâtre. Oui, ce roman-là est peut-être fait pour les planches. Mais c’est une autre histoire. Ou tout juste la même, autrement.

     

    Pascal Décaillet

     

    "Plaine des héros" - Par Yves Laplace - Fayard, février 2015 - 346 pages.

     

     

  • Manuel Valls, l'Inquisiteur

     

    Sur le vif - Dimanche 15.03.15 - 15.36h

     

    Matignon, depuis la Cinquième, c’est l’enfer : on n’est plus, contrairement aux deux Républiques d’avant, le lieu du moindre pouvoir, tout s’est déplacé à l’Elysée, on n’est plus là que pour prendre des coups, se meurtrir à la tâche, se lacérer de contrariétés, jouer les paratonnerres, et finalement, épuisé, se faire jeter comme un kleenex. Depuis janvier 1959, depuis Debré, même topo, même destin, même course vers l’abattoir, sous les lambris, les huées. Il ne reste de vous, à la fin, que la queue et les oreilles, pour le public. Au mieux, la musique, sous le soleil encore écrasant d’une fin d’après-midi, l’été. Il est des destins plus rafraîchissants.

     

    A la vérité, une saloperie de job. Tout le monde le sait, et pourtant il se trouve encore, 56 ans après le changement de République, des gens pour s’y coller, accepter le défi, en se disant que leur sort à eux sera peut-être un peu moins infernal. Mais toujours, le piège se referme, toujours en cas de duel, le Président gagne. C’est programmé pour ça, dès le Discours de Bayeux (juin 1946), douze ans avant la mise en application du Nouvel Ordre. La clef de voûte, c’est le chef de l’Etat. Pas question de dyarchie. Donc, le Premier ministre sera au mieux un chef d’état-major travaillant 18 heures par jour, au pire un fusible, bien souvent les deux. Le cosmos ne saurait admettre deux soleils : cent mille, pourquoi pas, mais pas deux.

     

    Tout cela pour dire que Manuel Valls a des circonstances atténuantes. A l’Intérieur, il ne s’en sortait pas si mal, mais depuis Matignon, c’est la catastrophe. En guise de Premier ministre, les Français ont hérité d’un criseux. Un vociférateur. Une boule de nerfs qui perd son sang-froid à la moindre occasion. De lui, on ne voit plus qu’une lave en fusion, ébouillantée par le cours contraire des choses. Une main qui tremble. Les mots de la haine et de la morale. Des postures d’Inquisiteur. La noire prunelle du moraliste. Dire qu’on traverse la France, et qu’on se croirait dans la salle capitulaire d’un couvent espagnol, sous le signe de Saint Dominique.

     

    Car Manuel Valls ne fait plus de politique : il hurle sa morale. Prenez l’incident du Palais Bourbon, face à Marion Maréchal-Le Pen. Indépendamment des sympathies que chacun de nous puisse nourrir pour l’un ou pour l’autre, qu’avons-nous vu ? Une élue du peuple, parfaitement légitime au milieu de 577, lui pose une question. Certes, elle ne lui fait pas de cadeau, le prend à partie. En guise de réponse, le Premier ministre, qui n’est pas chez lui mais chez les députés, vocifère sa hargne. Il n’argumente plus, il crie. Crache son venin. Se drape dans l’ordre du Bien, satanise l’adversaire, lui nie toute autorité à se réclamer de « la République » ou de « la France ». Tout cela, lui qui n’est pas élu mais désigné, face à une personne qu'une majorité démocratique de la 3ème circonscription du Vaucluse a envoyée siéger à Paris.

     

    A la tête du gouvernement français, une boule de haine et de morale. Un indicateur du droit chemin. L’orthodoxie du Bien. Si vous ne pensez pas comme moi, vous n’êtes ni la République, ni la France. Du haut du Matignon, je vous exclus. Par mon geste, vous sortez de la communion nationale. Parce que vous pensez faux. Tel est Manuel Valls, l’homme qui détient les clefs du convenable. Celui qui sépare le possible de l’illicite, les élus des damnés. Pour la plus grande gloire de sa morale, il nous promettrait des châteaux en Espagne. Ou plutôt des monastères. Sous l'incandescente géométrie du soleil, exactement.

     

    Pascal Décaillet