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  • Droite genevoise : la machine à perdre

    Sur le vif - Jeudi 26.06.08 - 15.50h

     

    Le PDC genevois respire : il va pouvoir rester pur. Nul miasme, nulle souillure. Non seulement il rejette tout contact électoral avec l’UDC, mais menace de sortir de l’Entente si radicaux ou libéraux acceptent, peu ou prou, ne serait-ce qu’un apéritif avec le Diable. Décision prise hier soir, à une majorité brejnévienne, en assemblée générale. Les sacristies peuvent souffler : l’honneur est sauf. Et la machine à perdre, une fois de plus, va pouvoir se mettre en marche.

     

    Qu’un parti ait des valeurs, c’est tout à son honneur. Que celles du PDC genevois soient bien lointaines de l’UDC, nous en convenons aussi. Et peut-être, au fond, sont-elles inconciliables. Mais fallait-il, à ce point, fermer la porte avant même de discuter, là où les radicaux, beaucoup plus habiles, ont posé, avec fermeté et sans concessions, des conditions ?

     

    Ces trois conditions, les voici : accepter le processus des bilatérales avec l’Union européenne, notamment la libre circulation ; accepter le principe du dialogue social ; renoncer à certaines affiches infâmes, et à un style politique de western. Ca n’est pas rien, ce triptyque de garanties ! Il n’y a que très peu de chances que l’UDC les accepte. Mais au moins, le « droite classique » laissait ouvert un espace de dialogue, au lieu de se vêtir de la toge immaculée des intouchables.

     

    D’autant moins habile, cette décision du PDC, que tant de choses, en huit mois, se sont passées : les 29% de l’UDC aux élections fédérales ; le coup du 12 décembre ; les fissures au propre sein du parti vainqueur. Tout cela, justement, constitue, pour la droite suisse, d’opportunes occasions de recomposition. Il existe, certes, à l’UDC, des extrêmes nationalistes et isolationnistes. Mais la grande majorité de l’électorat de ce parti se rattache, en fait, et n’en déplaise aux exaltés qui veulent voir partout les ultimes journées de la République de Weimar, au bon vieux fond simplement conservateur qui constitue l’un des socles essentiels de la Suisse.

     

    L’enjeu, à Genève, quel est-il ? La couleur de la majorité qui suivra les élections cantonales de l’automne 2009 ! Au Grand Conseil, mais surtout au Conseil d’Etat, où on pourrait imaginer une correction, par le peuple, de l’anomalie de cette législature. Avec cette décision du parti des Purs et des Justes, c’est très mal parti. Et la machine à perdre, comme chez Tinguely, n’a pas fini de tourner sur elle-même.

     

  • Régions : le crépuscule des proconsuls



    Edito Lausanne FM – Jeudi 26.06.08 – 07.50h

    Aussi déplaisante soit-elle pour le poids des habitudes et des corporatismes, la décision de notre confrère « Le Matin » de supprimer ses bureaux régionaux peut être lue comme un acte novateur, qui pourrait bien, dans les années qui viennent, donner des idées à d’autres rédactions.

    Les bureaux cantonaux : cela concerne les médias supra-cantonaux, d’envergure romande. Il n’y en a pas des dizaines : RSR, TSR, le Temps, le Matin, l’Hebdo. Quand on a prétention à couvrir  toute la Suisse romande, il faut évidemment avoir le meilleur réseau d’informations possible sur sept cantons tellement différents les uns des autres : Genève, Vaud, Valais, Fribourg, Neuchâtel, Jura, et la partie francophone bernoise.

    Le « meilleur réseau », cela signifie avoir infiltré en profondeur la classe politique, les décideurs économiques et culturels. Connaître personnellement les gens, les enjeux, les amours et les haines, les inimitiés et les rognes, les affaires cachées. Voilà, certes, qui plaide pour un correspondant régional, avec tout ce que cela implique d’ancrage, d’apéros, de petites confidences. Les fuites, longtemps, c’était pour lui.

    Mais cela, depuis quelques années, change. L’apparition du portable, l’émergence de grandes émissions politiques au niveau romand, l’arrivée de personnalités très fortes, comme Peter Rothenbuehler, dans les rédactions centrales, tout cela a doucement rendu un peu caduc le monopole proconsulaire des baronnies régionales.

    L’idée du Matin de dégager des forces, et pourquoi pas puissantes, en fonction de l’événement est une vraie idée journalistique, elle est même la règle numéro un de ce métier : lorsque quelque chose se produit, on va voir. Par son dynamisme et sa souplesse, cette idée écrase celle de la logique par la répartition géographique. On dira qu’elle est dictée, cette idée, par des contraintes économiques. – Et alors ! C’est souvent dans ce genre de situation qu’une rédaction opère des choix décisifs et imaginatifs.

    Les autres rédactions d’envergure romande, qui n’ont pas (encore) à ce point le couteau sous la gorge, prennent sans doute, ce matin, tout cela de très haut. Laissons venir les mois et les années. Laissons venir la concurrence. Laissons venir et éclore l’audiovisuel privé. Et nous verrons bien les choix du futur.


  • Mon premier livre d’été : Lacouture



    Édito Lausanne FM – Mercredi 25.06.08 – 07.50h

    La promesse de vacances est une promesse de lectures. Je sais déjà quel sera mon tout premier livre, quelque part au-delà des Alpes : « L’Algérie algérienne », de Jean Lacouture, aux Editions NRF Gallimard. Parce que l’Histoire de l’Algérie, depuis 1830 en tout cas, est l’une de mes passions. Et parce que Jean Lacouture, ce formidable jeune homme de 87 ans, est, de loin, l’auteur que j’ai le plus lu. À part Hergé, bien sûr.

    Je vous le dis tout net : il faut lire tous les livres de Lacouture. Et certains, comme le « Mauriac », le « Mendès France », et surtout l’éblouissant triptyque sur de Gaulle, il faut les lire cent fois. Lacouture, c’est un journaliste, exceptionnel témoin de son temps, et c’est un écrivain. Son « Mauriac » nous décrit le Bordeaux du tournant des deux siècles, celui qui verra grandir à la fois l’auteur de Thérèse et, plus tard, Lacouture lui-même, comme personne avant lui n’avait réussi à le faire. Monde fermé, bourgeoisie possédante, venimeuse et pieuse, nœud de vipères.

    Mais il y a aussi Nasser, Hô Chi Minh, Léon Blum, Champollion, Malraux, Montaigne, Mitterrand, Germaine Tillion (qui vient, centenaire, de nous quitter), sans oublier l’exceptionnelle série sur l’histoire des Jésuites, d’Ignace de Loyola  à Saint François Xavier. Lacouture est le plus grand biographe politique de langue française au vingtième siècle.

    Ajoutez à cela un homme simple et effervescent, étourdissant dans l’interview, répondant exactement à votre question, mais par mille détours. On aurait envie de l’entendre, et l’entendre encore.

    Oui, je lirai cette « Algérie algérienne », comme j’ai lu et relu tous les autres, sans doute dix fois le « Mauriac » et une bonne trentaine, le « de Gaulle ». C’est mon problème : je lis toujours les mêmes livres. Comme pour revivre, encore et toujours, ce moment de l’étreinte première avec certains textes. L’Algérie, Lacouture la connaît par cœur. Celle de la présence française, celle de la décolonisation, celle de l’émir Abd el-Kader, de Messali Hadj et de Fehrat Abbas.

    L’idée de me plonger dans cette histoire incomparable, la lente découverte d’une identité nationale, quelque part, oui, au-delà des Alpes, tout cela, par avance, m’enchante et me ravit. Et moi, heureux homme, quelque part dans « les plaines les plus fertiles du monde » (Bonaparte), je penserai à la Mitidja, juste là-bas, sur cette même Mer qui est nôtre. Quelque part, à la fois ailleurs et ici, sous le soleil.