Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Moustache et délation



    Édito Lausanne FM – Mardi 24.06.08 – 07.50h

    Débonnaire et moustachu, le bon docteur Rielle est un socialiste sympathique, ce qui est, en ce bas monde, une grâce aussi rare qu’un trèfle à quatre feuilles. Il ne donne pas l’impression, dès le premier abord, de s’apprêter à vous poignarder le dos. Il ne cherche, en apparence, à régenter ni la langue, ni la presse. Il ne vous assomme pas, d’emblée, avec la morale ou l’idéologie. Bref, presque fréquentable.

    Presque, sauf lorsqu’il part en croisade. Son mirage à lui, sa Jérusalem céleste, ses moulins à vent, c’est la fumée. La bagarre de sa vie. Qui l’a sans doute, maintes fois, transformé en héros, où Rielle deviendrait Rieux, et le tabac, la Peste. Il a, avec lui, la morale, et, bien mieux : une récente majorité du peuple de son canton. Que demander de plus ? Peut-être, un jour, comme les animaux de Brême, aura-t-il sa statue.

    Le hic, c’est lorsque la moustache devient délation. Qu’un avocat parmi les plus brillants, Me Bonnant, ait déclaré, dans un impétueux élan d’insolence libertaire, ne pas se sentir lié par l’interdiction de fumer dans les lieux publics, qui entre en vigueur le 1er juillet à Genève, est une chose. Il existe des provocations un rien plus dangereuses pour l’ordre public. Mais enfin, admettons qu’il y ait là quelque fureur adolescente, demeurée comme braise.

    Mais que Papy Moustache, devenu Papy délation, se croit obligé de saisir le bâtonnier de l’Ordre, se demandant si l’invétéré torrailleur est encore digne de siéger au Conseil supérieur de la magistrature, il y aurait presque là de quoi ternir une vie d’efforts pour paraître débonnaire. Quand on a affaire à un être aussi esthétiquement individuel que Me Bonnant, il faut l’attaquer lui, en face, d’homme à homme, et il y a quelque chose de vulgaire à s’en aller saisir quelque instance collective. Comme d’autres imposent des directives pour régenter la langue.

    Cela, docteur Rielle, bien pire qu’une entorse à la morale, aux usages, à l’éthique, à l’habileté, cela porte un nom qui doit déplaire souverainement aux patriciennes préférences de notre homme de robe : cela s’appelle une faute de goût.





  • Vers l’armée de métier



    Édito Lausanne FM – Lundi 23.06.08 – 07.50h


    Le récent drame de la Kander amène de nombreux observateurs à cette question, que nous nous posons tous : « A quoi sert donc l’armée suisse » ? J’ai fait, dans ma vie, près de 500 jours d’armée, n’étant ni antimilitariste ni fana du treillis, disons que j’ai fait mon boulot, comme l’immense majorité de mes camarades. À l’époque déjà, la question de la finalité suprême se posait. Aujourd’hui, elle est franchement brûlante : nul ne peut plus l’esquiver.

    Pendant toute ma jeunesse, en tout cas jusqu’au 9 novembre 1989, on nous parlait défense frontale du pays, guerre de chars en rase campagne, combats de position en milieu urbain. Bref, nous attendions Guderian. Puis, une fois le Mur tombé, on a commencé à parler menace terroriste. Le 11 septembre 2001 ayant évidemment donné aux tenants de cette hypothèse une sacrée aubaine. Entre ces deux dates, l’armée suisse avait déjà accompli d’immenses réformes, sous l’impulsion, notamment, d’une commission à laquelle j’avais eu l’honneur d’appartenir, en 1990, la commission Schoch. Sous l’impulsion, aussi, de deux excellents ministres de la Défense successifs : Kaspar Villiger et Adolf Ogi.

    Sur les années Schmid, je serai plus réservé, la lenteur de réaction et le manque de vision prospective, le manque d’audace aussi, du principal intéressé n’y étant pas pour rien. Car enfin, il ne suffit pas d’être colonel soi-même, certes humaniste et profondément respectueux des hommes, pour affronter avec lucidité et imagination les défis du futur. Aujourd’hui, la question est : « Au nom de quoi la Suisse a-t-elle encore besoin d’une armée avec conscription obligatoire ? ». Qu’on ne vienne pas nous parler de creuset pour l’identité nationale : le rôle de l’armée est de défendre le pays, ou d’accomplir des tâches de sécurité vitales, non d’éduquer les gens au vivre ensemble. Pour cela, on pourrait imaginer qu’il y ait, par exemple, l’école. Ou la famille.

    Bien sûr, toute collectivité humaine a besoin de pouvoir assumer sa sécurité. Mais franchement, à cet effet, un corps professionnel, parfaitement instruit, motivé, auquel on aura pris soin d’extraire les Rambos, peut rendre au pays d’immenses services. Il y a, pour cela, en Suisse, largement assez de volontaires. Cette question, dans les années qui viennent, sera à l’ordre du jour. Elle appartient évidemment aux citoyens de ce pays dans leur corps électoral le plus large : le suffrage universel. Le jour venu, j’en suis persuadé, les citoyens diront oui.

  • Pierre Weiss et les vipères



    Édito Lausanne FM – Vendredi 20.06.08 – 07.50h



    Il est, sur cette Terre, une étrange communauté humaine dont les membres, de toute éternité, passent plus de temps à s’éviscérer entre eux qu’à affronter leurs adversaires. Ce nœud de vipères porte un nom : le parti libéral genevois.

    De brillantes individualités, du venin à revendre, le goût de la plume et du sarcasme, un Club du lundi, des conjurés du mercredi, des présidents de passage, la morsure comme passion, la griffure pour tuer le temps, des clans qui feraient passer la Sicile, en comparaison, pour une fraternelle communauté œcuménique, en sandales.

    C’est dans ce contexte, à la Mauriac, où le Sagouin n’est jamais très loin, qu’il faut placer la philippique assassine de Charles Poncet, serial killer devant l’Eternel, contre son « cher ami » le président du parti libéral suisse, Pierre Weiss, dans l’Hebdo d’hier. Un texte qui surpasse en violence bien des autres, du même auteur : on n’est jamais aussi bien assassiné que par l’un des siens, ça doit faire plaisir à savoir, lorsque le poignard, brûlant comme la confraternité, vous travaille les entrailles.

    Il est d’usage, chez quelques libéraux genevois, d’ordinaire ceux qui en font le moins pour le bien commun, de cracher quelque fiel patricien, bien sûr derrière son dos, sur Pierre Weiss. Ce que Poncet au eu (lui, au moins) le courage d’écrire en public, ils le murmurent, eux, dans leurs banquets, leurs loges de velours. Ne serait-il, au fond, pas exactement de leur monde ?

    C’est possible. Il se trouve que Pierre Weiss est un homme cultivé, plein d’esprit, d’énergie, et d’imagination politique. Des qualités qui font de l’ombre, dans un monde où le dandysme décadent, fatigué du politique, revenu de tout, règne en maître. Weiss : un homme, aussi, qui voit plus loin que son parti, a compris depuis longtemps qu’au niveau national, entre radicaux et libéraux, il n’y avait pas l’épaisseur de l’une de ces feuilles de Havane que ses ennemis internes affectionnent tant. Et même par rapport au PDC.

    Doublé dans la dernière ligne droite, cet automne, par un adversaire que sa campagne sur les mendiants n’a pas grandi, Pierre Weiss n’est malheureusement pas devenu conseiller national. Il n’en est pas moins l’un des députés les plus créatifs du Grand Conseil genevois. Cela aussi, à l’interne, crée des jaloux. Alors, on ourdit, on trame, on fourbit, on aiguise. Lui, pendant ce temps, s’active à faire de la politique, aux niveaux de compétence qui sont les siens. Dix hommes comme lui, et son parti serait sauvé. Disons cinq.

    Le problème, c’est qu’il n’y en a qu’un. Et, tout autour de lui, ces dizaines de vipères qui se lovent et s’entortillent. Amicales et souriantes, comme la mort, un soir d’été.