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  • Eric Zemmour clive, RTL décline

     

    Sur le vif - Lundi 28.05.12 - 13.29h

     

    Pathétique direction de RTL ! Face à une pression sans précédent pour qu'elle vire Zemmour, la voilà écartelée entre sa décision de foutre dehors le dérangeur, et son souci d'image : ne pas apparaître comme à la botte du pouvoir. Alors, n'osant dire tout de suite que Zemmour ne sera pas de la grille de la rentrée, donc qu'il est viré, elle affirme  « réfléchir depuis plusieurs semaines à une refonte de la tranche matinale » (sylvestre langue de bois), et reconnaît qu'elle juge le chroniqueur « trop clivant ».

     

    Clivant. J'ai entendu tellement de milliers de mots, dans ma vie, tellement aimé ceux de Verlaine ou de Paul Fort, tellement prêt à me damner pour le bonheur d'une syllabe. Mais « clivant » ! D'abord, le mot est d'une rare putridité, avec ce « v » perdu entre deux voyelles, l'impuissance de ce participe présent, le gérondif des lâches ! Il faut être plouc, immensément, pour user d'un tel vocable, avoir peur des vrais mots, peur de la vie, peur de soi-même. Un homme d'honneur ne dit pas « clivant ». Il vire Zemmour, peut-être, le tue, pourquoi pas, mais ne dit pas « clivant ».

     

    Or donc, braves gens, RTL ne veut plus de chroniqueurs « clivants ». Alors oui, avisse à la populace,  à tous les tièdes et tous les gentils, tous les sages analystes qui ont bien appris le code de la dissertation (thèse, antithèse, synthèse), tous les sulpiciens de la Sainte Prudence, tous les journalistes de cocktails qui ne veulent surtout se brouiller avec personne, oui, amis, postulez pour la succession Zemmour, à RTL. Et la rentrée sera belle, calme comme un matin d'automne. Il n'y aura plus ni frissons, ni narines. Il n'y aura plus que le bonheur clivant de l'ordre qui règne, sur les ondes.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Zemmour : et une tête qui tombe, une !

     

    Sur le vif - Dimanche 27.05.12 - 18.02h

     

    L'information est encore à prendre au conditionnel, mais il semble bien que mon confrère Eric Zemmour soit viré de la matinale de RTL. Si c'est faux, oubliez mon billet et pardonnez-moi de vous avoir fait perdre deux minutes. Si c'est vrai, c'est un signal catastrophique pour la liberté d'expression, trois semaines seulement après l'élection d'un socialiste à l'Elysée. Je suis assez âgé pour avoir connu les purges, dans la presse française, au moment de l'élection de François Mitterrand, en 1981. Allons-nous revivre cela ?

     

    Je dirais d'abord ici que Zemmour, depuis des années, m'exaspère. Je crois bien avoir été le premier, à la RSR, à lui donner la parole en Suisse romande, il y a une dizaine d'années, lorsque du Figaro, il nous régalait des coulisses de la vie politique française. L'écouter, à l'époque, nous susurrer des secrets d'arcanes, était délicieux. Mais le Zemmour chroniqueur, sur tous les plateaux, systématiquement contre le politiquement correct, est devenu à son tour, hélas, prévisible. Et sa puissance de feu, par absence de surprise et finalement formatage, a baissé.

     

    Mais enfin, Zemmour, qui est-ce ? Un chroniqueur. Une plume. Une voix. Un homme libre, indépendant, qui donne son avis. Vous me direz que, journaliste, je défends un confrère. Je vous répondrai oui, mais en ajoutant que c'est la liberté d'expression qui est en cause. Pas celle des journalistes en particulier : celle de toutes les citoyennes, tous les citoyens que nous sommes. La liberté de la presse n'est qu'un cas particulier de la liberté tout court, celle de penser, attaquer le pouvoir, le tourner en dérision, en dénoncer les inévitables excès. Ce bien inestimable, que nous devons aux Lumières, à la Révolution française, à tout le dix-neuvième siècle, dont 1848, est notre trésor à tous, pas seulement celui des journalistes et des chroniqueurs.

     

    Dans une chronique assassine, vipérine, Eric Zemmour a attaqué Mme Taubira. C'est qui, Mme Taubira ? C'est juste le Garde des Sceaux, le ministre français de la Justice, un poste considérable dans le gouvernement. "En quelques jours, Taubira a choisi ses victimes, ses bourreaux. Les femmes, les jeunes des banlieues, sont dans le bon camp à protéger, les hommes blancs dans le mauvais". A coup sûr, je n'eusse choisi ce genre de mots, pour ma part. Mais enfin, ce sont les siens, ils sont des lames de feu, flirtent avec la limite, la moitié de mes lecteurs diront qu'ils la dépassent, l'autre non.

     

    Tutoyer la frontière, la lame du rasoir, n'est-ce pas l'essence même de la chronique politique ? Qui est-il, Eric Zemmour ? Un chroniqueur ! Qui attaque-t-il ? Le pouvoir. Et pas n'importe qui : la titulaire de l'un des ministères les plus régaliens, avec l'Intérieur. Alors, je dis ici à tous ceux qui, déjà, se frottent les mains de la chute de Zemmour, qu'ils se réjouissent de quoi ? De la victoire d'un pouvoir sur l'émetteur d'une opinion, d'une critique. On peut aimer ou non ce pouvoir, on peut détester le chroniqueur, vomir ses idées, on aurait tort, immensément, de considérer comme une victoire la réduction d'une parole au silence.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Gauchebdo doit survivre

     

    Sur le vif - Samedi 26.05.12 - 19.05h

     

    Tous les samedis, dans la boîte aux lettres de mon bureau, à Carouge, je reçois le journal Gauchebdo. Tous ceux qui m'ont un peu lu se douteront bien que je ne partage pas exactement les options politiques de son équipe rédactionnelle ! Et pourtant, semaine après semaine, parcourir les huit pages de cette publication austère, maquette années soixante, noir blanc avec juste quelques pointes de rouge, m'informe, m'enrichit, me surprend, m'offre des commentaires clairs, engagés, courageux. De la vraie presse d'opinion, devenue hélas si rare.

     

    Oui, j'aime lire les éditos de Julien Sansonnens, les articles de Jérôme Béguin, qui est un puits de science et une belle sensibilité, les liens tissés entre les cantons romands, sans compter une dimension culturelle de qualité. Je ne connais pas beaucoup de journaux politiques, en Suisse romande, proposant une telle densité de réflexion. Les feuilles de parti sont hélas, à de rares exceptions près, des tissus de niaiseries et d'obédience. Articles écrits par les hommes politiques eux-mêmes, dont la plume est rarement l'attrait premier, faits et gestes des précités, tous beaux, tous gentils, tous bien lisses sur la photo, papier glacé, catalogue de la Redoute au service du pouvoir, beurk.

     

    Là, c'est autre chose. L'héritier de la Voix Ouvrière, fondée en 1944 par Léon Nicole. Au demeurant bien meilleur, aujourd'hui, en 2012, qu'il n'avait pu l'être naguère, dans les ultimes années de ce premier nom, lorsque l'encre suintait l'apparatchik. Débarrassé du côté Kominterm, nourri de belles intelligences, Gauchebdo est un journal dont je souhaite ardemment la survie. Tenez, ce numéro 26, que j'ai sous les yeux : la une nous parle d'une initiative de la Jeunesse socialiste concernant la spéculation sur les produits alimentaires ; en pages intérieures, interview d'Alexis Tsipras, leader du parti grec Syriza ; plus loin encore, un papier sur Rousseau et la démocratie participative ; un autre, sur les philosophes grecs et la politique ; en dernière page, un hommage à l'écrivain Carlos Fuentes, décédé le 15 mai. Tout simplement remarquable.

     

    Oui, j'aime lire Gauchebdo le week-end, ce qui ne m'empêche pas de dévorer le cahier culturel de la NZZ, ni de courir les kiosques pour dénicher (pas facile !) le dernier numéro de La Cité. Quand je vois ces équipes rédactionnelles-là, je me dis que le journalisme est encore vivant. Il suffit, ici et là, qu'il soit porté par des semences de passion.

     

    Pascal Décaillet