Sur le vif - Samedi 07.07.18 - 10.00h
Les grands conglomérats multinationaux, abstraits et désincarnés, sont voulus par des oligarchies élitaires, à prétention cosmopolite, des gens qui considèrent l'échelon national comme dépassé, limite vulgaire, juste pour des gros ploucs attachés à leurs terres, leurs paysages, enracinés dans leurs appartenances, incapables mentalement d'accéder à la dimension planétaire des choses.
Ces élites cosmopolites ont eu comme principale préoccupation, depuis trente ans, de faire circuler sans entraves le Capital. Pour ce dernier, surtout pas de frontières. Pas de taxes. Pas de contrôles. Juste le vol de l'Aigle au-dessus des nations. Du coup, on encourage à mort le Commerce extérieur, on fait circuler les personnes et les marchandises, l'Europe et le monde ne sont plus qu'un vaste marché, où le spéculateur, se déplaçant comme un prédateur céleste d'une proie à l'autre, peut se repaître, tout à loisir.
Dans cette logique de casino, il fallait à tout prix abolir l'idée d'économie nationale. La fierté du Lorrain, ayant travaillé toute sa vie dans la sidérurgie, ou de l'ouvrier de la Ruhr, spécialiste des aciéries, devaient impérativement, en termes d'images, passer pour des vertus d'un autre âge. C'est ce virage-là qu'a pris l'Union européenne depuis trente ans.
Elle fut tellement imposée aux esprits, avec une telle férule, que la plupart des gens vous définissaient l'Europe comme ontologiquement libérale. Comme si ce libéralisme n'était pas le fruit, comme tout l'est en Histoire (lisons Thucydide, les enchaînements de causes et de conséquences, dans la Guerre du Péloponnèse), de choix politiques et économiques bien précis. Avec, aussi, une finalité parfaitement claire : permettre l'enrichissement de quelques-uns sur le dos du grand nombre.
Pour ma part, je crois en l'Europe. J'aime profondément ce continent, qui est le mien, dont j'ai eu la chance de visiter la plupart des pays. Je ne suis nullement opposé à l'établissement d'une collaboration, faite de confiance, de respect et d'amitié, entre les peuples de ce continent. Mais je l'affirme, du plus profond de mes convictions : celle collaboration ne doit pas passer sur le dos des nations. Ces dernières, méprisées par les cosmopolites, sont ardemment voulues par les peuples. Et notamment par les personnes en souffrance. Je pense à nos paysans, que la libéralisation des marchés laisse doucement mourir. Je pense à nos chômeurs. Je ne suis pas sûr que, chez ces compatriotes-là, l'idée abstraite de conglomérat multinational, nouvelle forme de l'Empire, provoque des pâmoisons.
Pour ma part, je ne veux pas d'une Europe libérale. En tout cas, pas d'un libéralisme imposé par une clique, venue d'en haut. Je veux une Europe des peuples. Où on commence, comme chez nous en Suisse, par leur donner la parole. Pour l'heure (je ne préjuge nullement du 23ème siècle, tout en Histoire évolue), seul l'échelon national, avec ses lois démocratiquement votées, le contour net, précis et protecteur d'une frontière, le partage si essentiel de la mémoire et de l'émotion, le tissage, depuis des décennies, de réseaux de solidarité, permet d'améliorer la condition de vie de chacun.
Cette préférence au local n'empêche nullement de cultiver l'amitié avec ses voisins. Mais dans le respect des souverainetés maintenues. Les plus défavorisés demandent cette souveraineté, cette indépendance, que le cosmopolite veut s'empresser d'abolir. Pour commercer sans entraves.
Pascal Décaillet