Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 753

  • Plouc ou Messie ?

     

    Sur le vif - Jeudi 19.07.18 - 09.58h

     

    Tout miser sur la libre circulation, donc l'apport fantasmé de l'altérité, figurée comme la Voie du Salut, c'est faire bien peu de cas des sédentaires. Ceux qui sont déjà là. Ceux qui, pendant des générations, après leurs parents, leurs aïeux, ont choisi de demeurer dans le pays qu'ils aiment. Chacun apportant sa pierre, petite ou grande, pour le construire.

     

    Dans la Suisse de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, encore bien pauvre, beaucoup de nos compatriotes ont émigré. En Algérie, en Argentine, au Brésil, etc. Mais beaucoup, aussi, ont fait le choix de rester. Ils ont travaillé dur, gratté des sols arides, accepté les boulots les plus modestes. Il faut aussi penser à eux. De l'intérieur, ils ont fait avancer le pays.

     

    Il y a, dans l'idéologie ultra-libérale du flux continu des personnes, chacune interchangeable, comme une funeste négation de la vertu de sédentarité. Celui qui reste serait un plouc. Celui qui transite, un Messie.

     

    C'est aussi contre cela que les peuples d'Europe commencent à se révolter, contre cette vision méprisante. Cette sacralisation du mouvement, ce mépris de l'attachement.

     

    Non l'attachement du serf, celui qui n'aurait pas le droit de quitter sa terre. Mais l'enracinement de l'homme ou de la femme libre, celui ou celle qui, en toute connaissance de cause, ayant le choix, a opté pour la sédentarité à l'intérieur du pays. Parce qu'il veut participer à l'aventure collective de ce pays-là.

     

    Les ultra-libéraux subliment le mouvement perpétuel, le nomadisme. Pour mieux brasser leurs équations de profit. De leur hauteur cosmopolite, ils méprisent l'émotion d'appartenance nationale. Le sédentaire creuse et contemple. Il participe, souvent sans bruit ni fracas, à la qualité de vie améliorée, là où il est.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'Europe et les marchands du Temple

     

    Sur le vif - Jeudi 19.07.18 - 06.04h

     

    Les Pères de l'Europe, au début des années cinquante, les Schuman, de Gasperi, Adenauer, étaient des démocrates-chrétiens.

     

    Ils étaient porteurs d'une vision, humaniste et émancipatrice, après le choc et le fracas de la guerre, de l'organisation du continent.

     

    On peut, bien sûr, on doit même discuter de cette vision. Mais elle avait sa cohérence, sa noblesse, une ambition sociale puisée dans la grande pensée d'un Léon XIII, elle se voulait l'Europe des cœurs et des âmes. Le projet méritait intellectuellement, spirituellement, qu'on fît un bout de chemin avec lui.

     

    Ce qui a tout foutu en l'air, depuis trente ans, c'est le dogme ultra-libéral. Le catéchisme du libre-échange. La sanctification de la libre circulation des personnes et des marchandises. Oui, tout cela nous fut imposé d'en haut, comme vérité révélée.

     

    On retrouvait la jouissance parfumée du bénitier démocrate-chrétien, mais cette fois, c'était au service oligarchique du profit immédiat, quand il n'était pas spéculé. Cela porte un nom : cela s'appelle le culte du Veau d'or.

     

    Adieu Léon XIII, adieu Doctrine sociale, adieu la paix des braves sur les cendres des guerres nationales. Bonjour l'Europe des banquiers, de la circulation sans entraves du Capital, des fermetures d'usines, des délocalisations, du profit de casino, celui qui joue à saute-mouton par dessus les frontières.

     

    C'est cette Europe-là, cette idéologie, qui s'effondre. Et qui, aux abois, nous sort un Accord avec le Japon, pour sanctifier une dernière fois le libre-échange, nous prescrire son dogme de l'Infaillibilité. Le chant du cygne de M. Juncker, après le vin de Messe et la quête des Indulgences.

     

    Ce qui s'effondre, ça n'est pas l'idée européenne. Ni l'aspiration à faire quelque chose de ce continent que nous aimons, et dont les différentes Histoires nationales nous habitent et nous passionnent.

     

    Non. Ce qui s'effondre, c'est la prise en otage de l'idée européenne par les ultra-libéraux. Eux, devront rendre des comptes. Il faut reconstruire le Temple de l'Europe. Mais en commençant par en chasser les marchands.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Trump est vulgaire. Et alors ?

     

    Sur le vif - Mercredi 18.07.18 - 09.43h

     

    Trump ne fait pas de la politique comme les autres.

     

    Il ne fait pas de la politique comme Obama. Il est moins élégant, moins à l'aise dans un salon. Il se comporte comme un rustre avec la Reine d'Angleterre, là où son prédécesseur avait su se montrer parfaitement bien élevé.

     

    Oui, Trump est un peu vulgaire.

     

    Et alors ?

     

    On va passer toute la législature (déjà trois semestres accomplis, sur huit) à s'en étrangler, comme on l'avait fait pendant la campagne électorale ?

     

    Moi aussi, je préfère les personnes bien élevées. Je reconnaissais à Obama, au milieu d'un bilan de politique étrangère quasiment inexistant (à part Cuba et l'Iran), une incontestable classe lorsqu'il apparaissait en public.

     

    Mais cette classe d'Obama, c'était juste de l'apparence. Du visuel, pour peaufiner la fabrication d'une icône. C'est sur son bilan qu'il faut le juger.

     

    De même, la vulgarité de Trump.

     

    Aux trois huitièmes du mandat, l'essentiel n'est certainement pas l'éducation lacunaire du Monsieur au registre des bonnes manières.

     

    Non, l'essentiel, c'est que Donald Trump est en train de bouleverser les paradigmes qui ont régi, disons depuis 1945, les rapports entre les nations.

     

    Depuis 1945, cela signifie depuis la fin de la guerre. Depuis l'ONU, qui succédait à la calamiteuse Société des Nations, celle d'Adrien Deume, qui taille ses crayons, en s'ennuyant dans son bureau, pendant qu'Ariane...

     

    Depuis 1945, cela signifie depuis l'avènement du "multilatéral", entendez la toile tissée mondialement pour faire oublier à la planète qu'il n'y avait désormais que deux patrons, les USA et l'URSS. Cela, pour une bonne quarantaine d'années.

     

    Le multilatéral, comme paravent, comme pansement de l'âme, comme baume sur les consciences pour tenter de se convaincre qu'à l'ONU, celle de New York ou celle de Genève, le représentant de la plus oubliée des nations, la plus pauvre, bénéficiait de la même voix que les deux super-puissances, ce que bien entendu personne n'a jamais cru.

     

    Ce projet, pourtant, j'aurais pu y croire. Je suis fasciné par le Discours tenu à Brazzaville, en janvier 1944, donc en pleine guerre, par Charles de Gaulle, où sont posés, avec une éloquence hors du commun, les principes du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Anticipation de la décolonisation, mais aussi de de qu'on appellera plus tard le mouvement "des non-alignés". Que ce Discours ait été tenu au cœur de l'Afrique, continent qui m'est cher, est à mes yeux essentiel. Et cela, seize ans avant la première grande vague (1960) de décolonisations.

     

    Mais le "multilatéral", hélas, ce ne fut pas du tout cela. Jamais la toile n'a réussi, une seule seconde, à mettre en minorité, encore moins à désavouer, les vrais maîtres du monde : USA + URSS, puis USA tout seuls. A la moindre mise en danger, droit de veto. Ou pire : retrait du financement. Regardez, à Genève, où se trouve l'ONU, et où se trouve la Mission permanente américaine : un jet de pierre. Cette proximité veut tout dire.

     

    La réalité des trois premiers huitièmes du (premier ?) mandat de Trump, c'est bel et bien une prise de congé de cette toile d'araignée multilatérale. Pour réhabiliter la seule réalité véritablement mesurable : celle des rapports de forces, des alliances bilatérales modulables et révocables (comme sous Louis XV, à l'époque de la Guerre de Sept Ans, 1756-1763, si complexe et si passionnante), celle des intérêts supérieurs des nations.

     

    Ce dessein, jamais Trump ne pourrait l'accomplir s'il n'était profondément voulu par un nombre de plus en plus important de peuples et de personnes. Ce petit monde du multilatéral, des "ONG", où tout se passe en anglais (la langue du Maître), et où rien de concret n'advient jamais, si ce n'est la pointe parfaitement taillée des crayons d'Adrien Deume, n'intéresse en priorité que lui-même.

     

    Ainsi, la "Genève internationale" passe beaucoup trop de temps à se contempler dans le miroir du monde, reléguant l'occasion d'aller à la rencontre des Genevois. On semble y vivre en boucle, comme dans un Palais des Glaces. Tiens, celui de Versailles, par exemple, où fut signé le calamiteux Traité de 1919, l'une des causes de la Seconde Guerre mondiale.

     

    Trump prend congé du multilatéral, il a contre lui les fonctionnaires du multilatéral, donc l'Appareil, et une myriade de journalistes et d'observateurs formés (notamment à Genève) dans le culte du multilatéral. Intellectuellement, ce petit monde ne peut imaginer une planète sans ces immenses organisations, ces machines à siéger, palabrer, décréter, prendre l'avion, parler anglais, griller des millions de tonnes de kérosène. Avec, comme résultat, du vent.

     

    Il a contre lui ce petit monde. Mais il n'est pas exclu qu'il ait AVEC lui, jusqu'au coeur du Vieux Continent européen, le ralliement croissant des âmes. Parce que les peuples sont de plus en plus las de l'impuissance impersonnelle du "multilatéral". Et de plus en plus demandeurs de communautés nationales, avec des contours précis, des valeurs définies, des lieux de mémoire (lire Pierre Nora, Gallimard, Bibliothèque illustrée des Histoires, 3 volumes, 1984-1992), des immigrations contrôlées, et surtout des citoyennes et citoyens qu'on écoute.

     

    A cet égard, la "vulgarité" de Trump pourrait bien passer, devant l'Histoire, comme un infini détail, face à la révolution des rapports qu'il aura, peut-être, instaurée entre les nations.

     

    Pascal Décaillet