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Liberté - Page 725

  • L'Europe s'évapore, l'Allemagne renaît

     

    Sur le vif - Mardi 18.09.18 - 15.53h

     

    Je retrouve une dissertation, rédigée en allemand, à Munich, en juillet 1974, où je dis le plus grand bien de la construction européenne. J'ai juste seize ans, j'approche de la Maturité, je souhaite l'amitié la plus profonde entre la France et l'Allemagne.

     

    J'ai cru dans le projet européen jusqu'à la chute du Mur, le 9 novembre 1989. Cet événement considérable, je l'ai passé, le jour même, à traduire, pour les journaux RSR, le discours de Willy Brandt (sublime), celui de Kohl, celui de Genscher. Au fond de moi, et je suis évidemment prêt à m'expliquer sur ce point, la chute du Mur n'était pas une bonne nouvelle.

     

    D'abord, je n'ai jamais été un adversaire de la DDR. Je respectais cette moité de l'Allemagne, passée en mai 1945 sous influence soviétique, alors que l'autre partie était sous influence capitaliste, américaine principalement. Je m'étais passionné pour la vie culturelle, littéraire notamment, de l'Allemagne de l'Est, je ne renie rien à cette période de ma vie.

     

    Surtout, il m'était très vite apparu que le catholique rhénan Helmut Kohl n'ambitionnait pas tant de refaire l'Allemagne que de refaire l'Empire.

     

    Quel Empire ? Mais le Saint, Romain, Germanique ! Défait par Napoléon en 1806, suite la victoire d'Iéna. L'Empire, c'est une conception de l'Europe où les pays travaillent ensemble, mais sous une tutelle commune. C'est le contraire même de l'idée de nation, telle que la Révolution française la lance dès 1789, à vrai dire dès les victoires militaires de Soldats de l'An II (1792) : l'idée nationale - qui m'est chère - présuppose que rien , aucune tutelle, aucune suzeraineté, ne prédomine sur la Nation souveraine.

     

    L'Empire, Kohl a immédiatement eu l'instinct de le recréer. La chute du Mur lui permet de reforger un axe germanique dominant dans la Mitteleuropa. Surtout, l’ogre rhénan, qui jure agir au nom de "l'Europe", utilise en fait la machine de Bruxelles pour, en douceur, placer le continent sous tutelle allemande. Ce sera la Monnaie unique, version rénovée du Deutschemark. Ce sera Maastricht (1992). Ce sera, avant toute chose, l'incroyable politique d'ingérence allemande dans le affaires balkaniques, la diabolisation médiatisée du Serbe, la sanctification de tous les autres. François Mitterrand, hélas, finira par jouer ce jeu, sous prétexte de politique "européenne". Dans les Balkans, Mitterrand s'est fait proprement doubler par Kohl.

     

    Aujourd'hui, 44 ans après ma dissertation munichoise, je ne vois plus d'Europe. Parce qu'elle s'évapore. Mais je vois, bel et bien, la réalité nationale allemande, plaçant ses pions dans les Balkans, en Macédoine, au Kosovo, en Slovénie, en Croatie, mais aussi en Pologne, dans les Pays Baltes, et jusqu'en Ukraine. Cela, toujours sous le couvert "européen".

     

    Il n'y a pas d'Europe, aujourd'hui, cela n'existe pas. Mais il y a la solide, la tenace permanence des nations. Au premier plan, la renaissance politique de l'Allemagne. Et le déploiement de son action, dans l'indifférence générale, voire sous les applaudissements, sur l'ensemble du continent européen.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Chemnitz, la DDR, la Gemeinschaft

     

    Sur le vif - Mardi 18.09.18 - 08.25h

     

    J'ai connu l'Allemagne au temps de la DDR, j'ai fréquenté des Allemands de l'Est, j'avais même demandé, il y a 40 ans, à passer un semestre à l'Université d’Iéna, ce qui ne fut pas possible.

     

    J'ai parcouru la Prusse (Mecklembourg, notamment), la Saxe et la Thuringue. Je me souviens du temps où Chemnitz s'appelait Karl-Marx-Stadt. Et ma mère avait vécu en Allemagne à l'époque où Chemnitz... s'appelait déjà Chemnitz, et pas encore Karl-Marx-Stadt !

     

    J'ai étudié les grands auteurs de l'Allemagne de l'Est. Je n'ai, de ma vie, jamais émis un seul mot négatif sur la DDR. J'aurais dû, bien sûr, puisqu'il y avait la Stasi. Mais des éléments intimes, que personne ne peut comprendre, m'ont amené à toujours considérer les quarante années de DDR avec une bienveillance qui, je le sais, étonne ici et aujourd'hui. C'est ainsi.

     

    Concernant les récents événements de Chemnitz, il faut évidemment les considérer sous l'angle de la colère noire des gens de l'ex-DDR (notamment les Saxons) suite à l'incroyable brutalité de l'annexion par l'Ouest, sous Helmut Kohl. Oui, je dis "annexion" de l'Est par la gloutonnerie du système capitaliste, parce que "réunification" n'est pas le bon mot. Kohl, qui était un Rhénan et n'a jamais aimé les Marches orientales de l'Allemagne, s'est comporté comme un ogre. Les gens de l'Est en ont payé le prix.

     

    La Saxe fut annexée, comme les autres Länder de l'ex-DDR, mais la prospérité n'a pas suivi. Dans les populations ouvrières (oui, il existe encore une classe ouvrière en Allemagne !), ou parmi les chômeurs, les délaissés, beaucoup regrettent le cocon protecteur de la DDR. Le phagocytage, par Kohl, s'est fait beaucoup trop vite, trop brutalement, sans le moindre égard pour l'identité saxonne, millénaire, qui avait bien évidemment survécu à la DDR : les identités nationales ont la vie beaucoup plus longue que les idéologies.

     

    A cela, l'ogre Kohl n'a rien voulu voir : il se disait que l'implantation forcée du capitalisme emporterait la mise. Il a eu tort : les mécanismes profonds de relation à l'économie n'ont jamais été les mêmes, en Prusse ou en Saxe, que chez les adeptes du capitalisme rhénan, à l'Ouest. Faut-il rappeler ce paradoxe : Karl Marx lui-même était un Rhénan, un homme de l'Ouest. Et pas du tout un Allemand des parties orientales.

     

    Pour expliquer Chemnitz 2018, il convient aussi - ce sera l'objet d'un texte ultérieur de ma part - de se référer en profondeur à la notion allemande de "Gemeinschaft". Ce mot, qu'on pourrait traduire par "communauté d'appartenance", s'oppose à celui de "Gesellschaft", la société normée, organisée. La montée, dès les Discours à la Nation allemande, de Fichte (prononcés en pleine occupation française, au nez et à la barbe des soldats napoléoniens, en décembre 1807, à l'Université Humboldt de Berlin) du sentiment profond de "Gemeinschaft", nourri par le Sturm und Drang, le Romantisme, puis l'exceptionnel travail des Frères Grimm sur l'identité germanique, constitue un paramètre fondamental de compréhension du rapport des Allemands avec l'altérité.

     

    Les Allemands ne sont pas opposés au Refuge. Ils l'ont prouvé avec éclat, en accueillant et en intégrant, en 1945, 1946, des millions d'Allemands de l'Est (Pologne, Russie, Roumanie, etc.) fuyant la poussée soviétique. Ils les ont accueillis, alors que l'Allemagne, "bleiche Mutter" (Mère blafarde, Brecht), était en ruines ! Mais il se trouve que les demandeurs de Refuge étaient... des Allemands ! Dans le concept de "Gemeinschaft", on considère comme tel tout porteur de la langue germanique, même établi depuis des siècles sur les Marches orientales de l'Europe.

     

    A l'automne 2015, Angela Merkel ne pouvait pas ne pas avoir en tête ce précédent de 1945. Mais, outre qu'elle a cédé beaucoup trop vite aux sirènes d'un patronat avide, elle a refusé de prendre en compte la difficulté viscérale, pour un chômeur, un délaissé, un oublié de l'ex-DDR, de voir affluer autour de lui une population extérieure au cercle d'appartenance de la "Gemeinschaft".

     

    Pour saisir les événements d'aujourd'hui, dans la complexité des Allemagnes, il faut impérativement en appeler à l'Histoire politique et philosophique du monde germanique, dans sa diversité, son absence de centralisation, son rapport au passé, à ses morts, la très grande difficulté (quoi qu'on ait pu nous faire croire, dans l'Ouest prospère des années 1949-1989) de son rapport à l'altérité.

     

    Nier cela, c'est faire preuve de candeur. Et de manque de rigueur dans la recherche de la vérité historique.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • La langue arabe et le champ du possible

     

    Sur le vif - Dimanche 16.09.18 - 14.22h

     

    En quoi l'apprentissage de l'arabe à l'école constituerait-il un problème ? En quoi le chemin vers une langue, qui est (avec le chemin vers la musique) la plus belle itinérance du monde, serait-il à éviter ?

     

    L'arabe est une langue magnifique, porteuse de milliers de textes qui ont, au fil des siècles, constitué des civilisations.

     

    Pouvoir, dans un choix volontaire parmi d'autres langues, étudier la langue et la civilisation arabes, constitue une possibilité d'enrichissement de son champ linguistique, intellectuel et culturel. Comme l'apprentissage de l'allemand, ou du grec, ou de l'hébreu, ou du turc, ou du persan, ou de n'importe quelle autre langue.

     

    Cheminer vers une langue étrangère, c'est ouvrir le champ de son propre possible.

     

    Pascal Décaillet