Liberté - Page 345
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Et les tombeaux des morts, offerts au ciel qui pleure
Sur le vif - Mercredi 29.09.21 - 15.48hLa France décline. Elle perd de son influence dans le monde, et - ce qui est beaucoup plus grave - en Europe. Sur le continent, en cet automne 2021, elle est totalement larguée par l'Allemagne. La vitalité économique de cette dernière est tout simplement époustouflante, celle de la France est à la peine.Ca n'est pas tout, hélas. La France a perdu le pouvoir d'arbitrage qui était le sien à l'international, elle survit par de beaux éclats, des reliques étincelantes de sa puissance de naguère, mais elle vieillit, elle s'essouffle, elle se mire dans son passé, en effet prestigieux, elle se raconte son Histoire, assurément incomparable, les plus cultivés revivent les guerres de la Révolution et de l'Empire, les ploucs et les crétins se contentent de déboulonner les statues.La France est morte, c'était en mai-juin 1940. Cette défaite-là, elle ne s'en est jamais remise. Elle s'est arrangée avec l'Histoire, croit sincèrement avoir été dans le camp des vainqueurs en 1945, elle n'y usait que de vieux strapontins claudicants.La France est morte, elle a revécu avec de Gaulle. Et puis, comme tous les morts, elle a mis son génie à hanter nos nuits, nourrir nos rêves, surexciter nos passions, halluciner nos mémoires. Car la mémoire, c'est l'imagination, exercée sur le passé. Les plus cultivés ont vu resurgir quarante Rois, puis la République, la Nation en masse, Valmy, Arcole et Rivoli. Les ploucs et les crétins se contentent de hausser les épaules, sous le merveilleux prétexte "qu'ils n'étaient pas nés", donc cela ne les intéresse pas.La France est morte, elle se relève parfois, elle retrouvera sans doute un jour sa grandeur. Mais aujourd'hui, le jeu de miroirs nauséabond des chaînes en continu, avec la valse des chroniqueurs parisiens qui s'invitent entre eux, se haïssent, se lacèrent, est une danse au pays des morts. Déjà, ils sont de l'autre côté, feignent de l'ignorer, ils croient vivre, déjà pourtant ils ne sont plus.La France est morte, l'Allemagne vit. C'est aussi simple, aussi terrible que cela. La France se mire, l'Allemagne produit, invente, imagine. La France se hante. L'Allemagne se projette. Terrible déséquilibre, comme l'un des deux piliers d'une Cathédrale qui serait, face à l'autre, en voie d'effondrement.Reste la nef, à ciel ouvert. Et les tombeaux des morts, offerts au ciel qui pleure.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif -
La folie dépensière du Conseil d'Etat
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 29.09.21
On n’a plus un seul centime, mais rassurez-vous : nous allons dépenser des milliards ! Un roman noir, sur fond de scandale panaméen ? Pas du tout ! Cette philosophie de casino, c’est celle du Conseil d’Etat. 460 millions de déficit pour le projet 2022 du Canton de Genève. 12,8 milliards de dette, chiffre confirmé par Nathalie Fontanet le jeudi 16 décembre sur le plateau de Genève à Chaud. Et pourtant, 364 nouveaux postes dans la fonction publique ! Mieux encore : onze milliards prévus au titre des « investissements », dont six pour la « transition écologique ». Transports publics, trams, rail, « mise aux normes » des bâtiments publics, diversité, arborisation.
Cette philosophie économique, dite « keynésienne », du nom du grand économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946), c’est celle de la relance par des immenses d’investissements d’Etat. On peut aussi se référer au New Deal, la vaste politique de rénovation des infrastructures lancée en 1933 par Franklin Delano Roosevelt, l’un des plus grands Présidents de l’Histoire américaine, celui de la Seconde Guerre mondiale. Mais l’Amérique de fin 1932, lors de l’élection qui porte ce grand homme au pouvoir, sort de la terrible crise de 1929, lisez Steinbeck et vous découvrirez l’étendue du désespoir dans des millions de familles américaines. Roosevelt, oui, leur rendra la foi dans leur pays, et c’est pour cela qu’il a tant marqué les mémoires.
A Genève, la gauche ne jure que par Keynes. En tout cas, la gauche gouvernementale, socialistes et Verts, entendez une majorité de quatre Conseillers d’Etat sur sept. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le projet de budget 2022, et à plus long terme ce plan « d’investissements » de onze milliards, dont six pour la « transition », portent la marque de la gauche. Le problème, c’est qu’avec une dette de 12,8 milliards, l’Etat n’a plus d’argent. Déjà, il vit à crédit. Et voilà que, non content de battre le record de Suisse de l’endettement, il projette allégrement de s’endetter encore ! Cela porte un nom : cela s’appelle une fuite en avant.
La gauche, la bouche en cœur, nous dit : « Endettons-nous, les taux sont bas ». Fort bien. Et le jour où ils remonteront, ces taux, nous dirons quoi à nos enfants, à toutes ces générations auxquelles nous aurons refilé le fardeau du service de la dette à rembourser ? Quant à la droite, une partie d’entre elle pourrait bien l’accepter, ce pacte avec le diable : tous les milieux économiques à qui, déjà, on fait miroiter cette « relance », se pourlèchent les babines à l’idée d’en être les bénéficiaires. Et nous voilà partis, comme dans l’affaire du CEVA, avec un Sainte Alliance du rêve et du profit, la gauche dans sa Croisade pour le Climat, une partie de la droite dans l’appât des bonnes affaires.
Et le contribuable, il pense quoi, de ce petit jeu ? Et les classes moyennes, déjà essorées jusqu’à la moelle ? Et ceux qui bossent, beaucoup trop taxés sur le revenu de leur travail ? A ce pacte malsain et mortifère, les citoyennes et citoyens que nous sommes doivent dire non. Simplement, non.
Pascal Décaillet
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A l'Est, depuis vingt ans, l'Allemagne joue sa carte nationale
Sur le vif - Mardi 28.09.21 - 15.41h"L'élargissement" de l'Union européenne aux pays de l'Europe de l'Est, au début des années 2000, n'est qu'une appellation de paravent. Elle cache une réalité : l'extension massive de l'économie allemande sur ses Marches historiquement traditionnelles d'Europe centrale et orientale. Dans ce périmètre, d'une redoutable précision, les vingt dernières années ont permis à une Allemagne réunifiée, en pleine santé, de réimplanter ses pions dans des territoires désertés par elle, sous la pression des armées soviétiques, depuis 1944-1945.Il s'agit pas - il ne s'est JAMAIS agi - pour l'Allemagne de conquérir le monde. Nous avons affaire à un espace de langue et de civilisation éminemment continentales, aux frontières politiques fluctuantes depuis mille ans, gagnant ou perdant du terrain au fil des victoires ou des défaites, longtemps militaires, aujourd'hui économiques et financières. Le théâtre d'opération des appétits allemands en Europe demeure, depuis mille ans, très exactement le même. Les neuf dixièmes se situent en Europe centrale et orientale. L'idée de l'Ostpolitik, de Willy Brandt, était de placer ce tropisme économique sous une tutelle humaniste et ouverte, c'était une très grande idée, d'une autre altitude que la gloutonnerie de M. Kohl.Une chose est sûre : sous prétexte "européen", l'Allemagne joue depuis vingt ans sa carte économique nationale. Elle implante ses marchés en Pologne, en Tchéquie, en Slovaquie, en Hongrie, dans les Pays Baltes. Elle multiplie ses participations dans les capitaux des entreprises de ces pays. Elle commerce avec eux par camions, en quelques heures, alors qu'il faut des semaines à un cargo international pour relier Hambourg aux marchés asiatiques. L'Allemagne ne perd pas son temps à faire du mondialisme : elle joue la proximité, dans des pays avec lesquels elle fait commerce depuis des siècles, c'était un peu ça, l'idée du Saint-Empire.Depuis 1957 et le Traité de Rome, l'Allemagne utilise l'idée européenne. Les premières décennies, pour se refaire une santé, une respectabilité en Europe. Pour se réconcilier avec la France, ce qui fut un grand et noble dessein. Depuis la chute du Mur, l'Allemagne utilise les mots européens, comme "élargissement", comme couvertures d'une réalité qui lui est profondément nationale : la conquête des marchés de l'Est. Sans un seul coup de canon. Mais avec sa capacité de travail, son inventivité, son aptitude à créer avec ses voisins un espace économique. A deux conditions : qu'elle en soit l'inspiratrice, et qu'elle en tienne les rênes.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif