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Liberté - Page 293

  • Sabine Devieilhe : précision, présence, ensorcellement

     
    Sur le vif - Lundi 15.11.21 - 10.07h
     
     
    Sabine Devieilhe est une étoile, je l'ai ressenti d'un coup, il y a des années, la première fois que je l'ai entendue et vue chanter. Hier soir encore, sur la chaîne musicale Stingray Classica, dans "Il Trionfo del Tempo e del Disinganno", composé en 1707 par un jeune génie de 22 ans, Georg Friedrich Haendel, puis repris et travaillé maintes fois tout au long de la vie du compositeur, la soprano colorature française donne toute la mesure de sa capacité d'envoûtement. Pour tout dire, elle nous ensorcelle.
     
    Il faut dire que l’œuvre est incroyable. Très ancienne dans sa première mouture, avec encore des accents du Grand Siècle, mais annonçant déjà les bouleversantes tonalités baroques du dix-huitième : Haendel a encore cinquante ans à vivre. Un demi-siècle pour se dégager de l'influence italienne, triompher dans les Allemagnes, se faire happer par l'Angleterre, qui ne le lâchera plus.
     
    Le dix-huitième, c'est le siècle de Sabine Devieilhe. Rameau, Haendel, Bach, et à la fin Mozart. Cette artiste d'exception fait partie des rares cantatrices à manier l'excellence autant comme comédienne que dans l'incroyable travail de sa voix. Elle atteint les hauteurs de l'aigu sans jamais donner l'impression de nous livrer une démonstration de virtuosité. Elle bouge peu. Elle regarde souvent vers le bas, voire vers l'intérieur d'elle-même. Elle donne tout, pour arracher le son exact. Celui de la partition, mais surtout celui de l'émotion signifiée. Elle est une cantatrice de la précision, non du Romantisme, où l'on rêverait néanmoins de la découvrir, justement pour découpler ce mouvement littéraire et musical de son image - usurpée - d'approximation doucereuse.
     
    Il faut écouter Sabine Devieilhe, et l'écouter encore, toute une vie. Mais il faut aussi la voir : les chaînes musicales (Mezzo, Stingray) nous offrent ce privilège. Cette artiste est toute au service de l’œuvre, qu'elle illumine de l'intérieur. Elle chante comme Clara Haskil ou Martha Argerich jouent du piano. Elle s'en va puiser, avec une force inimaginable, physique mais aussi d'esprit, le point saillant de l’œuvre : celui qui nous touche, nous incendie, nous restitue le sens, et finalement la vie.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Glasgow : le néant, 24 fois par jour

     
    Sur le vif - Dimanche 14.11.21 - 14.51h
     
     
    Les grands de ce monde, amassés dans une ville d’Écosse. Sur eux, toutes les lumières de l'univers. Pas une seule ouverture de la RTS, sauf trou providentiel à Tolochenaz, qui ne fasse écho de leur présence. Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où ils sont. Glasgow, ombilic du cosmos.
     
    Il dissertent ? Non, ils dorment. Tentent l'éveil, mais leurs paupières se font trop lourdes. Le Président des Etats-Unis, ouvertement, roupille. On sent l'ambiance, ça vivifie, ça galvanise, ça déménage.
     
    Glasgow ? Du blabla. Même pas un catalogue d'intentions. Rien, ou si peu. Pire : ce néant était prévisible. On l'a vu venir, on a annoncé son avènement, et... il est advenu. Absolue platitude du scénario : on annonce le rien, le rien se produit. Et puis, on réveille Joe, tout en douceur, on reprend les jets privés, on s'en va poursuivre le cours de sa vie.
     
    Glasgow, c'est le non-événement, soutenu par la non-narration. Rien ne se produit, on ne raconte donc rien, on constate le banal. Restent les cordes, pour se pendre. Ou le sudoku, pour passer le temps dans le jet retour.
     
    L'extase de ce néant, la RTS nous l'a offerte, toutes les heures. Toutes les ouvertures, sauf pour le Trou.
     
    Glasgow, c'est l'inexistence, juste interrompue par le vide. Celui, miraculeux, de Tolochenaz.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Grand Conseil : le vérificateur des machines

     
    Sur le vif - Vendredi 12.11.21 - 17.28h
     
     
    La manière dont le Président du Grand Conseil vient, depuis un peu plus d'une heure, de traiter certains de ses collègues, élus du peuple comme lui, est inqualifiable. Elle ne correspond pas à nos habitudes suisses. Elle n'est pas dans les tonalités de notre politique.
     
    J'ai passé des années au Palais fédéral, comme correspondant, je suis la politique dans notre pays depuis quatre décennies, j'ai animé des milliers de débats politiques, dont une quantité dans les Pas perdus des Chambres fédérales ou de Parlements cantonaux, je n'ai jamais vu un Président de législatif arborer des airs aussi caporalesques, distribuant admonestations et avertissements à la cantonade, infantilisant ses collègues, robotisant sa lecture du règlement comme un glacial vérificateur des machines dans une usine. Cela n'est pas digne de notre démocratie suisse.
     
    Je n'aborderai pas ici le fond - savoir dans quel degré d'urgence il fallait traiter le débat sur la réforme du C.O. - mais la forme. Un groupe, le PLR, s'est senti profondément lésé par une procédure qui ne lui paraissait pas conforme. Des élus de ce groupe, éminents juristes, comme Cyril Aellen ou Murat Julian Alder, ont tenté de faire valoir leurs arguments. On leur a coupé le sifflet. On leur a éteint le micro. On les a rabroués. On les a "avertis". C'est juste si le Sautier n'a pas été chargé de les coiffer d'un bonnet d'âne.
     
    Le Président, dans toute cette affaire, a fait preuve d'un autoritarisme qui ne ressemble pas à nos coutumes parlementaires. A-t-il agi pour l'intérêt général, ou pour celui de son parti ? Je n'ai pas la réponse à cette question. Mais son comportement n'a pas été digne de sa fonction. C'est tout.
     
     
    Pascal Décaillet