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Liberté - Page 28

  • Ville de Genève : la gauche gère le silence

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 11.12.24

     

    A quelques mois des élections municipales (printemps 2025) dans les 45 communes de notre Canton, un mot sur le champ de ruines de la Ville de Genève. La gauche, depuis des décennies, y exerce un pouvoir absolu. Et son bilan est lamentable. Après l’affaire des notes de frais, on se disait, peut-être, qu’il y aurait un sursaut. Après cinq ans d’une législature qui aurait dû être celle du renouveau, le constat est amer : plus que jamais, l’idéologie au pouvoir, partout l’arrogance, partout l’inefficacité. Les grands projets culturels, comme la Cité de la Musique, ne passent pas. La passerelle piétonne du Mont-Blanc tombe à l’eau. La circulation est congestionnée. Le feu vert, devant la Cave valaisanne, repasse au rouge après cinq secondes. Les chantiers routiers s’éternisent. On immobilise, on dégrappe, on emmerde les usagers, on insulte les opposants. C’est ça, l’arrogance. C’est ça, la triste éternité de la gauche au pouvoir.

     

    Tout au plus tel magistrat se contente-t-il de gérer les enveloppes qui lui sont attribuées par les contribuables. Alors, il distribue. Ainsi, ventilant l’argent qui n’est pas le sien, mais celui des gens qui se lèvent le matin pour aller bosser, il apparaît comme un mécène, celui qu’on entoure et qu’on courtise, celui qu’on appelle par son prénom, celui qu’on tutoie : l’Ami du peuple, tel Marat, dans sa baignoire. Cela porte un nom : cela s’appelle du clientélisme. Ainsi, depuis trop longtemps, règne la gauche en Ville, faussement débonnaire, machine de pouvoir, puissant système de cooptation. Structure. Nomenclature. Au Conseil municipal, la majorité de gauche étale sa discipline de vote, mécanique, imparable, avec la glaciale arrogance des puissants. Un élu PLR, Maxime Provini, brillant mousquetaire de l’opposition, s’apprête à donner d’intéressants éléments d’information sur l’affaire dont on parle, on l’interrompt, brutalement. La gauche gère la parole. Et elle gère le silence.

     

    Changer tout cela, ce printemps ? Culbuter cette bande ? Très difficile ! Le seul espoir crédible, pour la droite, est la candidature de Natacha Buffet-Desfayes, intelligente, cultivée, courageuse, mais ce sera infiniment difficile de percer les lignes de défense, ce Maginot de clientélisme, de petites habitudes, de tutoiements, de services rendus, de renvois d’ascenseurs, tous ces fortins creusés par la gauche, depuis tant d’années. Même l’affaire des notes de frais a fini par se tasser ! La gauche de pouvoir gère le silence, oui, elle gère aussi la mémoire, nouveaux noms de rues, damnation du souvenir sur les uns, mise à l’écart pour les autres. Le legs de la gauche, en Ville, c’est le partage des prébendes, le règne des clans, la mainmise sur les postes et les nominations, le pouvoir sur les noms propres, la relecture de l’Histoire. Sans compter le vieux rêve de contrôler la presse. Et d’influer sur les castings. Demain, rédiger elle-même les éditos. Bien conformes. Bien alignés. Ce printemps, un seul mot : basta !

     

    Pascal Décaillet

  • Le Pacte d'Acier PS-UDC

     
     
    Sur le vif - Mardi 10.12.24 - 16.19h
     
     
    Pour ceux qui ambitionnent de décrypter les enjeux politiques avec une autre lucidité que le trottinement derrière les conférences de presse, il s'est produit un événement, aujourd'hui à Berne : l'alliance de la gauche avec l'UDC pour sauver les aciéries de Suisse. Stahl Gerlafingen à Soleure, Swiss Steel à Lucerne.
     
    Pour ma part, je ne parle quasiment que de ce sujet, depuis des mois. Débats, dans Genève à Chaud (nous y revenons demain, mercredi). Commentaires, éditos, chroniques. Pour une raison simple : la production d'acier est l'un des piliers stratégiques de notre souveraineté suisse. Mon père était ingénieur, ces questions m'ont toujours habité.
     
    Cette majorité de 105 voix contre 84, au National, mérite d'être décortiquée : la gauche, une bonne partie du Centre, une bonne partie de l'UDC. Totalement marginalisé dans un secteur dont il prétendait, de toute éternité, être le roi : le PLR. Terrible défaite pour le parti héritier du grand parti qui a fait la Suisse, le parti radical. Les radicaux de 1848, pères de notre industrie suisse !
     
    Les socialistes et l'UDC ne sont pas des amis. Sur tant d'autres sujets, ils divergent. Mais ils sont capables, maintenant, sur ce thème comme sur d'autres (on le verra dans le domaine de la santé), de dégager des majorités protectionnistes, sociales, attachées aux intérêts supérieurs du pays. L'aile arrogante du PLR, celle des golden boys ultra-libéraux, totalement déconnectée du pays réel, de ses souffrances, subit aujourd'hui une défaite majeure.
     
    Victoire aussi, au sein de l'UDC, de la branche protectionniste et sociale, plus soucieuse du sort de la population que de celui des dividendes. Bref, l'aile Dugerdil, contre l'aile libérale financière. Tout cela, pour le pays, ce sont de bonnes nouvelles. Et ce Pacte d'Acier nous indique, à nous Suisses, la direction à suivre en ces années difficiles : attachement au pays, patriotisme, défense de l'agriculture, de l'industrie, des PME, protectionnisme, priorité au marché intérieur. Oui, c'est une date, vraiment.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Albert Speer, Jean Dumur, les vertiges de la mémoire

     
    Sur le vif - Dimanche 08.12.24 - 14.35h
     
     
    Il me faut commencer par le début, c'est essentiel, parce que dans cette affaire, chacun doit se situer lui-même. Et le début, pour moi, c'est ce soir d'octobre 1971 où, avec mes parents, dans le salon familial, nous regardons l'émission Destins, à la Télévision Suisse Romande. Nous avions encore, pour quelques mois, notre vieille TV noir et blanc, nous n'avons pris la couleur qu'en février 1972, pour les Jeux Olympiques de Sapporo. Russi, Collombin, la gloire.
     
    L'émission est animée par un très grand journaliste, Jean Dumur. Ce soir-là, un invité exceptionnel : Albert Speer, 66 ans, architecte personnel de Hitler, ordonnateur des cérémonies et monuments du Troisième Reich. Puis, pour les trois dernières années de la guerre, redoutable Ministre de l'Armement. A son apogée, en 42, le Reich se porte très mal, côté production. Et c'est paradoxalement pendant les trois années de déclin (42-45) que les usines produisent le mieux. Et c'est grâce à cet homme-là, Albert Speer.
     
    En octobre 71, j'ai treize ans, je connais l'Allemagne de l'intérieur, et j'ai déjà lu mille fois les trois tomes volumineux sur l'Histoire de la Seconde Guerre mondiale, dans la bibliothèque de mes parents. A cet âge, je ne m'intéresse absolument pas aux livres pour enfants, style "Contes et Légendes". Non, je veux la Seconde Guerre mondiale, encore et toujours.
     
    En ce soir d'octobre 71, je connais donc le fond historique, comme un solfège qu'on a appris très jeune, mais franchement il ne me semble pas avoir entendu parler d'Albert Speer. Et là, soudain, cinq ans après sa sortie de prison (1945-1966 : il a été condamné à vingt ans, à Nuremberg), cet homme est là, devant nous, bien vivant, face à Jean Dumur, à la TSR ! Nous n'en revenons pas. Ni mon père, ni ma mère, qui a vécu en Allemagne dans les années trente, dans une famille de la haute aristocratie militaire ultra-conservatrice mais anti-nazie, qui le prouvera le 20 juillet 1944. Ni moi.
     
    Nous avons face à nous un homme qui, au fond, n'a que quinze ans de plus que mes parents, n'en a que 66 (mon âge, aujourd'hui), fut sans doute l'homme le plus proche d'Adolf Hitler, y compris affectivement, a joué un rôle capital sous le Troisième Reich. Et il est là, bien vivant, à Nuremberg il a échappé à la potence, et même à la perpétuité, il a purgé ses vingt ans, a pris des kilomètres de notes sur du papier toilette (on pense évidemment à Sade, et ses rouleaux). Il est là, dans notre salon, avec son regard incroyablement perçant, ce visage calme, d'une troublante profondeur. Et il répond, dans un bon français et avec la totale courtoisie d'un grand bourgeois de Mannheim, aux questions de Jean Dumur. Mon père n'en revient pas. Ma mère n'en revient pas. Je n'en reviens pas. Nous sommes conscients, les trois, de vivre un moment télévisuel, familial, un carrefour dans les chemins croisés de nos consciences historiques en perpétuelle révélation, comme une photographie pour toujours en chambre noire.
     
    Et Jean Dumur, en excellent journaliste, lui pose évidemment la question que tout le monde attend : "Monsieur Speer, sur ce qui s'est passé dans les camps d'extermination, que saviez-vous ?". Et lui, Speer, lui donne la réponse qu'il développe dans son best-seller deux ans plus tôt, Au Cœur du Troisième Reich (1969, trois ans après sa sortie de prison), cette réponse qu'il a mis vingt ans, en prison, à peaufiner au millimètre près, mais qu'il avait déjà donnée à Nuremberg, et qu'il donnera jusqu'à sa mort, à Londres, en 1981 : il prétend ne pas avoir su, mais assume la responsabilité collective, comme Ministre du Reich. Dit-il la vérité ? Ment-il ? Arrange-t-il ? J'avais treize ans et quelques mois : je me souviens parfaitement du moment d'incertitude, de gêne profonde, lors de cette réponse.
     
    Dans les semaines qui ont suivi, j'ai acheté "Au Cœur du Troisième Reich", 617 pages, Livre de Poche, texte intégral, que j'ai encore dans ma bibliothèque, et que j'ai passé ma vie à lire, et relire. J'étais dans ma quatorzième année, je lisais ce livre-là, je zappais les lectures obligatoires d'école (je me souviens d'avoir zappé La Mare au Diable pour Speer, pardon George !), bref j'avais mordu à l'hameçon. Speer était venu à Genève, face à Jean Dumur, pour une tournée de promo, j'ai été son premier gogo. Son client, avec mon argent de poche. Il avait gagné. Cet homme a passé sa vie à gagner.
     
    Et moi, gamin, élève en troisième année d'école secondaire, son client oui ! Mais dès cette émission, puis dès la première lecture du livre, j'ai été fasciné par la question de la vérité. Ou, pour être plus précis, par la question de l'angle et de la situation de celui qui parle. Celui qui écrit. Celui qui, ayant ruminé son scénario pendant ses vingt ans de captivité, se met en scène dans une autobiographie, plus exactement une autofiction. Ne croyez pas qu'il cherche à se disculper, il est beaucoup trop intelligent pour cela : au contraire, il reconnaît sa culpabilité, prétend juste qu'elle est collective et non individuelle. Ce point, dès la sortie de son livre, a été immédiatement contesté par des historiens allemands du nazisme : impossible, selon eux, d'avoir exercé un tel niveau de responsabilité, sans avoir su. Comment le Ministre de l'Armement et de la Production du Reich, qui avait à sa disposition des centaines de milliers de travailleurs forcés, ose-t-il prétendre ne pas avoir su "ce qui se passait en certains lieux de Haute-Silésie" ?
     
    J'ai voulu poser ce prologue avant de vous proposer, d'ici quelques jours, ma chronique sur l'excellent roman que vient de publier, chez Grasset, Jean-Noël Orengo : "Vous êtes l'amour malheureux du Führer". Un peut chef d'oeuvre, remarquablement écrit. Mais d'abord, je voulais tenter de me situer moi-même. Face à l'émission Destins, d'octobre 1971. Face à Albert Speer, personnage majeur du Troisième Reich. Face au principe littéraire de l'autofiction. Face à la mémoire. Face à ce qui est dit, ce qui est tu. Ce qui est retenu, ce qui est écarté. C'est cela, les questions autour de Speer. C'est cela, le livre de Jean-Noël Orengo. Ca tourne autour de celui qui écrit. Et aussi, autour de celui qui lit. Bref, vous et moi, toujours et partout, dès que surgit un texte. C'est compliqué, et c'est infiniment troublant. Vertigineux, même.
     
     
    Pascal Décaillet