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Liberté - Page 1424

  • Michel Halpérin face à la fille du vent

     

    Sur le vif - Dimanche 25.04.10 - 09.10h

     

    Il aura donc fallu le libéral Michel Halpérin, hier à Berne, pour rappeler, menaçant, que la fusion des libéraux avec les radicaux n’avait rien d’acquis ni d’éternel. Pomme de discorde : l’Argent, celui qui saigne et qui corrompt, cet Argent de Péguy, de Bloy, ces secrets de famille dans l'univers bordelais de Mauriac, cet Argent qui est la vraie ligne de démarcation, au fond, entre un certain radicalisme républicain, redistributeur, industriel, et un certain libéralisme plus financier, plus privé. Plus pudiquement, on dira que les mariés se sont disputés, hier à Berne, sur des questions de politique fiscale. Réduite aux acquêts.

     

    Au moins, Michel Halpérin est clair. Ce brillant avocat défend le secret bancaire, bec et ongles, avec constance et panache. Il est cohérent. Face à lui, je te propose, ami lecteur, de reprendre l’ensemble des déclarations de Fulvio Pelli sur cette question, depuis dix-huit mois. On y verra au mieux de l’adaptation tactique, au pire la métamorphose de cet éminent florentin en fille du vent. Ce qui, jusqu’ici, apparaissait plutôt comme la marque de fabrique de ses anciens adversaires du Sonderbund, qui naviguent aujourd’hui entre nuits blanches et listes noires.

     

    Bref, Pelli est-il encore l’homme de la situation ? De plus en plus critiqué à l’interne, est-il celui à qui les jeunes mariés doivent confier leur destin pour le grand combat d’octobre 2011 ? La question, et pas seulement ici, se pose. Quand on a construit toute sa survie sur les équations de feu d’une mathématique d’ombre, enfanté tant d’inconnues sans jamais les reconnaître, il faudra bien, peut-être, se retrouver un jour devant le principe de calcul le plus largement répandu dans le grand public : l’addition.

     

    Quant à l’avenir du PLR, pour peu qu’il demeure dans une forme non-divorcée, un hasard de mise en page, dans le Matin dimanche d’aujourd’hui, nous en esquisse une solution claire et droite, rafraîchissante, dynamisante. Une solution parmi d’autres, oh juste une idée en passant. Disons une hypothèse, une machine à dissoudre les calculs qui font mal. Une médication qui porterait un nom : Pierre Maudet.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Le Président qui aimait les trop jeunes filles

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    Notes de lecture, samedi 24.04.10, 17h

     

    26 août 1944. Paris libéré. Au milieu de l’une des plus grandes confluences humaines de l’Histoire de France, Charles de Gaulle descend les Champs Elysées. À côté de lui, sur une photographie qui appartient aujourd’hui à la légende et que vous avez sans doute tous en tête, parmi Georges Bidault, Alexandre Parodi ou Claude Guy, il y a un homme de soixante ans qui s’appelle André Le Troquer. Je sais, ce nom ne nous dit plus grand chose. Parce qu’un jour, plus tard, il sera blanchi à la chaux.

     

    Ancien combattant de 14 (il y a perdu l’usage de son bras droit), député socialiste de Paris dès 1936, avocat de Léon Blum au procès de Riom, résistant, cet homme aujourd’hui oublié fait partie, en cette heure de pure gloire, du cabinet politique du libérateur de la France. Et devant l’Histoire, ma foi, s’il n’y avait que cette période de sa vie, Le Troquer donnerait encore son nom, aujourd’hui, à pas mal de rues, d’avenues, et pourquoi pas d’écoles. Hélas pour sa mémoire, il y eut les Ballets roses.

     

    « Ballets roses », c’est le nom de cet excellent récit, que j’ai lu le week-end dernier, et qui nous raconte la chute, quinze après la Libération, de ce cacique des Républiques pré-gaulliennes, qui sera même président de l’Assemblée nationale dans les années cinquante. À l’époque, deuxième personnage de l’Etat. André Le Troquer (1884-1963).

     

    Ballets roses : on dirait aujourd’hui « vaste affaire de pédophilie ». Mais en ces années 1959-1960, le mot n’existe pas. On parle de détournement de mineures, de parties fines, on fantasme sur le libertinage très Louis XV, ou Régence, de certaines soirées, dans un pavillon près de Paris. Soirées dans lesquelles André Le Troquer, président de l’Assemblée nationale au moment des faits, est impliqué.

     

    À l’époque, en France, la majorité est à vingt-et-un ans, et la majorité sexuelle à quinze. Et le deuxième personnage de l’Etat est dans l’affaire ! Avec talent et documentation, Benoît Duteurtre, qui nous avait proposé en 2001 un éblouissant « Voyage en France » (Prix Médicis), nous raconte ce thriller politico-judiciaire, sur fond d’une République (la Cinquième) qui chasse la précédente, sur fond de vengeances et d’animosités. Et le dernier président de la Quatrième République, René Coty, celui qui cède la place à de Gaulle au moment de la crise algérienne, se trouve être l’arrière-grand-père de Duteurtre.

     

    L’alerte vieillard qui se retrouvera sur le banc des accusés, à 75 ans, en 1960, est-il vraiment coupable de tous les faits qui lui seront reprochés ? N’a-t-il pas été noirci par le pouvoir gaulliste naissant (notamment par Michel Debré) pour s’être, au printemps 1958, clairement opposé au retour aux affaires du Général ? Cette hypothèse, Duteurtre l’évoque, sans trancher. En tout cas, Le Troquer s’en tirera avec un an de prison avec sursis et 3000 francs d’amende. Considéré avec le prisme d’aujourd’hui, le verdict apparaît d’une insoutenable légèreté. Et c’est précisément le mérite de Duteurtre de nous replonger dans l’ambiance et les valeurs de l’époque, tellement différentes : on n’hésitera pas, du côté de la défense, à contre-attaquer en invoquant la « légèreté » des jeunes filles, et même la « complicité » de leurs parents.

     

    André Le Troquer disparaîtra peu après, en 1963, emportant dans sa tombe la vérité de cette affaire. Hommage à Benoît Duteurtre de nous l’avoir exhumée de l’ombre et de l’oubli, de nous avoir évoqué ce passage d’une République à l’autre avec tant de connaissance et de mise en situation.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Benoît Duteurtre. « Ballets roses ». Grasset, 2009.

     

     

     

     

     

  • La Belgique est morte. Et nous ?

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Samedi 24.04.10



    « La Belgique, c’est fini ». Jacques Neirynck, vendredi matin, a été très clair : ce pays qu’il définit lui-même comme totalement artificiel, né du Congrès de Vienne (1815) et de la Révolution belge de 1830, où on a obligé à vivre ensemble des communautés qui ne le voulaient pas, est mort. Belge lui-même, ayant côtoyé Brel à l’école, vu la Gestapo venir chercher un enfant juif dans sa classe, travaillé comme ingénieur dans un Congo colonial digne de Tintin, le conseiller national démocrate-chrétien sait de quoi il parle.

    Et la Suisse ? Les latins, les germanophones risquent-ils un jour le divorce ? Dans l’absolu oui, bien sûr : nul Etat n’est éternel. Pourtant, la manière dont s’est tissé notre pays, notamment depuis 1798, ou 1848, la patiente construction d’une culture politique commune, au-delà des langues, des confessions, de la plaine ou de la montagne, de la ville ou de la campagne, peuvent nous préserver de nos propres ferments de dispersion, qui ne sont pas moins puissants, au fond, que sur les rives de l’Escaut.

    Ils peuvent nous en préserver, mas rien n’est garanti. Parce que la Suisse n’est rien d’autre qu’une petite fleur fragile. Il faut s’en occuper, l’arroser, peut-être même lui parler. Cette culture politique, il faut la faire vivre. Beaucoup, à l’extérieur, nous l’envient. Discutez avec des Français : ils ne cessent de réclamer des droits venus d’en bas, comme nos initiatives ou nos référendums.

    Cette culture politique, surtout, n’a rien de statique : elle n’a de sens que par la réforme permanente, l’adaptation, souvent dans la douleur, aux nouveaux défis. Oui, la démocratie, c’est s’engueuler, se battre, chercher à convaincre. Parce qu’en se querellant, au moins, on se parle. Et peu importe que ce soit dans la langue de Voltaire, de Brecht, de Pasolini ou même, eh oui, dans celle d’Ismaïl Kadaré.

    Nous ne sommes en rien meilleurs que les Belges. Nos démons n’ont rien à envier aux leurs. L’humain est ce qu’il est, avec la noirceur de son âme et le retour, à tout moment possible, de la barbarie. Si nous survivons, en tout cas pour l’heure, c’est parce que nous continuons à nous parler. Parfois, les assiettes volent et vont se fracasser au mur. Mais ce bruit-là est celui de la vie. Il en est de bien pires.

    Pascal Décaillet