Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 1423

  • Uli et les chers camarades

     

     

    On aime ou non Uli Windisch, on apprécie ou non ses idées, ça n’est pas ici la question.

     

    La question, c’est la chasse aux sorcières dont fut victime cet homme, l’an dernier, de la part de certaines personnalités socialistes bien précises, au premier plan desquelles Christian Levrat, pour avoir publié dans le Nouvelliste, le 14 mai 2009, une chronique intitulée : « Notre ennemi : le socialisme de la démagogie et des bas instincts ». Chronique certes assassine, j’ai déjà écrit que je n’aurais pas utilisé ces mots-là, mais enfin chronique, expression libre d’une idée, dans le champ éditorial de Suisse romande, avec l’indépendance que donne le statut de chroniqueur externe dans les colonnes d’un journal.

     

    J’ai lu dimanche après-midi, d’une traite, le livre*** que vient de consacrer, juste un an après les faits, le principal intéressé à sa propre affaire. Le constat, textes et documents à l’appui, est encore plus dévastateur que le sentiment qui était mien au moment des faits, où j’avais plusieurs fois pris la plume pour défendre Uli Windisch : au plus haut niveau du parti socialiste suisse, on a voulu sa peau. On a ourdi, tramé, écrit des lettres derrière son dos, mis la pression, demandé sa tête.

     

    Et on a bien failli l’obtenir ! Sans la mobilisation de quelques-uns, parmi lesquels Philippe Barraud et Vincent Pellegrini, tout était prêt pour que fût offerte aux caciques du PSS, sur plateau d’argent, la tête de l’odieux importun. Ici, c’est un journaliste de la RSR (livre de Windisch, page 12) qui, aussitôt après parution du texte dans le Nouvelliste, « téléphone à l’Université pour lui demander ce qu’elle pense de la chronique, et, le cas échéant, quelles sanctions elle compte prendre à l’encontre d’Uli Windisch ». Là, c’est Christian Levrat, président du parti socialiste suisse, qui prend la plume pour demander la tête de Windisch. Ailleurs encore, c’est un député socialiste genevois qui saisit le Grand Conseil. Sans compter Stéphane Rossini, no 2 du PSS.

     

    Climat typique de chasse aux sorcières, oui. Que recrée parfaitement le livre, en produisant simplement, dans l’ordre chronologique, tous ces différents documents. Il en ressort un goût amer de délation, de petitesse, d’acharnement. Contre qui ? Contre un homme, simplement, qui avait émis une opinion. Nul, chez les chers camarades, ne sort grandi de ce climat d’épuration. A commencer par Christian Levrat, dont on découvre, ma foi, une facette bien peu libérale, bien peu tolérante, plus proche de Fouquier-Tinville que de Jaurès.

     

    Et encore, quand vous aurez lu certains articles de Jaurès dans la Dépêche du Midi, au moment de la montée de l’antisémitisme à Alger, dans les années 1880-1890, nous reprendrons amicalement le sujet.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** "L'affaire UW", par Uli Windisch, Editions L'Âge d'Homme, avril 2010.

     

     

     

  • Brice Hortefeux serait plus heureux au Front national

     

    Sur le vif - Lundi 26.04.10 - 11.15h

     

    Le 2 avril, à Nantes, une femme a été verbalisée pour avoir porté, au volant, un niqab (masque couvrant le visage, sauf les yeux, porté dans certains pays musulmans). Dont acte. Il y a sans doute un article du Code de la route qui exige un minimum de vision latérale quand on conduit. En soi, l’affaire est totalement mineure, et ne présente d’intérêt que pour l’étude du champ ophtalmologique en Loire-Atlantique.

    C’était compter sans Brice Hortefeux. Ministre de l’Intérieur, obsédé par l’idée des récupérer les thèmes sécuritaires – et surtout identitaires – du Front national, ce proche de Nicolas Sarkozy est en train d’instrumentaliser allégrement cette infraction routière pour réécrire l’histoire de Charles Martel et de Poitiers.

    Il est vrai qu’en creusant un peu le pédigrée de l’infortunée conductrice, les choses ne s’arrangent pas : elle serait l’une des épouses d’un polygame, appartenant à une mouvance radicale, et fraudant l’aide sociale. Toutes choses devant à coup sûr être sanctionnées. Il existe, pour cela, des lois. Nul n’en disconvient.

    Mais l’aubaine était trop belle. Dans une lettre aux autorités, et aussitôt remise à la presse, donc adressée en fait à l’opinion publique, le ministre écrit ceci : « Je vous serais très reconnaissant, en outre, de bien vouloir faire étudier les conditions dans lesquelles, si les faits étaient confirmés, l’intéressé pourrait être déchu de la nationalité française ».

    Déchoir un Français de sa nationalité. Oh, je sais, plein de lecteurs trouveront cela très bien, un excellent exemple. Mais savent-ils seulement quels démons historiques la seule évocation de cette mesure vient convoquer ? Ont-ils entendu parler de Vichy ? Des lois d’octobre 1940 ? Je ne doute pas que le polygame fraudeur soit un individu peu recommandable, mais la construction, en l’espèce, d’un bouc émissaire pour faire passer le principe d’une mesure scélérate, est trop évidente pour ne pas être relevée.

    Entre un ministre de l’Intérieur qui serait sans doute mieux dans ses bottes au Front national et un président de la République à bout de souffle, on se dit que notre grand voisin et ami, ce pays qui nous a tant nourris par son Histoire et ses étincelles de Lumières, mériterait mieux. Qui, quoi, je n’en sais rien. Mais mieux, à coup sûr. Parce que 2012, c’est encore très loin.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

  • Helder, Kenza

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 26.04.10

     

    Ils étaient là, devant nous, vendredi matin, 7h, en radio, un Alceste portugais, une Célimène voilée. Helder et Kenza. Collégiens de Rousseau, ou d’André-Chavanne, élèves de Marie-Christine Epiney, qui se bat depuis tant d’années pour le théâtre à l’école. Acte IV, scène 3, scène de jalousie, c’est Molière dans la zone industrielle de Carouge, la métrique alexandrine sur fond de marteau-piqueur.

     

    Ils étaient là, et je pensais à Jean Piat, Comédie de Genève, 1973, l’homme grâce à qui je suis tombé amoureux d’Alceste. Bougon, solitaire, franc, sale caractère, jaloux, détestant les mondanités, adorant la poésie. Et, les syllabes d’Helder allant s’évaporant, je pensais à cette pièce qui, à quinze ans, m’avait tant ébloui.

    Helder, Kenza, Clara, Nathalia, et plein d’autres joueront le Misanthrope, dès demain soir, à l’aula du Collège Rousseau. Sans Marie-Christine Epiney, sans les profs d’atelier-théâtre, sans la volonté politique d’encourager les arts chez les jeunes, les vers de Molière leur seraient peut-être restés éternellement étrangers.

    Il y aura aussi Segen au piano, Pierre au chant. Il y aura la sincère Eliante, la prude Arsinoé, il y aura l’envie de faire vivre le verbe. Il y aura des ponts entre les générations, le miracle d’une transmission, et des disciples que le maître invite à s’élever. Cela porte un très beau nom : cela s’appelle l’école.

     

    Pascal Décaillet