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Liberté - Page 1341

  • Libre circulation : le PLR se réveille

     

    Sur le vif - Mardi 03.05.11 - 12.38h

     

    Vendredi dernier, alors que paraissait dans le Temps le papier de Mark Muller sur la préférence cantonale en matière d’engagements, nous réagissions, sur ce blog, sous le titre « Apocryphe ou non, l’Evangile selon Saint Mark mérite le détour ». Le texte de Mark Muller annonçait la conférence de presse du Conseil d’Etat d’hier, dont beaucoup parlent ce matin. Oui, il y a inflexion d’une politique, oui il y a lieu de s’en réjouir : elle va dans le bon sens, tient compte des souffrances des chômeurs locaux, et peu importe que le gouvernement se soit inspiré des thèses du MCG, ce qui compte c’est le résultat.

     

    Mais aujourd’hui, en fin de matinée, il y a du nouveau. Le phénomène de « copié collé », spécialité absolue du PLR (par rapport à l’UDC) en politique fédérale depuis des années, se confirme avec éclat. Dans un communiqué qu’il vient de publier, ce parti, naguère champion du libre échangisme sans entraves (version libérale de la jouissance libertaire de 68), nous propose un virage à 180 degrés où il multiplie les demandes de garanties contre les abus de la libre circulation des personnes : dumping salarial, tourisme social, faux indépendants. Sans compter une mise en garde draconienne contre le risque des flux migratoires en provenance d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, dont le style pourrait être immédiatement puisé d’un service de presse de l’UDC.

     

    Last, but not least : « Il paraît illusoire de vouloir appliquer les accords de Schengen/Dublin sans renforcer le contrôle aux frontières. Le Conseil fédéral doit se rendre à Bruxelles pour exiger l’application de ces accords ». Dixit l’UDC ? Niet : le PLR !

     

    La leçon de tout cela ? Au moment où, dans les sondages (cf gfs/SSR de vendredi dernier), le PLR tutoie les abysses, voire la fosse des Mariannes, il commence à se rendre compte que le peuple suisse n’est pas insensible à un minimum de protectionnisme. Lequel ne signifie ni xénophobie, ni fermeture des frontières. Coïncidence : c’est aujourd’hui même que le Seco (Secrétariat d’Etat à l’Economie) publie le nombre impressionnant d’entreprises suisses qui ne respectent pas les normes salariales et pratiquent le dumping. Serge Gaillard, à l’instant où je termine ce billet, s’en explique au micro de David Racana, en ouverture du 1230h RSR.

     

    Bravo au PLR pour sa prise de conscience. La prochaine fois, sur un thème de son choix, peut-être pourrait-il s’arranger pour arriver en premier. Dans une autre vie ? Un autre monde ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • Simon de Cyrène

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 02.05.11

     

    Bien sûr, Rome est un cirque et ce cirque est maxime. Bien sûr, il y a l’éternité de Cinecitta, la constante mise en scène de cette ville unique, le front audacieux des palais, le grand Du Bellay en avait très vite souffert. Bien sûr, une béatification est un show, une piqûre de rappel, « de propaganda fide », trop de faste, trop de télés, c’est Kate et William version Vatican. Catholique, je préfère la sobriété de Cluny. Ou Cîteaux. Ou la solitude d’une madone, au fond d’une chapelle de montagne. En Entremont.

     

    Mais l’essentiel, hier à Rome, c’était la mémoire de cet homme-là. Dire qu’il m’a marqué est un bien faible mot. Le christianisme, non par les grands mots, mais par l’exemple. Un être seul, mais au cœur du monde, dans l’acuité de sa souffrance. Karol Wojtyla, c’était une solitude et une résistance. Un homme sur le chemin, dont les dernières années furent de croix, comme tant d’entre nous, face à la maladie, parfois l’abandon. Souffrance au cœur des souffrances. Avec elles. Juste Simon de Cyrène, qui aide à porter. C’est tout.

     

    Alors voilà, il est mort il y a six ans, et je resterai simplement fier d’avoir été, quelque part dans la masse du monde, son contemporain. Au-delà de la foi qui est chose privée, et dont je suis d’ailleurs incapable de parler, il y avait la lumière d’un exemple. Le sien. Pas la Lumière blafarde, avec un grand L. Non, juste le lumignon. Auprès de la madone. Celle qui nous sourit.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Mai-juin 40, vus par Julien Gracq

     

    ManucritsGuerre_gracq.jpgNotes de lecture - Dimanche 01.05.11 - 10.14h

     

    Quelque part au milieu des sept merveilles du monde, il y a la prose de Julien Gracq. Du Rivage des Syrtes à Lettrines, en passant évidemment par l’éblouissant Balcon en forêt, ceux qui aiment cet auteur se disaient qu’ils devaient être face à une œuvre achevée. C’était sans compter deux petits cahiers légués par Gracq à la Bibliothèque Nationale de France. Le récit des journées sombres de mai-juin 1940, l’effondrement de la France en six semaines, par un lieutenant de presque trente ans, Louis Poirier, affecté au 137e régiment d’infanterie de la « première armée du monde », l’armée française. Qui s’écroulera, s’évanouira, se pulvérisera en moins d’un moins et demi.

     

    Poirier, c’est Gracq. À en croire Bernhild Boie, dans l’avant-propos, ces souvenirs de guerre, jetés là, au jour le jour, sur un cahier d’écolier intitulé « Le Conquérant » ( !) n’étaient pas destinés à sortir d’un tiroir privé. Le texte commence le 10 mai 40, jour de l’attaque allemande à l’ouest, et se termine le 2 juin, lorsque le lieutenant Poirier, encerclé près de Dunkerque (dont il devait tenir la tête de pont) crie à la Wehrmacht : « Ne tirez pas. Nous nous rendons ». C’est tout.

     

    Entre ces deux dates, c’est, au fond, toute « L’Etrange Défaite », le chef-d’œuvre de Marc Bloch, que nous raconte le lieutenant. Promenée en Belgique, puis en Hollande, pour finalement confluer avec des dizaines de milliers d’hommes vers Dunkerque en déroute (tenir, à tout prix, pendant que des camarades plus chanceux embarquent vers l’Angleterre), la section Poirier se trouve constamment comme en marge, en lisière de la « vraie guerre », sans jamais la mener. Le lieutenant Poirier n’est ni héros, ni lâche : là où d’autres détalent sous le feu ennemi, il refuse le repli sans avoir reçu un ordre écrit.

     

    Il nous décrit des hommes indifférents au destin de cette guerre, un commandement empêtré dans des ordres contradictoires, une absence totale d’esprit de corps, chacun ne pensant qu’à soi, à commencer par le lieutenant. Le narrateur de ces cahiers de guerre, sensible à la météo (nous sommes au printemps, il trouve sublimes certaines régions de Hollande), nous décrit le paysage de campagne avec l’amoureuse précision de l’une des grandes passions de sa jeunesse, la géographie. Et puis, l’Allemand fascine. Parce qu’il sait, lui, où il va, il a des objectifs de guerre, se donne les moyens de les atteindre. Dans ce récit, l’armée française est toujours terrée quelque part, à attendre, la Wehrmacht toujours en mouvement. Gracq et ses hommes, littéralement, la regardent passer ! Comme s’ils étaient spectateurs de cette guerre, non acteurs.

     

    Reste la grande question : qui écrit ? Louis Poirier, Julien Gracq ? En 1940, l’ancien élève, brillantissime, du Lycée Georges-Clemenceau de Nantes est déjà entré en écriture, notamment avec Au château d’Argol, remarqué par Breton. Il faut voir, dans ces souvenirs de guerre, comme le style évolue selon que le narrateur nous décrit l’attente, ou la furie des derniers jours, lorsque la section se trouve encerclée près d’un canal, dans la région de Dunkerque, et sent l’étau allemand, par une apocalypse d’artillerie, se refermer sur elle. Saisissantes, ces pages : on y retrouve le style du Balcon en forêt, la proximité de la guerre, le chemin de lisière, qui finit par devenir présence.

     

    Sobriété du style. Phases sans verbe. À la manière d’une chronique du temps qui passe, ou d’une sorte de journal de garde, disons tenu par un factionnaire très légèrement surdoué. Ce livre est là (je viens de le lire quelque part dans le Vaucluse), on y voit la guerre et on ne la voit pas, on y entrevoit l’Allemand comme une silhouette nocturne, fugace, pressée. Le temps de la Wehrmacht est un autre temps que celui de la section Poirier. Son monde, un autre monde. L’un est celui de l’aube, l’autre se sait crépusculaire.

     

    Ce livre est là, sous vos yeux. Il ne vous tombe pas des mains. A lire, d’urgence.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Julien Gracq, Manuscrits de guerre, Editions José Corti, avril 2011, 246 pages.