Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 1148

  • Le Diable a 71 ans - Et alors ?

     

    Sur le vif - Jeudi 18.04.13 - 17.06h

     

    J’ai rencontré Christian Grobet pour la première fois en 1978, le Journal de Genève m’ayant envoyé couvrir une réunion politique dans l’arrière-salle d’un bistrot des Pâquis. J’étais étudiant, j’adorais faire des piges, le soir, rendre ma copie sur une vieille machine à écrire, avec le délai de minuit ou d’une heure du matin. Tous ceux qui ont connu cette ambiance de la rue du Général-Dufour, avec les exemplaires tout frais qui nous voletaient sur la tête, au-dessus du couloir d’entrée, en gardent un souvenir inoubliable.

     

    Pâquis, donc, débat politique. Grobet était, depuis neuf ans, député au Grand Conseil, il était l’homme qui monte au parti socialiste. Plus tard, lorsqu’il sera conseiller d’Etat et moi journaliste à plein temps au Journal de Genève, j’ai couvert un très grand nombre de ses conférences de presse, les affaires de chantiers me passionnaient, mon père était ingénieur. A chaque fois, pendant ses douze ans aux affaires (1981-1993), j’ai rencontré un homme totalement compétent, maîtrisant les dossiers mieux que quiconque, disponible avec la presse, soucieux de l’intérêt public. J’avoue, les trois fois (1981, 1985, 1989), avoir voté pour lui. Grobet en imposait, il avait des ennemis partout, ma délicieuse consœur Françoise Buffat prenait un savoureux plaisir à le vilipender, il était le Diable, et j’aime ça.

     

    Face au Christian Grobet d’aujourd’hui, il y a deux générations. Ceux qui ont connu l’homme d’Etat, l’un des trois plus impressionnants de l’après-guerre, à Genève, avec Chavanne et Segond; ceux qui ne l’ont pas connu. Cette seconde catégorie n’a eu droit qu’au Grobet se survivant à lui-même, survivant à cette belle équipée exécutive suscitant les haines et les passions. Le Grobet non-reconduit par ses pairs, en 1993, pour un quatrième mandat. Le Grobet de « la gauche de la gauche », parfois vitupérateur du vide, parfois courageux imprécateur, un homme en pleine force de l’âge que l’Histoire avait comme arrêté, dans son élan.

     

    Je ne conteste à personne le droit de combattre les idées politiques de Christian Grobet. Je comprends parfaitement que les milieux immobiliers, par exemple, le considèrent comme l’un des plus parfaits emmerdeurs depuis le film avec Brel et Lino Ventura. Tout cela, oui. Mais il y a une chose qui ne va pas. Les allusions sur son âge. Les perfidies sur la prétendue baisse de ses moyens. Des mots comme « dinosaure », « pathétique », d’autres encore, nauséabonds. Né en juillet 1941, à New York, Christian Grobet a aujourd’hui 71 ans. Ça n’est certes pas tout jeune. Mais les mêmes qui le conspuent, n’auraient-ils pas reconduit de Gaulle (75 ans) en 1965, Mitterrand (72 ans) en 1988, Chirac (70 ans) en 2002 contre Le Pen ? Moi, si, dans ces trois cas de figure. Et sans le moindre état d’âme. Et sans parler d’Adenauer, ni de Sandro Pertini.

     

    Je ne dis pas ici que je voterai Grobet, je n’en sais rien encore. Mais le disqualifier sous le seul prétexte de l’âge, cela discrédite le porteur du jugement. Le militantisme politique est un démon, la puissance d’un désir, la capacité  à se projeter vers des combats et des inventions. Le moins qu’on puisse dire est que Christian Grobet, avec qui j’étais encore hier soir, fait preuve, en ces espèces, d’une étonnante et redoutable jeunesse. Je ne pense pas qu’il sera Conseiller d’Etat. Mais il ferait, 44 ans après sa première élection au Grand Conseil, un redoutable député. Et puis, voyez-vous, moi j’aime le désir, j’aime le combat. Et voir un aîné qui a encore envie de s’investir pour la chose publique, désolé mais j’admire ça, profondément.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Succession DIP : l'excellence s'impose

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 17.04.13


     
    De Calvin à Starobinski, en passant par Rousseau, Genève se doit d’être un lieu où souffle l’esprit. Par ses grandes figures culturelles, mais aussi par un système d’éducation qui soit exemplaire. Pas seulement les Hautes Ecoles,  mais la qualité de l’instruction de base, celle à laquelle tous sont astreints. Cela exige la puissance d’une volonté politique, celle aussi d’une vision. Avec, à la tête de l’Instruction publique, une personnalité républicaine, ancrée dans la connaissance de l’Histoire, ayant une équation personnelle avec la transmission des connaissances. Je le dis et le répète depuis des années : le DIP est, de loin, le plus important de tous nos Départements. Il n’est pas question, après le départ de Charles Beer, de le laisser, pour cinq ans, aux mains de n’importe qui.
     


    En d’autres termes et pour être clair, message aux partis politiques : veuillez considérer cet enjeu comme amiral, ce qui ne semble pas du tout, pour l’heure, dans votre champ de priorités. Veuillez vous en occuper dès ce printemps, avec une stratégie, et déjà des papables en tête. Veuillez faire de l’école un thème de campagne, et pas seulement sécurité, logement, mobilité. Veuillez exiger de vos candidats qu’ils développent une vision et des projets précis, pour l’avenir de l’école genevoise. Folie, je dis bien folie serait de laisser le DIP, après le 10 novembre, au petit dernier, ou à celui qui se ferait plumer par les autres, ou qu’on ne saurait pas où mettre.


     
    C’est, au contraire, le meilleur de tous, le plus expérimenté, qui doit reprendre ce Département. Cela doit être, aussi, le membre d’un parti républicain, qui croit en l’Etat. Cela doit être une personne d’une certaine culture, un être concerné personnellement par le savoir et la formation. Cela exclut les passants du hasard, arrivés juste parce qu’il y avait de la lumière, ou qui, toute leur vie, n’auraient que surfé sur le jeunisme et sur le flot des modes. A partir de là, faites vos choix. Le mien, radicalement, est fait. J’y reviendrai.


     
    Pascal Décaillet

  • Margaret et les torrents de haine

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 12.04.13
     
     
    De monstrueux torrents de haine et de fiel. Un esprit de rancœur, nourri d’automatismes de pensée, les mêmes depuis trois décennies. Un manichéisme glacial, binaire. Une absence de décence devant la mort. Dès l’annonce, lundi 8 avril, 14h, du décès de Margaret Thatcher, une partie de la gauche suisse a arraché le masque. Elle a montré un inquiétant visage : celui de la mise à l’index, dans un climat d’Inquisition et d’Epuration. On a eu l’impression que le diable lui-même, pour peu qu’il existât et qu’il fût mortel, avait tiré sa révérence : on le renvoyait chez lui, dans ses appartements de l’Enfer. Triste spectacle, qui en dit long sur le comportement de certains, le jour où d’importants pouvoirs viendraient à leur échoir.


     
    Ceux qui me lisent, depuis tant d’années, dans ce journal, commencent à me connaître : je ne suis pas un libéral, encore moins un ultra, je crois en un Etat solide, efficace et solidaire, la pensée économique de Mme Thatcher n’est donc vraiment pas la mienne. En même temps, j’admire la femme d’Etat, son courage contre vents et marées, sa solitude face à tous, sa totale indifférence envers l’idée d’être impopulaire, d’être traitée de tueuse d’Irlandais ou de marins argentins. Alors oui, elle divise, et même après sa mort. Elle divise, comme les plus grands. Partisan acharné, dès mon enfance, du général de Gaulle, il m’est arrivé, juste après sa mort, en novembre 1970, d’avoir des discussions enflammées avec des amis Pieds Noirs. Ils le haïssaient, je l’adulais. C’était ainsi. Ceux qui, dans leur vie politique, ont pris des risques, ne laisseront jamais une mémoire lisse et glissante. Ils suscitent les passions. La Dame de fer était de ceux-là.


     
    A partir de là, chacun d’entre nous est libre de l’aimer ou non, tout cela se discute. Ce qui m’a donné la chair de poule, c’est bel et bien le déversement de haine, parfois jusqu’à la vulgarité, dès qu’on a appris son décès. Je ne demande pas à ses ennemis de lui trouver miraculeusement des qualités sous le prétexte de sa disparition. Mais enfin, il me semble, et disons et que je parle ici avec mon rapport au spirituel, que face au mystère de la mort, un minimum de retenue s’impose. Même pour son pire ennemi. Qu’on démolisse son legs, aucun problème. Mais cette manière, chez certains, de lui promettre les flammes éternelles. Cette systématique reprise, sur les réseaux sociaux, de la chanson de Renaud, comme si une décennie aux affaires, tellement décisive dans l’Histoire, se résumait à ça. Et jusqu’à Mélenchon, Inquisiteur en chef, se réjouissant qu’elle connaisse l’Enfer. Cette gauche-là, heureusement pas tous, c’est la gauche de la haine et de la vengeance. Elle est sans pitié. A ses adversaires, elle ne fera jamais le moindre cadeau. Parce qu’elle est persuadée d’être détentrice du Bien et de la morale. Cette gauche-là, oui, me donne des frissons.


     
    Pascal Décaillet