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Liberté - Page 1148

  • Chénier, Dugain, le chemin perdu

     

    Jeudi 27.12.12 - 19.06h

     

    Le point commun entre André Chénier, le poète des alcyons, qui perdit la tête sur un échafaud à l'âge de 32 ans, en 1794, et  Marc Dugain, le génial auteur (entre autres) de la Malédiction d'Edgar, né en 1957 ?

     

    Ne cherchez pas. Des livres de ces deux auteurs, simplement, me furent offerts avant-hier, pour Noël, par mes deux filles. Une fois de plus, elles ont senti juste. Ayant décrété une bonne fois, autour de 1973, en pleine folie rimbaldienne, que nul grand poète français n'avait, étrangement, vécu au 18ème siècle, j'avais toujours remis la lecture de Chénier, malgré les innombrables dédicaces qui lui étaient consacrées chez les génies poétiques allemands contemporains de sa fin tragique, puis ceux du 19ème. Ce rejet de ma part est une erreur, que je vais maintenant m'employer à combler. Oui, Chénier vaut mieux que d'être perpétuellement pris en exemple par des grammairiens et rhétoriciens imberbes et asexués, à cause de ses doux alcyons qui pleurent, et de sa jeune Tarentine. Je me rappelle par exemple que Bernhard Böschenstein, mon inoubliable professeur de poésie allemande à l'Uni, nous en recommandait la lecture, comme l'un des chemins pour aller vers Hölderlin.

     

    Avec Dugain, auteur contemporain dont j'ai lu presque tous les livres, je suis chez moi. Un style. Un art du scénario littéraire campé sur fond historique, comme on n’en avait plus vu depuis longtemps (Anatole France, « Les dieux ont soif », 1912, chef d’œuvre). Un écrivain majestueux, dont j’ai souvent, dans mes Notes de lecture, évoqué les ouvrages, ici même.

     

    André Chénier, Marc Dugain. Le hasard d’un Noël. Pourquoi aimons-nous tant les livres, en vertu de quelle magie ? Enfant, adolescent, deux choses m’ont aidé à vivre : les livres, les journaux. Tous les livres et tous les journaux qui me tombaient sous la main. Et puis, la musique. Mes filles, aujourd’hui, vivent le même trajet, chacun le sien. On discute, on évoque, on échange, on essaye de se faire envie. Tenez, je me suis mis, grâce à l’une d’elles, à écouter Rachmaninov, alias le Fou, alias le Trop Romantique, alias le Débordant. J’écoute, mes préjugés se dissipent.

     

    Ainsi la vie, autour des livres. Nulle recette. Nul chemin, hors de soi-même. Tout au mieux, des dons, des prêts, des échanges. « Unterwegs zur Sprache », le titre de l’ouvrage fondamental où Heidegger, entre 1950 et 1959, analyse nos liens au langage. J’ai toujours, à chaque livre, ces trois mots en tête. Comme un chemin. Une initiation. Une aventure.

     

    Le seul grand chemin. Le seul qui ne soit pas perdu. Le seul où accepter de se perdre, plutôt, serait la clef des retrouvailles. Avec qui ? Je l’ignore.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Contrôler les flux migratoires : oui, bien sûr !

     

    Sur le vif - Mercredi 26.12.12 - 16.20h

     

    Préférence nationale. Conseiller national zougois, le PDC (oui, je dis bien le PDC) Gerhard Pfister a osé. Il estime que l'initiative de l'UDC sur l'immigration de masse doit être prise très au sérieux et mérite un contre-projet. Seule une prise en compte du malaise des Suisses face à l'application aveugle de la libre circulation des personnes permettra, selon lui, de maintenir le capital de confiance de la population envers les autorités.



    Inutile de dire que ce politicien a parfaitement raison. Un sondage de l'Hebdo, la semaine dernière, faisait figurer l'immigration (excessive, non-contrôlée) et l'aménagement du territoire (thème de plus en plus important) dans les préoccupations prioritaires des Suisses.



    Nos beaux esprits de gauche ou du centre mou préfèrent nier ces réalités. Ou tuer le messager en dénigrant le principe même des sondages (je serais prêt à les suivre, mais alors, ignorons tous les sondages, toujours, pas seulement ceux dont les résultats nous dérangent). Ils confondent contrôle des flux migratoires (que pratiquent absolument tous nos voisins, et de façon autrement draconienne que nous) avec xénophobie. Alors que ça n'a strictement rien à voir. Cette confusion, savamment entretenue, est aussi scélérate que scandaleuse.


    En voulant culpabiliser, sous des paravents de morale, les Suisses qui souhaitent ces contrôles renforcés, nos beaux esprits rendent un très mauvais service à la libre expression des opinions dans notre communauté citoyenne. Du coup, tant de nos compatriotes, de peur de passer pour xénophobes, préfèrent penser tout bas plutôt que de dire tout haut. Ça n'est jamais bon, jamais sain, dans une démocratie.



    Il me plaît enfin que M. Pfister soit PDC, prouvant en cela qu'il existe encore, dans ce grand parti qui a largement contribué à faire le pays, une aile pragmatique et conservatrice, attachée à des valeurs de droite, proche des préoccupations des gens. Disons que, de Genève, on aurait parfois pu en douter.



    Si la droite non-UDC ne veut pas, face à l'initiative sur l'immigration de masse, se retrouver, un certain dimanche, une fois de plus, pitoyablement, à la remorque, n'ayant rien vu la première, rien senti venir, rien anticipé, elle doit écouter très attentivement les recommandations de M. Pfister. Arriver avec ses propres projets, cohérents et visionnaires, sur la politique migratoire. Surtout, elle doit écouter la population, ses malaises, ses souffrances. Parler de préférence nationale, en matière d'emploi, en Suisse, comme parler de préférence cantonale à Genève, n'a strictement rien à voir avec une quelconque xénophobie. Toute communauté humaine a le droit de privilégier les siens. Le droit, et sans doute aussi le devoir.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Pompidou : un livre à lire, absolument

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    Notes de lecture - Lundi 24.12.12 - 16.30h

     

    Des années de présidence de Georges Pompidou (1969-1974), je me souviens comme d’hier. J’avais entre onze et seize ans, me passionnais pour la politique, suivais toutes les informations et les débats en radio et en télé, dévorais le Monde, tous les samedis, à la Bibliothèque municipale. Enfant, j’étais très attaché à la personne du général de Gaulle. Adolescent je découvrais, par d’infinies lectures, ce qu’avait été sa politique. Et c’est vrai, même si j’avais (comme tout le monde) beaucoup de respect pour Pompidou, je peinais à envisager le deuxième président de la Cinquième République pour lui-même, ne voulais voir en lui qu’une excroissance post mortem, plus humaine et moins majestueuse, du grand homme qui s’était éteint le 9 novembre 1970.

     

    Évidemment, j’avais tort. Georges Pompidou (1911-1974), est un homme en tous points remarquables, d’une immense lucidité politique. Il a certes attaché son destin (1944-1968) à celui du Général, mais l’intimité de ce lien n’a rien d’une confusion, encore moins de la disparition d’une personnalité au profit d’une autre. Simplement, entre 1962 et 1968, Pompidou a exercé le pire job qui se puisse concevoir, Premier Ministre d’un géant. Comment voulez-vous, alors que l’autre, le fou, le prophète, occupe tout l’espace, espérer pour vous la moindre existence ? La France, en ces années-là, est présidée par un homme d’exception, un Richelieu, un Carnot, un Bonaparte, un Clemenceau : comment pouvez-vous imaginer que le Premier des ministres soit autre chose qu’un exécutant, au mieux talentueux ?

     

    Eh bien justement, cette vision aussi (qui était mienne, comme enfant, dans les années soixante), est fausse ! Les « Lettres, notes et portraits / 1928-1974 », qui viennent de sortir chez Robert Laffont, et qui se délectent goulûment, nous montrent un Pompidou souvent en désaccord, menaçant de partir (à propos de l’exécution de Jouhaud, l’un des auteurs du putsch d’Alger en avril 1961 ; de Gaulle cédera), ne se laissant pas faire par le Secrétariat général de l’Elysée (qui a pour vocation immémoriale de court-circuiter Matignon). Surtout, un Premier Ministre beaucoup plus au contact de la population, des réalités de la France, que l’homme de l’Histoire, tout en haut, sculptant son destin. Bref, un sage, un conservateur, un homme d’instinct et de bon sens, toutes choses que, de son vivant déjà, nous pressentions tous. C’est pourquoi nous le respections. Il était moins visionnaire, moins fou, moins génial, n’avait pas eu à en découdre avec les mêmes équations historiques, il était l’homme de la paix, du progrès, de l’industrialisation. L’homme des trente glorieuses. L’homme d’une France qui se croyait apaisée. Lire Annie Ernaux, sur ces années Pompidou, c’est tellement juste et tellement bien écrit.

     

    Je regarde mes livres, une chose me frappe. J’ai une bibliothèque entière (collectionnée dès le début des années septante) sur de Gaulle, à peu près la moitié sur Mitterrand, et seulement… trois ouvrages sur Pompidou ! D’où mon bonheur à m’être précipité sur ce dernier bouquin, fruit du travail d’Alain Pompidou (fils du président) et d’Eric Roussel, magnifique spécialiste, notamment, de Pierre Mendès France. Ils l’ont édité, mais l’auteur, c’est Pompidou lui-même ! Lettres, fort nombreuses, très grande fidélité en amitiés (Pujol, Senghor), échanges avec le Général, avec Mauriac, avec ses ministres, avec des journalistes (qu’il n’hésite pas à engueuler sur des erreurs factuelles ou des légèretés de méthodes). Pompidou écrit bien, sans avoir la majesté grand siècle d’un de Gaulle, ni  la sensualité de plume d’un Mitterrand. Son écriture est celle d’un Normalien de grande culture, sans plus. Vous me direz que ça n’est déjà pas si mal ! Sans doute eût-il laissé, si la mort ne l’avait fauché à l’âge de 63 ans, des Mémoires plus achevés, qui nous eussent permis de jauger davantage la plénitude de son style.

     

    Sa mort ! Je l’ai vécue comme des millions de personnes. J’allais sur mes seize ans, j’étais, avec mes parents, en train de regarder un film terrible, « L’Homme de Kiev », une histoire d’antisémitisme en Russie, sous Nicolas II. Soudain, interruption du film, speaker, « Mesdames et Messieurs, le président de la République est mort ». C’était le 2 avril 1974, je ne l’oublierai jamais.

     

    Ce livre nous apprend beaucoup de choses, mais ne résout pas tout, notamment l’énigme de son inaction politique pendant la guerre. Il a tout de même la trentaine, une culture vaste, une appréhension solide du réel. Mais non, l’agrégé de Lettres ne s’engage pas. Ni dans la Résistance, ni du côté du Maréchal. D’autres, beaucoup plus jeunes, d’un côté comme de l’autre, avaient pourtant pris des risques, les uns les payant lourdement à la Libération, les autres s’en trouvant largement récompensés.

     

    On aurait aussi aimé, sur la brouille avec le Général (entre juillet 68 et avril 69), en apprendre davantage. Il y a bien quelques allusions à l’affaire Markovic, mais elles ne font qu’effleurer l’ouvrage ; on sait que la cicatrice fut très dure. Passionnantes, en revanche, les notes personnelles laissées en 1973 sur quelques grandes figures de l’époque. Sur Poher, président du Sénat et son rival à la présidentielle de 1969, Pompidou est délicieusement assassin. Sur Chaban, qui n’est déjà plus son Premier Ministre (1969-1972), il se montre très dur, et confirme la future exécution (par Chirac) d’avril 1974. Sur Mitterrand, il voit à juste titre que l’homme n’a rien de socialiste, mais hélas le sous-estime largement. Sur Debré, Senghor (son ami de toujours, devenu président du Sénégal), il est élogieux.

     

    Je recommande ce livre. À ceux qui, comme moi, furent dans leur jeunesse les témoins de ces années-là. Aux plus jeunes, surtout, qui voudraient en savoir un peu plus sur le deuxième président de la Cinquième République. Un homme d’une très grande valeur. Qui mérite assurément d’être revisité.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Georges Pompidou - Lettres, notes et portraits / 1928-1974 - Editions Robert Laffont - 539 pages - Octobre 2012