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Liberté - Page 1150

  • Dame de fer - Mots de fiel

     

    Sur le vif - Lundi 08.04.13 - 15.04h

     

    On peut aimer ou non Mme Thatcher, l'admirer ou non. A chacun son opinion. Mais il y a une chose qui m'échappe: le manque de respect devant la mort. Même mon pire ennemi, si j'apprends son décès, je commence par me recueillir et à penser à lui. Tout cela pour dire quoi ? Que la vulgarité de certaines réactions, depuis une heure, condamne davantage leurs auteurs que leur objet.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Sibylle, le récit d'une enfant déracinée

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    Notes de lecture - Dimanche 07.04.13 - 16.56h

     

    Une écriture si simple, si limpide. Le présent historique comme temps unique du récit, sur 149 pages. Une histoire hors du temps : juste le sous-titre du roman, « Une enfant de Silésie », et une « note de l’auteure » de quelques lignes, à la toute dernière page, pour nous rappeler ce que fut, en 1945, l’exode de ces centaines de milliers d’Allemands de Pologne, reflués vers l’ouest au moment de la défaite, Günter Grass en a si bien parlé. Hors de cela, c’est juste l’histoire de Sibylle, une enfant de cet exil, l’histoire de sa famille, celle de ce père, qui ne revient de captivité qu’à la fin du récit, et pas nécessairement pour longtemps.

     

    « Sibylle » est un récit troublant. Je ne sais rien de l’auteur, Bettina Stepczynski, sinon qu’elle est née en 1974, a étudié les lettres, est mère de trois enfants et vit à Carouge, comme l’indique la deuxième de couverture. Non, je ne sais rien d’elle, si ce n’est que nous avons affaire à un écrivain, ce qui n’est pas exactement le cas de toute personne commettant un ouvrage, même dans l’ordre de la fiction.

     

    « Sibylle » est un récit d’exil, il commence dans le fracas des trains dans lesquels on s’entasse et qu’il ne faut pas rater, et s’achève dans l’apaisement d’une vie qui s’éteint. Sibylle jeune fille en caractères droits, en alternance avec Sibylle gravement malade, dans l’attente du terme, dans un corps plus penché, pas vraiment italique, mais reconnaissable. Oui, juste un corps plus penché.

     

    Il se trouve, comme je l’ai noté une fois ici, que j’ai vécu, dans ma jeunesse, chez un Allemand de Silésie, il y a si longtemps. Rescapé du front de l’Est, il avait franchi l’Elbe in extremis pour ne pas tomber aux mains des Rouges, et, tout près du fleuve, juste « du bon côté », en Basse-Saxe, avait construit de ses mains (auxquelles il manquait trois doigts) la maison de briques rouges où il passait ses soirées à me raconter ses souvenirs. Je l’écoutais passionnément, dans cet allemand difficile qui était le sien, mouillant des gutturales que Badois ou Bavarois conservent dans leur dureté. Il lui arrivait de jurer en polonais. En lisant Sibylle, je n’ai cessé de penser à lui.

     

    Retour au style. Bettina a la phrase courte, et la syntaxe pourtant liée, où la succession d’indépendantes, loin de hacher le récit, lui donne souffle et rythme, dans un présent continu où les phrases s’enchaînent comme naturellement. Dans cette Allemagne du Nord où la famille de Sibylle a trouvé refuge, il y a des scènes de campagne, des étés de foins à ramasser, des hivers sibériens où les cristaux de glace s’agglutinent aux fenêtres, des cachettes pour enfants dans les recoins d’une ferme, la conscience terrible d’être les perdants. Là d’où ils viennent, ils ne seront plus chez eux. Oui, Sibylle est une déracinée. Peut-être pas avec la rude fierté d’un héros de Barrès, ni de Jules Roy. Non, juste une enfant de l’exil, parmi des centaines de milliers d’autres.

     

    L’une de mes meilleures amies, prof de français au Collège, m’a demandé de lui conseiller des récits qui, peut-être, pourraient intéresser, par la qualité de leur écriture, des jeunes gens de 15 à 19 ans. Je lui ai recommandé « Sibylle ». A vous aussi, si par hasard vous passez par là.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Sibylle, une enfant de Silésie. Par Bettina Stepczynski. Editions d'autre part. 2013. 149 pages.

     

     

  • L'étincelle du Passage

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 29.03.13


     
    Bon, on nous dit que c’est un passage. On fait allusion au sens hébraïque, la traversée de la mer Rouge, on nous parle d’une libération, d’une nouvelle naissance. Et de fait, ça coïncide avec le printemps. Il y aurait aussi une initiation. Nous passerions d’un état à un autre, plus évolué. Une affaire de vie et de mort, de nuit et de lumière. Il y a aussi le mystère de ce tombeau vide, le sens que chacun de nous tente de lui donner, l’irrationnel que cela représente, la part de révolte et de folie. Pâques, la plus belle fête du christianisme, nous laisse devant l’irrésolu. Fable, ou vérité ? Je n’ai pas la réponse à cette question.


     
    Mais le mystère pascal me touche infiniment. L’histoire qu’on nous raconte est celle d’une infinie souffrance, sur la croix, un homme rejeté, vilipendé, mis à la porte des vivants, acceptant cet état. Et, le troisième jour, il serait passé ailleurs. Croire en ce passage, contre toute logique de matière et tout constat vécu, relève de l’irraisonnable, voire de la folie. Il y a quelque chose à quoi on se heurte, un mur. Je n’aime pas trop, pour ma part, les récits de miracles, ni le surnaturel. Je serais plutôt enclin, avec mon cerveau, à reléguer cette histoire dans le chapitre des grandes superstitions. Ou, comme le font les historiens des religions, l’inscrire dans la continuité de mille sources antérieures au christianisme, ici la Pâque juive, là les mythes du Phénix, ceux de Déméter. Ou d’une étape majeure dans l’histoire du sacrifice dans les religions antiques, comme cela fut maintes fois brillamment démontré.


     
    Oui, avec mon cerveau, je relativise. Sinon, à quoi bon penser ? Mais je ne suis pas persuadé que le christianisme soit avant tout une affaire de réflexion cérébrale. Il y a quelque chose de puissant, d’irrémédiable, qui surgit de l’instinct. Comme le feu. Oui, je crois que cette religion est celle du feu, et des petites lumières, et des poudres d’étoiles dans la nuit d’été, et de l’huile et de l’eau, et du pain et du vin. Et que ces éléments, loin de n’être que ceux du rituel, nous habitent par leur corps et leur simplicité. Je pense au tableau de Rembrandt, les Pèlerins d’Emmaüs, je revois le visage de cet homme à droite, le barbu, illuminé par une révélation qui le dépasse. Ce passant, qui partage avec lui le pain, qui est-il, d’où vient-il, où va-t-il ? Je n’ai pas la réponse à ces questions.


     
    Je n’ai d’ailleurs la réponse à aucune question. C’est bien ça le problème. Je suis, comme tant d’entre nous, heurté, remué, mais aussi comme magnifié par la beauté de cette histoire. Elle ne conclut rien, ne résout rien, ne clarifie rien. Elle ouvre simplement une porte. Celle du tombeau ? Elle allume l’étincelle d’une espérance. Rien de plus. Mais enfin, par rapport à la trahison du jeudi soir et l’abandon mortel du vendredi, oui cet abandon hurlé sur la croix, il y a déjà un chemin. Un Passage.


     
    Pascal Décaillet