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Sur le vif - Page 865

  • Les puissantes analyses, trois jours après

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    Sur le vif - Samedi 03.08.13 - 11.11h

     

    Toujours à la pointe de l'actualité, le Temps nous propose seulement aujourd'hui, samedi 3 août, une analyse (intéressante, d'ailleurs) du discours de Christophe Darbellay, tenu à Saas Balen le mercredi 31 juillet. Il était pourtant possible de réagir immédiatement, y compris dans l'analyse et la perspective, sur le site internet du journal. On même dans l'édition papier d'hier, vendredi 2 août.



    Ces retards à répétition des journaux papier sur les versions électroniques, blogs ou réseaux sociaux, affaiblissent leur crédit dans l'une des concurrences basiques de la fonction journalistique, et cela depuis les premières dépêches télégraphiques du dix-neuvième, pour ne pas remonter à Théophraste Renaudot: la rapidité de réaction. J'ai infiniment travaillé sur l'Affaire Dreyfus (1894-1906): à l'époque déjà, les grands journaux, de celui de Clemenceau à ceux des socialistes ou des nationalistes, ouvraient plusieurs fois par jour pour de nouvelles éditions, ne changeant parfois, au marbre, qu'un seul papier, parce qu'il donnait une nouvelle. C'était, un quart de siècle avant la radio, comme un flash d'actualité.


    Considérée comme secondaire, voire superficielle, par toute une bande d'intellos ou d'analystes des médias qui n'ont sans doute jamais écrit un article de leur vie, ni fabriqué une page, ni dirigé une édition, ni donné une nouvelle à la radio, ni commenté un événement en direct, la rapidité de réaction demeure, ne leur en déplaise, l'une des fonctions cardinales de la vitalité de la presse. Et ne venez pas me dire qu'elle est antinomique de la réflexion, de la perspective, de l'arrière-pays: c'est faux, archi-faux, quand on a un peu d'expérience et de connaissance des dossiers, un commentaire pesé, distant et pertinent peut intervenir très vite. Nul besoin d'attendre trois jours !



    La rapidité n'est évidemment pas tout. Mais elle est nécessaire, si le mot "news", en français "nouvelle", en grec "Ta Nea", en allemand "Nachrichten" a encore un sens. Jusqu'à nouvel ordre, il n'est pas hérétique de considérer qu'être le premier à donner une nouvelle (d'intérêt public, exacte, intéressante, of course) est plutôt une vertu dans ce métier.



    Lorsque j'engage ou recommande un jeune journaliste, entre autres qualités, je cherche immédiatement à déterminer s'il est habité par le flair, l'ouverture, la curiosité, la rapidité. Bref, pour faire ce métier, c'est pas mal d'être un peu réveillé. Bonne journée à tous.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Sans Etat, pas de Suisse

     

    Sur le vif - Jeudi 01.08.13 - 11.40h

     

    Il y aurait des feux et de la joie, au mieux l’émotion d’une appartenance, et il faudrait, au nom de cette béatitude d’un soir, sous prétexte que la fête est spontanée, populaire, « vient d’en bas », oublier l’Etat. Je suis en désaccord total avec cette vision. La Suisse est un Etat. Fédéral, depuis 1848. Et aussi, une Confédération de vingt-six Etats, nos cantons. L’Etat, c’est ce qui nous fédère. Encore faut-il le définir.

     

    Pas d’Etat, c’est l’anarchie. La jungle. Donc, la loi du plus fort. Le riche, le propriétaire, le prédateur, le spéculateur. Trop d’Etat, c’est le carcan. L’inflation des états-majors, comme au DIP à Genève, les petits copains à placer, les frais de fonctionnement qui l’emportent sur les nécessités frontales du terrain. Cela non plus, nous ne le voulons pas. Tout l’enjeu se situe donc dans l’entre-deux : où placer le régulateur ?

     

    La meilleure définition, le plus dense et la plus éloquente, c’est Pascal Couchepin qui me l’avait sortie sur le plateau de Genève à chaud : « Un Etat solide, ni plus, ni moins ». J’aime infiniment ces sept mots, ils résument ma conception, à la fois radicale dans la nécessité d’une force publique, au service de la justice et de la solidarité, mais aussi attentive à lutter contre toute forme d’abus. Les quelques députés PLR, à Genève, dont MM Weiss et Gautier, qui se sont battus cet hiver contre un budget déficitaire, ne sont nullement des ultra-libéraux, mais juste des adeptes de ces sept mots : « Un Etat solide, ni plus, ni moins ». À noter que le libéralisme, en tout cas continental, celui de Tocqueville ou d’Aron, n’a jamais stipulé l’absence d’Etat, loin de là. Seuls les allumés du Livre blanc et les libertaires de la finance spéculative sans entraves ont pu, un moment, rêver de s’affranchir de la puissance publique. J’étais l’un des seuls, à ce moment-là, à les attaquer de front.

     

    Parler d’Etat un 1er Août n’est pas hors sujet. Même si une tradition de mielleuse candeur (qui franchement m’exaspère) dans les discours, tend à l’évacuer, au nom de l’extase du « vivre ensemble », ici la glorification expiatoire de l’altérité, là les lanières du fouet, vers nous-mêmes tendues, très tendance depuis une trentaine d’année.

     

    À ces sulpiciennes postures, je préfère le discours sur l’Etat. Nos Etats cantonaux, notre Etat fédéral. Rendre hommage, par exemple, à tous ceux qui, notamment depuis 1948, ont construit et réformé nos assurances sociales, je pense évidemment en priorité à ce grand socialiste que fut Tschudi. Hommage à ceux qui ont offert du temps à notre défense nationale, et tenté de la faire évoluer vers des modèles plus adaptés. Hommage aux enseignants, tous niveaux confondus, cette prodigieuse fonction de transmission, la plus belle, je dirais presque la plus sacrée, dans notre communauté humaine, je vous renvoie aux lignes inoubliables écrites par Péguy sur le sujet, dans l’Argent, Cahiers de la Quinzaine, 1913.

     

    L’Etat, ce ne sont pas des armées de fonctionnaires, ce ne doit pas être cela, ni des types qui tirent la gueule derrière un guichet. L’Etat, dans un canton comme au niveau fédéral, cela doit être l’outil, étymologiquement l’organe de mise en œuvre des priorités choisies par la volonté populaire. Au service de la population, et non comme caste d’apparatchiks.

     

    Rendre hommage à cet Etat-là se situe pour moi au cœur de nos festivités nationales. Hommage aussi, par exemple, aux policiers, pompiers, ambulanciers, personnel hospitalier qui seront de faction pendant que nous ferons la fête. Pour eux, pour la ferveur de leur engagement, j’ai toujours voulu croire en l’Etat. Sans Etat, pas de Suisse. Peut-être quelques pulsions tribales de reconnaissance. Mais pas de pays. Pas de nation souveraine. Rendre hommage, une fois, à cet organe qui ne doit pas être un but en soi mais a tant fait pour nous, me semblait nécessaire. Vous me direz que je vire rad-soc, style Troisième République, tendance Queuille aggravée. Je vous répondrai que je l’ai peut-être toujours été. Je me suis juste contenté de porter la cagoule dans les seules courses de ski de mon enfance, et d'user du compas dans les seuls cours de géométrie.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Willy Brandt, dans votre salon

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    Sur le vif - Mercredi 31.07.13 - 23.57h

     

    Je suis un cinglé d’archives audiovisuelles. D’archives tout court, d’ailleurs, à commencer par ces dizaines de milliers de journaux qui ont encombré mes caves et ma vie. Mais depuis un quart de siècle, d’archives audiovisuelles. À cet égard, internet est un bonheur. En combinant les moteurs de recherches, vous pouvez passer des journées avec Mendès France ou Mitterrand, de Gaulle ou Churchill, Mauriac ou Céline. Avec l’habitude, vous tapotez deux ou trois mots-clefs, et les voilà qui surgissent sur votre écran, avec leur voix, leur visage, les intonations. Fascinant.

     

    Hier soir, je me suis lancé sur l’un de mes hommes politiques favoris au vingtième siècle, Willy Brandt, l’un de ceux qui m’impressionnent le plus, sur lequel j’avais naguère écrit, pour la Revue jésuite Choisir, le texte « L’inconnu de Lübeck ». Contrairement à d’autres chanceliers, je ne l’ai jamais rencontré, jamais interviewé. Mais j’avais douze ans et demi lors de la génuflexion de Varsovie, de quoi marquer un jeune garçon déjà féru (pour toutes sortes de raisons, à la fois personnelles et intellectuelles) d’Histoire allemande.

     

    Alors voilà, vous tapez Brandt, vous ajoutez une date, un lieu, vous vous laissez promener dans l’imagerie cinématographique ou télévisuelle de l’époque. Vous commencez par le 9 novembre 1989, en souvenir de cette nuit magique que vous aviez passée à traduire les interventions de Brandt, Kohl, Genscher, pendant que s’écroulait le Mur et que Rostropovitch, imperturbable, entonnait les Suites pour Violoncelle de Bach. Et puis, vous voilà à Erfurt en 1970, première visite d’un chancelier fédéral en DDR, acclamations. Ou à Berlin, le 26 juin 1963, Willy Brandt Maire avec Kennedy Président. Ou, en affinant encore les recherches, dans les années cinquante, tiens à Bad-Godesberg, par exemple, ce fameux congrès où le SPD rompt avec le marxisme. Et tant d’autres exemples, qui reconstituent la vie publique d’un homme d’exception.

     

    Vous y allez à l’instinct, une scène en appelle une autre, vous voilà, comme dans les archives d’un journal papier, en promenade historique. C’est une infinie jouissance, lente et distillée, comparable à celle d’une infusion, en fin de soirée. Et là, je dis vive internet, parce qu’il y a vingt ans encore, il fallait fréquenter les bibliothèques, les phonothèques. Alors qu’aujourd’hui, de chez vous, vous pouvez à loisir convoquer tout cela. Vous êtes acteur de la recherche, c’est la vôtre, vous êtes promeneur et chercheur, voyeur et jouisseur, votre imagination se dilate, c’est une forme de bonheur.

     

    Sur Willy Brandt, qui aurait eu cent ans cette année, je reviendrai bientôt. Mais c’est une autre affaire. Ou peut-être la même, au fond. J'ai fait ici l'éloge d'une médiation. Mais l'essentiel, en toutes choses, n'est-il pas le contenu, le fond du sujet ? En l'espèce, la trajectoire de feu d'un destin. A tous, je souhaite une excellente nuit.

     

     

    Pascal Décaillet