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Sur le vif - Page 852

  • Jean Romain, la fureur républicaine

     

    Sur le vif - Dimanche 02.06.13 - 16.15h

     

    Professeur de philosophie au Collège Rousseau, mais aussi député PLR, penseur de l’école, passionné et même habité par la question scolaire, Jean Romain quitte l’enseignement. Il n’anticipe certes que de quelques années sa retraite, mais il le fait, et c’est un signal. Il s’en explique dans le Matin dimanche d’aujourd’hui, et nous en dira un peu plus à 18.40h, en direct dans le Grand Genève à chaud.

     

    Oui, ce départ est un témoignage qu’il faut prendre au sérieux. Le départ d’un humaniste, très apprécié de ses élèves, et qui s’est toujours fait une très haute idée de ce que doit être la transmission. Celle dont parle si bien Péguy, dans un chef-d’œuvre intitulé « L’Argent », Sixième Cahier de la Quinzaine, 1913 :

     

    «  Je voudrais dire quelque jour, et je voudrais être capable de le dire dignement, dans quelle amitié, dans quel climat d'honneur et de fidélité vivait alors ce noble enseignement primaire. Je voudrais faire un portrait de tous mes maîtres. Tous m'ont suivi, tous me sont restés obstinément fidèles, dans toutes les pauvretés de ma difficile carrière. Ils n'étaient point comme nos beaux maîtres de Sorbonne. Ils ne croyaient point que, parce qu'un homme a été votre élève, on est tenu de le haïr. Et de le combattre ; et de chercher à l'étrangler. Et de l'envier bassement. Ils ne croyaient pas que le beau nom d'élève fût un titre suffisant pour tant de vilenie. Et pour venir en butte à tant de basse haine. Au contraire, ils croyaient, et si je puis dire ils pratiquaient que d'être maître et élèves, cela constitue une liaison sacrée, fort apparentée à cette liaison qui de la filiale devient la paternelle. Suivant le beau mot de Lapicque ils pensaient que l'on n'a pas seulement des devoirs envers ses maîtres mais que l'on en a aussi et peut-être surtout envers ses élèves. Car enfin ses élèves, on les a faits. Et c'est assez grave. »

     

    Oui, le départ de Jean Romain est démonstratif, protestataire. Oui, il veut montrer quelque chose. Confirmer ce qu’il rumine depuis tant d’années, lui qui a réveillé la question scolaire à Genève et obtenu, en septembre 2006, une victoire historique, à savoir sa colère contre ce qu’il appelle « l’école des pédagos » et des armadas de fonctionnaires. L’école qui « n’élève » plus (Dieu qu’est est belle, la métaphore de la verticalité), mais qui se contente, au mieux, d’animer. Ce signal de Jean Romain n’est pas dirigé contre ses confrères et consœurs, mais contre la rigidité d’un système, son aridité, sa prétention à ériger en science ce qui est avant tout un art de la transmission, de la communication.

     

    Jean Romain quitte l’école, mais demeure en politique. Dire que c’est heureux est un faible mot : le député est apprécié de tous, même de ses adversaires, il ne cherche à convaincre que par la lumière de l’argument, respecte les gens, n’a de fureur que celle de la République, qu’il veut servir. A cet ami fidèle dont j’ai eu l’honneur de préfacer un livre, je souhaite bon vent et longue vie. Et toujours le retrouver sur la question scolaire. A Genève, ou ailleurs.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le napalm ponctue, il n'informe pas

     

    Sur le vif - Samedi 01.06.13 - 10.52h

     

    Enfant, j'écoutais beaucoup la radio, toutes les chaînes possibles, pour avoir les informations. C'étaient les années soixante, la guerre du Vietnam. On nous décrivait très ponctuellement - je dirais même avec pointillisme - le détail des opérations militaires, évidemment de source américaine ou sud-vietnamienne, ce qui était équivalent, jamais de source nord-vietnamienne.



    Mais ça n'était pas l'aspect propagande qui me gênait, j'étais d'ailleurs trop jeune pour en être conscient. Ce qui n'allait pas, c'était le pointillisme, justement. Sous prétexte de ne relater que les derniers faits (le principe d'un flash), on ne faisait que nous annoncer la dernière escarmouche, la dernière action de guérilla, le dernier bombardement au napalm. On nous donnait un nombre de morts et de blessés. Et puis, on passait à la météo, celle d'ici !



    Enfant, j'étais déjà furieux. Je disais autour de moi, notamment à mes parents: "On s'en fout un peu du détail des opérations militaires, moi j'aimerais que quelqu'un m'explique cette guerre. Ses origines, ses causes, pourquoi on se bat là-bas, que font diable les Américains à des milliers de kilomètres de chez eux, en quoi le régime du Sud mérite-t-il à ce point d'être défendu contre celui du Nord ?"



    Mes parents tentaient de m'éclairer. Ils me disaient, se souvenant de la guerre d'Indochine (mon père avait vu passer Mendès France et Churchill, et sans doute aussi Giap, en 1954, à l'angle de l'avenue de France et de la rue de Lausanne), que "de toute façon, c'était une guerre très compliquée, il y avait déjà eu un épisode avec les Français, etc. etc."



    Beaucoup plus tard seulement, en lisant un nombre incroyable de livres sur le sujet, à commencer par ceux de Lacouture, je me suis initié à l'Histoire de la Cochinchine et du Tonkin, aux premières expéditions du temps de Jules Ferry, au passé exceptionnel de cette civilisation, le Vietnam. En lisant la biographie d'Hô Chi Minh, par Lacouture, je suis entré dans la logique de ceux qu'on nous présentait, ici, comme des sauvages. Bref, je me suis instruit. Pour l'Histoire de l'Algérie, une autre de mes grandes passions historiques, j'ai procédé exactement à la même démarche. Et là encore, Lacouture, pour nous présenter la lente maturation, à vrai dire dès 1830 avec Abd el-Kader, de l'idée d'indépendance algérienne.



    Et plus je m'instruisais, plus j'en voulais férocement, avec le recul, à ces bulletins d’informations horaires de mon enfance, qui ne nous donnaient que l'écume du parcellaire. Ils faisaient pourtant leur boulot: ils nous donnaient les faits, rien que les faits.



    Mais sans arrière-pays, sans perspective historique, sans quelques milliers d'heures de lecture sur les causes et les antécédents, le fait est condamné à la stérilité. Il n'informe pas. Tout au plus, il ponctue.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le parfum noir de la trahison

     

    Sur le vif - Mercredi 29.05.13 - 16.59h

     

    Madame Widmer-Schlumpf, je veux ici vous dire merci. Par l’acte d’aujourd’hui, qui est d’abdication et de renoncement, vous donnez quelques points (oh, je sais, ils ne suffiront pas) aux partisans, dont je suis, de l’élection du Conseil fédéral par le peuple.

     

    Parce que justement, vous incarnez le contraire de toute cette part de reconnaissance, et pourquoi pas affective, émotive, que la population peut éprouver pour un magistrat exécutif. Votre présence au Conseil fédéral est le fruit d’un péché originel, le pronunciamiento d’une troïka de fortune pour éjecter l’homme qui, en octobre 2007, venait de gagner les élections. Le coup a porté. Aux affaires, vous vous êtes installée. Mais quelque chose, dans l’origine même de votre présence au pouvoir, porte le parfum noir de la trahison.

     

    Bien sûr, vous êtes l’élue du Parlement. Donc, conseillère fédérale légitime, c’est en ordre, je ne vous le disputerai pas. Mais l’eussiez-vous été d’un corps électoral plus large, ces quatre millions d’électeurs qu’on appelle, pour faire court, « le peuple » ? Lesquels de vos six collègues, à part me semble-t-il Mme Leuthard, l’eussent-ils d'ailleurs été ?

     

    Justement, pour avoir fréquenté de près nombre de vos prédécesseurs, dont un certain Jean-Pascal Delamuraz, je rêve d’un système où les conseillers fédéraux soient les élus du peuple tout entier. Avec lui, au-dessus de nos différences, de nos barrières cantonales, ils passeraient un contrat de confiance. Et pour une fois, une seule circonscription, la Suisse toute entière pour théâtre d’opérations, pas juste la galerie des glaces du Palais fédéral. Pas juste les 246 à convaincre, mais les quatre millions de citoyens, ceux qui ont le droit de vote. Tous les autres échelons demeureraient, les communes, les cantons, le fédéralisme, mais juste sur ce coup-là, le ciment d'une circonscription unique. L'utopie est-elle si folle ? Indigne d'un pays moderne, démocratique ?

     

    Dans ce système-là, peut-être d’ailleurs seriez-vous réélue, je n’en sais rien. Mais on en aurait au moins le cœur net. Et la netteté du cœur n’est pas, Madame la Conseillère fédérale, le trait qui caractérise en première lecture votre rapport au pays profond.

     

    Pascal Décaillet