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Sur le vif - Page 698

  • Les journalistes ne sont pas des prophètes !

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    Édito publié dans le dernier numéro du bimensuel BILAN - 07.12.16

     

    Voilà plus de trente ans que je suis journaliste, n’exerçant d’autre profession que celle-là, scrutant passionnément la politique suisse, mais aussi internationale, animant tous les soirs des émissions citoyennes en télévision. En vérité, quarante ans : j’ai eu la chance, grâce à Claude Monnier, qui nous a quittés cette année, de commencer à l’âge de 18 ans, première année d’Uni, pour des piges au Journal de Genève. Vieilles machines à écrire, textes rendus à minuit, dans l’ambiance dix-neuvième siècle de la rue du Général-Dufour, odeur incomparable du journal qui sortait, sous nos yeux. Et qui défilait même au-dessus de nos têtes, en attendant l’expédition. Au Journal de Genève, c’était l’aventure totale, le produit créé d’un bout à l’autre, de l’idée de l’article jusqu’au quotidien tout chaud, au milieu de la nuit. Emotion, bonheur, plénitude, rien que d’y penser. De cela, j’aurai eu l’honneur d’être artisan.

     

    Aujourd’hui, ce métier va mal. Pour peu, remarquez, qu’il se soit jamais « bien porté », depuis Théophraste Renaudot, en passant par l’Affaire Dreyfus, la presse d’opinion qui se déchirait, ou pire : la presse aux ordres. Il va mal aujourd’hui, non parce que les techniques évoluent, et que le numérique emporte tout (nous nous y adapterons), mais parce que certains journalistes semblent avoir l’art d’entreprendre toutes choses pour ruiner le crédit de leur propre profession. Ainsi, cette singulière manie, dans notre corporation, de vouloir à tout prix prédire l’avenir : telle initiative, vous allez voir, passera (ou non), le Royaume Uni refusera le Brexit, Mme Clinton sera élue, Alain Juppé sera le champion de la droite. Oh, zut, ça n’est pas Juppé, sorry, mais alors, croyez-moi, Fillon sera président !

     

    Je ne comprends pas cette posture. D’abord, parce qu’en prenant le risque de la prévision, ne jouissant pas tous de la puissance d’ambiguïté d’une Pythie, ou d’une Cassandre, ou d’un Elie, ou d’un Jérémie, on court mathématiquement un risque sur deux de se planter magistralement, et de passer pour un Pied-Nickelé. Surtout, plus sérieusement, parce que le métier de journaliste me semble déjà avoir largement assez de boulot à tenter de décrypter le passé et le présent, pour s’embarrasser d’un point de vue sur l’avenir. Ainsi, à l’usage, toujours un peu périlleux, de la boule de cristal, je suggère à mes collègues de préférer la lecture des livres d’Histoire. Pas des dizaines, pas des centaines, mais des MILLIERS de livres, au cours de leur vie. On y découvre la savoureuse imprévisibilité du passé. Ce dernier n’est jamais comme on croit. Et même si on a déjà lu une foule d’ouvrages sur un sujet, la toute dernière lecture précisera, corrigera, contredira les précédents. Seule cette dialectique, toujours recommencée, de témoignages, parfois antagonistes, permet, patiemment, de construire une connaissance historique.

     

    Cette conscience du passé donne des clefs pour l’avenir, mais évidemment pas des certitudes. Disons qu’une connaissance un peu nourrie de l’Histoire balkanique aurait permis, dès 1990, aux journalistes d’ici d’embrasser avec un moins de diabolisation pour un seul camp la question du démembrement de l’ex-Yougoslavie. Autre exemple : quelques lectures sur l’Orient compliqué auraient peut-être évité à certains, au printemps 2003, d’applaudir à tout rompre lors de l’intervention américaine de M. Bush Junior en Irak. Ou encore : une connaissance des fondamentaux de l’Histoire britannique aurait pu aider certains à mieux comprendre le Brexit, sans immédiatement traiter d’attardés, ou de repliés, ceux qui avaient voté oui à cette option.

     

    Alors oui, chères consœurs, chers confrères, je vous encourage vivement à investir votre avenir dans une plongée vers… le passé ! Les archives. Les témoignages. La fragilité des êtres. La perpétuelle noirceur du pouvoir. Le paravent de la morale, pour satisfaire les appétits des puissants. Le sang des victimes. L’humus des cimetières. Le sacrifice. Le sens, et si souvent le non-sens. Cela ne vous donnera nulle clef de certitude. Mais cela vous vivifiera l’âme. Bonne chance à tous !

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le monde, sans les socialistes

     

    Sur le vif - Samedi 03.12.16 - 15.26h

     

    Je l'ai dit maintes fois depuis des années, je ne comprends absolument pas pourquoi les socialistes suisses, ainsi que les syndicats, s'accrochent à ce point aux principes de mondialisation et de libre-circulation. Eux qui prétendent protéger les plus faibles, ne voient-ils pas que les premières victimes d'un monde sans frontières sont justement les plus précaires d'entre nous ?

     

    Les socialistes et les syndicats s'accrochent à une libre-circulation qu'ils n'ont acceptée, il y a une quinzaine d'années, qu'à la condition qu'on lui adjoigne des mesures d'accompagnement. Or, AUCUNE de ces mesures, promises par les libéraux et le patronat, n'a été mise en oeuvre. Je dis bien : AUCUNE.

     

    Les socialistes et les syndicats, comment font-ils pour ne pas voir qu'un minimum de régulation des flux migratoires (personne ne parle de fermer les frontières), et aussi un minimum de protectionnisme (urgent et vital dans le domaine agricole) sont les seuls garants d'une protection des plus démunis, chez nous ?

     

    Les socialistes et les syndicats, au nom du vieux mythe de l'Internationale, vont-ils continuer à vouloir embrasser toute la globalité planétaire du monde, cette illusion, alors que les communautés humaines, surgies des entrailles de la terre, ont un vital besoin d’horizons définis, de bornes, de délimitations, en un mot de frontières au sein desquelles puisse s'exercer la loi voulue par tous, celle du démos.

     

    Si les socialistes, en Suisse comme ailleurs, continuent dans ce déni, dans cette béatitude internationaliste, s'ils continuent à ignorer le principe de la nation, à mépriser les lieux de mémoire et la communauté des souffrances, les classes populaires les quitteront définitivement. Le monde continuera. Mais sans les socialistes.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Décrispe-toi, Bébert, respire un coup !

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    Sur le vif - Mardi 22.11.16 - 16.42h

     

    Vous aimez votre pays ? Son Histoire, son destin à travers les âges, sa complexité. Son système politique. Ses langues, ses cultures. La bouleversante beauté de ses paysages, que vous voulez entretenir. Son système social. Vous aimez tout cela ? Eh bien, c’est que vous avez un problème : vous souffrez de « crispation identitaire ». C’est grave, docteur ? Oh oui ! Ça vous empêche de vous fondre dans le moule mondialiste. On en fusillerait pour moins que ça.

     

    « Crispation identitaire ». Pas un jour sans qu’un journaliste de la SSR, un sociologue invité, un « expert », un politologue ne vous serve ces deux mots. Oser prononcer le mot « identité » vous attirera immédiatement les foudres. Il y a des mots, aujourd’hui, auxquels on n’a plus droit : le mot « identité » en fait partie. Vous avez beau le définir comme une construction, rappeler que avez lu l’admirable essai d’Anne-Marie Thiesse, « La création des identités nationales », rien n’y fait : on ne prononce pas le mot « identité ».

     

    La vérité, c’est que nous vivons sous le joug d’une bande de censeurs. Les mêmes qui, tout l’automne, ont caricaturé la candidature Trump pour encenser celle de Mme Clinton. Les mêmes qui nous promettaient déjà Juppé à l’Elysée. Les mêmes qui, se prenant pour Thomas Mann, nous brandissent à longueur d’année les années trente (lire GHI de demain, j’y reviens). Eh bien moi je vous dis que cette bande de censeurs, nous devons lui répondre comme il se doit : en les envoyant aux fraises.

     

    « Crispation identitaire », c’est, au sens propre, définir ceux qui sont attachés à leur pays sous un angle médical. « Vous ne pensez pas juste, c’est que vous avez un problème, Monsieur. Musculaire. Une crispation. Penser juste, comme nous, c’est être bien dans son corps, dans ses muscles, comme après un bon massage ». Il y aurait donc deux catégories : les corps sains, et les « crispés ». En fonction de l’orthodoxie de votre pensée sur le rapport que vous avez le mauvais goût d’entretenir avec votre communauté nationale.

     

    Vous savez ce qu’il faut leur dire, à ces Vadius et Trissotins de la bonne pensée ? Il faut, de toute la puissance expectorée de notre appareil pulmonaire, celui qui par miracle aurait encore échappé à la crispation généralisée, hurler le mot de Cambronne.

     

    Et puis, se remettre à défendre nos arguments. Un par un. Millimètre par millimètre. Sans rien lâcher. Jamais.

     

     

    Pascal Décaillet