Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sur le vif - Page 701

  • La voix des peuples

    2030b1f1e071ebe2cae83e385c0384bf.jpg 

    Sur le vif - Vendredi 24.06.16 - 12.44h

     

    Qu’ont fait les Britanniques, pour mériter tout ce vacarme ? Ils ont donné la parole à leurs citoyennes et à leurs citoyens. Sur un enjeu aussi majeur, il le fallait bien. Voilà déjà une première chose qui mérite d’être relevée, et qui, nous Suisses, habitués à la démocratie directe, devrait nous toucher. Ils n’ont pas voté sur le prix du sel, les citoyens britanniques, ni sur celui de la vignette. Ils se sont prononcés, à l’issue d’une longue et rude campagne, sur une question de toute première importance, touchant au destin de leur pays. Le Continent, le Grand Large ? On connaît la phrase de Churchill à de Gaulle, on sait à quel point toute l’Histoire britannique, depuis plus d’un millénaire, est habitée par ce dilemme. Il ne sera jamais vraiment résolu : la Grande-Bretagne est une île, mais elle est européenne, elle est l’un et l’autre, elle doit gérer depuis toujours ce paradoxe, cet équilibre de tensions, ce point d’adhésion et de rupture.

     

    Le Royaume-Uni en a vu d’autres. Il était encore, il y a juste un siècle, la première puissance du monde. Les Britanniques ont résisté à Napoléon, qui leur a imposé le Blocus continental. Ils ont résisté à la Luftwaffe de Goering, en été 1940, seuls contre tous, la France ayant capitulé en juin, l’embouchure de l’Escaut se trouvant (comme sous Napoléon) aux mains d’une grande puissance conquérante. L’Angleterre nous a légué, avant même la Révolution française, un système parlementaire dont le 19ème siècle s’est inspiré. Elle a créé un immense Empire colonial, s’en est défait au milieu du vingtième siècle. Elle a connu la guerre, les bombardements, la peur, les privations, les tickets de rationnement. Elle a, sur le front Ouest, largement contribué à la victoire, en 1945. Je ne suis personnellement pas très anglophile, toutes mes passions sont tournées vers les Allemagnes, mais comment ne pourrais-je vouer une immense admiration à cette grande nation, ce grand peuple, son sens du combat, la pérennité de ses institutions ?

     

    Le Brexit crée du vacarme, oui. Il en créée en Angleterre, c’est bien le moins, il en crée dans les pays de l’Union européenne, c’est normal, puisqu’il y a la réalité d’une amputation. Il en crée aussi – c’est un peu plus étrange – dans la presse de Suisse romande, notamment à la SSR, qui mène depuis des semaines une Croisade autoproclamée contre le Brexit, ce dernier n’étant pourtant nullement l’affaire des Suisses : nous ne sommes même pas membres de l’Union européenne, et je crois bien que notre pays survivra à la complexe machinerie technocratique de Bruxelles.

     

    Vacarme, oui. Mais qui doit être relativisé. Sur près de mille ans d’Histoire depuis Hastings (1066), le Royaume-Uni ne sera, au total, demeuré que 43 ans en ancrage institutionnel avec le Continent. Pendant toute le reste du temps, il ne semble pas que sa superbe solitude l’ait amené à disparaître, bien au contraire. Quittant la machine, les Anglais n’en demeureront pas moins toujours Européens, toujours en relations politiques, économiques, culturelles, commerciales, avec le Continent. Ils définiront d’autres accords, cela prendra du temps, ils feront jouer leurs intérêts vitaux, feront donner leur diplomatie, négocieront. Et, à coup sûr, survivront.

     

    Oui, l’Angleterre survivra. Comme elle a toujours survécu depuis plus d’un millénaire. Je n’en dirai pas autant de la machinerie européenne. Autant il était vital, au début des années cinquante, sur les décombres de la guerre, de mettre en commun le charbon et l’acier (CECA), parce que les gens peinaient encore à se nourrir et se chauffer, autant il fallait la Réconciliation franco-allemande (de Gaulle – Adenauer), autant la construction est devenue difforme, déréglée, beaucoup trop vaste, dépourvue de toute vision politique, de toute légitimité démocratique. Ce monstre est promis à éclatement. J’ignore absolument dans quel délai. Mais cette machine-là a entamé aujourd’hui, 24 juin 2016, le chemin de sa petite mort.

     

    A la place, il faudra ériger autre chose. Sur d’autres fondements. D’autres piliers. Avec d’autres nefs. D’autres inspirations dans l’image ou le vitrail. D’autres saints, dans les travées. D’autres voix, surgies d’autres chaires. Il faudra des décennies, peut-être des siècles. L’idée européenne n’est pas morte aujourd’hui. Elle peut, au contraire, alors que s’amorce la mort de cette machine-là, commencer à entrevoir une vie nouvelle. Mourir, pour renaître. C’est cela, je crois, l’essentiel à retenir, quand on chemine dans une Cathédrale.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

  • La chaire est triste, hélas...

    Misscalimero139248645298_gros.jpg 

    Sur le vif - Lundi 11.04.16 - 14.56h

     

    Il fut un temps où les "humoristes" transgressaient, aujourd'hui ils régulent. Ils voulaient bousculer l'ordre établi, aujourd'hui le confortent. Surgissaient de la marge, aujourd'hui se calcifient dans le texte. Ils choquaient, aujourd'hui moralisent. Ils maraudaient, aujourd'hui montrent du doigt, désignent les coupables. Ils excitaient nos sens, aujourd'hui nous endorment. Ils dissonaient, aujourd'hui brandissent le diapason. Ils proposaient d'autres voies, d'autres voix, aujourd'hui nous remettent sur le droit chemin, dans la rectitude du ton. Ils nous invitaient à les prendre au second degré, aujourd'hui ils prêchent. Clowns blancs. Régulateurs de la pensée dominante. Niveleurs. Géométrie si parfaite, dont juste, infime détail, le moindre rire est absent.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Genscher, un destin allemand

    hans-dietrich-genscher-108~_v-gseapremiumxl.jpg 

    Sur le vif - Vendredi 01.04.16 - 17.26h

     

    « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans ». Hans-Dietrich Genscher (1927-2016), ce géant de la politique allemande qui vient de nous quitter à l’âge de 89 ans, connaissait-il ce vers de Rimbaud ? Lui, natif de Reideburg, près de Halle (la ville de Haendel), qui fut mobilisé à l’âge de seize ans comme auxiliaire dans la Luftwaffe, et fit partie, les deux dernières années de guerre, de ces « Marie-Louise », ces ados que le Troisième Reich déclinant enrôlait, de plus en plus jeunes, à l’instar de ces gamins de la Campagne de France à qui Napoléon avait promis, en 1814, la gloire éternelle sur les ultimes champs de bataille de l’Empire. Quelques années plus tôt, à dix ans (1937), il avait déjà perdu son père. Il est, vous en conviendrez, des débuts de vie plus heureux. Le sien, comme celui de Willy Brandt, d’Helmut Schmidt, sera marqué dès les jeunes années par le sceau du destin allemand. Au fer rouge.

     

    Pour comprendre Genscher, il faut bien se dire qu’il est, par sa naissance, sa culture, sa formation, un Allemand de l’Est. Non au sens du régime politique de la RDA (qu’il quittera en 1952 pour s’installer à l’Ouest), mais au sens de la Saxe-Anhalt, de ces provinces certes profondément allemandes, mais déjà prises dans le tropisme d’une autre Europe, celle de la Prusse et de la Pologne, et jusqu’aux grandes plaines de Russie. Lorsque, plus tard, avec et après Willy Brandt, il œuvrera à l’édification d’une Ostpolitik, c’est en parfaite connaissance de cause, en intimité de relation avec les Marches orientales de l’Allemagne, dans la conscience de l’extrême complexité d’un dessin définitif de la frontière germano-polonaise, même s’il signera, lui Genscher, avec le Polonais Skubiszewski, la reconnaissance de la ligne Oder-Neisse, en 1990. L’année de la réunification.

     

    Cette ouverture d’esprit aux réalités de l’Est, ce refus de diabolisation de l’Union soviétique (dûment encouragée en RFA lors de la Guerre froide, je l’ai vécu sur place), n’ont pas fait à Genscher, à l’Ouest, que des amis. Mais l’homme qui a dirigé pendant dix-huit ans (1974-1992) la diplomatie allemande, huit ans sous le chancelier social-démocrate (SPD) Helmut Schmidt, puis dix sous le chrétien-démocrate (CDU) Helmut Kohl, après avoir été cinq ans (1969-1974) ministre fédéral de l’Intérieur de Willy Brandt, comment un tel homme aurait-il pu si longtemps assumer la permanence des intérêts supérieurs de l’Allemagne, s’il avait laissé en son for l’idéologie l’emporter sur le pragmatisme, et la connaissance du terrain ? Le legs de Genscher, comme celui des tout grands, les Bismarck et les Metternich, c’est d’être parti, toute sa vie, de la dureté du réel, la connaissance des hommes et des rapports de forces. C’est ce qui lui a permis, lui qui a connu à 18 ans l’Allemagne Année Zéro (1945), de faire partie – au tout premier rang – de ceux qui en ont fait aujourd’hui la première puissance d’Europe, et l’une de celles qui comptent dans le monde.

     

    La restauration de la grandeur politique allemande ne va pas sans zones d’ombres, et les historiens mesureront la part que Genscher y aura tenue. Ainsi, sa politique, plus ou moins ouvertement connue, lors de l’éclatement des Guerres balkaniques au début des années 1990. Il conviendra aussi de se demander si le pragmatisme de Genscher n’a pas, parfois, outrepassé les limites du genre : c’est lui, en 1982, qui précipite le renversement d’alliances de son parti (le FDP, les libéraux), permettant à Helmut Kohl l’accès au pouvoir. Et rejetant dans l’opposition ce très grand chancelier, largement sous-estimé, qu’était Helmut Schmidt. Lui encore qui si souvent, sous couvert de « politique européenne », avançait en fait les cartes des intérêts profonds de l’Allemagne. Assurément, les Allemands n’ont pas à le lui reprocher, il était là pour tenir ce rôle-là. Mais les « Européens » ?

     

     

    Reste la grandeur d’un homme. Son sens politique hors-pair. Sa défense sans faille des intérêts nationaux. Sa patience exemplaire dans la reconstruction de son pays, à partir de la destruction totale de 1945, jusqu’à aujourd’hui. Cette Allemagne, oui, assez vite redevenue un géant économique, puis aussi (plus lentement) une grande puissance politique. Le destin de cet homme, trop jeune combattant de la Wehrmacht, défenseur de Berlin au printemps 1945, prisonnier de guerre à 18 ans, puis trois ans tuberculeux, immense lecteur, véritable pont de conscience entre l’Allemagne de l’Est et celle de l’Ouest, visionnaire de l’Ostpolitik, mérite largement d’être scruté avec précision par les historiens. Un destin allemand dans le siècle vient de prendre congé. Entre la permanence du tragique et l’espoir d'une Allemagne porteuse des plus grandes valeurs : celles de Luther et de Bach, de Haendel, Hölderlin et Thomas Mann.

     

     

    Pascal Décaillet