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Sur le vif - Page 685

  • Fillon, un homme debout

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    Sur le vif - Mercredi 01.03.17 - 15.43h

     

    J’ai toujours aimé ceux qui se battent. Seuls contre tous. Face à un destin contraire, à l’inéluctable. Face à ce qu’il faudrait faire si l’on était raisonnable : abandonner, parce que les vents adverses sont trop puissants, se résigner.

     

    Je l’ai déjà dit, François Fillon n’est pas mon candidat. A cause de son libéralisme économique et social, et aussi à cause de sa relation à l’Union européenne. Mais pour le reste, quel homme ! Il en a fallu, du courage, aujourd’hui 12.30h, pour monter sur l’estrade, calme et souriant, et nous faire entendre d’une voix claire l’un des plus beaux moments de contre-attaque de l’Histoire de la Cinquième. J’ai pensé, par moments, au 30 mai 1968, retour de Baden-Baden : « Je ne me retirerai pas ». Je doute être le seul de ma génération à avoir, en ce moment précis, fait cette association.

     

    Certains diront qu’il est suicidaire. Peut-être. Mais il a choisi le combat, là où l’abandon eût été plus simple. Plus reposant. Dans les moments de crise extrême, la tentation de « laisser faire » est parfois immense. Il a choisi de n’y point céder. Cette attitude politique, au-delà de savoir s’il faut plus ou moins d’Europe, plus ou moins de fonction publique, m’a, à l’instant même où s’envolaient ses paroles, subitement rapproché de cet homme ombrageux et discret, à la détermination farouche.

     

    J’ignore absolument ce qui va se passer. J’ignore qui sera au deuxième tour, qui sera Président. Je n’en ai strictement aucune idée. Je ne veux pas brûler les étapes. Il reste de longues semaines d’une campagne qui peut encore rebondir dans tous les sens. Ce qui compte pour moi, aujourd’hui 12.30h, c’est d’avoir vu un homme debout. Un homme en armes. Un homme qui s’apprête à continuer le combat.

     

    Monsieur Fillon, les juges se prononceront sur les différentes « affaires » qui vous concernent, vous ou votre entourage. Mais je souhaite, avec une infinie vivacité, que le seul juge de votre destin national soit le corps électoral français. Ces millions de citoyennes et citoyens qui, chacun en conscience, décideront, le jour et l’heure venus, du rôle que vous aurez à jouer pour l’avenir de ce pays.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Dents blanches et Voie lactée

     

    Sur le vif - Mardi 28.02.17 - 09.20h

     

    Au milieu d'un vide programmatique plus sidéral que la Voie lactée, Emmanuel Macron, l'homme qui veut faire neuf, ne fait en réalité rien d'autre que réinventer un passé récent, dont on a vu les résultats. Dans un pays deux fois millénaire, sa puissance de projection dans le passé ne dépasse pas le cap des trente ans.

     

    Il ne jure que par la sanctification de l'échange, du marché, du libéralisme, de l'Europe. Thèmes des années 1990 !

     

    Sur l'identité nationale, sur la frontière, sur la régulation des flux migratoires, sur l'absolue nécessité de réinventer une politique agricole et de soutenir les paysans français, sur la montée en puissance de l'Allemagne, sur la défense nationale, sur les réseaux de solidarité destinés à sauver les plus démunis, il n'a strictement aucun discours.

     

    En politique, je n'ai jamais cru, une seule seconde, à l'homme nouveau. Le rénovateur aux dents blanches, qui se rit du passé, que d'ailleurs il ignore. Le vendeur de camelote, aux allures de gendre idéal. Le télévangéliste Pepsodent, qui hurle : "Je vous aime, je vous aime tous !".

     

    Tout cela manque de tenue et de retenue. D'intuition du tragique. De lien sacrificiel avec l'Histoire. Tout cela ressemble davantage à la banque privée, mondialisée, qu'à l'intime et secrète profondeur de la France. Tout cela ressemble à un cocktail, entre initiés, dans une villa de luxe de la Côte-Est américaine.

     

    Cette candidature a été créée de toutes pièces. Par qui ? Quelles puissances financières ? Avec quels objectifs réels ? Ces questions-là sont autrement plus capitales que la nature putativement fictive des emplois de Madame Fillon.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Françoise Buffat, les philtres du talent

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    Sur le vif - Lundi 27.02.17 - 14.40h

     

    Journal de Genève, il y a entre trente et quarante ans, vieil escalier de bois, rue du Général-Dufour, deuxième étage, première porte à droite : l’antre de la magicienne. Les portes grinçaient, les parquets aussi, l’âme de René Payot habitait encore le bureau d’angle, juste un peu plus loin. Au fond, depuis des temps ancestraux, rien n’avait changé. Depuis Fazy, la fondation, 1826 ?

     

    La magicienne, c’était Françoise. Bureau minuscule, donnant sur la cour intérieure, partout des livres, des dossiers, des plumes, des crayons. Une machine à écrire. La plupart du temps, la porte était ouverte. On se pointait pour demander conseil, discuter, rire un bon coup, essayer d’en savoir plus sur la stratégie secrète du Conseil d’Etat. Un collège de sept personnes, dont elle était le huitième membre, connaissant mieux que le septuor les dessous cachés de la République. Car la magicienne, la merveilleuse sorcière au rire tonitruant, savait TOUT. Elle ne disait pas tout, mais elle le savait.

     

    Je l’ai connue en 1976, dès mes premières piges, j’avais 18 ans. Depuis, son magistère n’a fait que croître. La magicienne, pourtant, n’avait d’autres philtres que ceux de son talent : connaissance absolue, cadastrale, du terrain ; intimité des dossiers ; plume audacieuse et précise. Dans l’écriture, ce brin de folie qui invite le lecteur à se précipiter. Sorcière, philtres, breuvages, au milieu des grimoires.

     

    Françoise Buffat était une journaliste totale. Plume libérale, elle n’a jamais attaqué des milieux politiques plus cruellement que les libéraux eux-mêmes. Familière de la rue des Granges, elle brocardait comme personne la poussière d’or patricienne, évanescente, façon Restauration, de ces hauteurs perdues. Surtout, il y avait chez elle ce sourire, l’éclat de ce regard, cette immédiate complicité, la rapidité de son esprit, l’immensité de sa mémoire. Intensité de sa présence.

     

    Toute sa vie, elle nous aura proposé son regard. Assumant totalement le parti-pris. Enflammant de son verbe la vie politique genevoise. Sur Christian Grobet, conseiller d’Etat socialiste de 1981 à 1993, nous n’étions pas d’accord : elle jouissait de l’incendier ; je soutenais que nous avions affaire à un homme d’Etat, l’un des grands de l’après-guerre, au même titre que Chavanne ou Segond. Les arguments s’échauffaient dans l’échange, nous finissions toujours par éclater de rire. Et le rire, le sien, s’entendait, de l’autre côté de la rue, jusqu’au Victoria Hall.

     

    Par la suite, Françoise Buffat a écrit de remarquables livres, dont l’excellent « Suisses et Juifs », avec Sylvie Cohen, paru en pleine crise des fonds en déshérence, en 1998, chez Pierre-Marcel Favre. Françoise était Alsacienne, elle n’avait quitté cette terre (annexée par le Reich en 1940) qu’en 1942 pour venir en Suisse. On peut imaginer ce qu’il fût advenu d’elle, si le malheur avait voulu qu’elle demeurât à Strasbourg.

     

    Ma dernière rencontre avec la magicienne aux philtres date d’une soirée magique, début août 2015, à la Salle communale de Saint-Luc (VS), lors d’un époustouflant concert-lecture autour de la correspondance entre Clara et Robert Schumann. J’y étais avec mon épouse. Françoise, avec sa fille Juliette, qui vient de nous quitter elle aussi. Tandis que les Lieder de Schumann illuminaient la salle, le soleil déclinant d’une soirée d’été n’en finissait pas de prendre congé, en face, de l’autre côté de la vallée.

     

    Françoise, je te dis au-revoir. Tu resteras pour moi un exemple, dans ce métier de feu et de lumière.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Photo : Salavatore di Nofli - TG.