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Sur le vif - Page 279

  • Car ce chemin de mort est un chemin de vie

     
    Sur le vif - Jeudi 15.04.21 - 16.48h
     
     
    La guerre qui nous a été déclarée n'est ni territoriale, ni économique, ni sociale. C'est une guerre culturelle. Au sens le plus puissant de ce mot, "culture", celui qui va chercher dans l'humain ce qu'il a de plus profond : son chemin vers la langue (pour reprendre la magnifique titre de Heidegger, Unterwegs zur Sprache), sa liberté de dire et d'énoncer, sa solitude face au champ des mots. La langue n'est pas seulement un instrument : c'est elle qui nous porte, nous élève, nourrit nos rêves. Elle est, comme la musique, souffle et vie, rythme, respiration, silences, ponctuation de la vie qui va.
     
    Si c'était une guerre sociale, je ne prendrais pas parti, tout au moins pas avec la même netteté. Regardez mon panthéon, depuis des décennies : on y trouve aussi bien Pierre Mendès France que Willy Brandt, nous ne sommes pas exactement là dans l'exaltation du libéralisme. Politiquement, je suis nuancé. Culturellement, je suis viscéral, passionné, sans doute élitaire.
     
    Ils ont touché à la langue, tenté le putsch, avec par exemple leur galimatias inclusif. Il n'auraient pas dû. Cela va se retourner contre eux, je crois. Ils touchent en nous quelque chose de trop profond, et cela n'a rien à voir avec les questions de sexe, de genre, de domination/soumission, dont ils voudraient faire le centre du monde.
     
    Mais le centre de la langue, où est-il ? Mystère. La langue n'est pas une boîte à outils, enfin pas seulement. Elle nous enfante. Elle nous accompagne. Elle nous charrie. Elle nous porte en elle. Nous passons, elle demeure. Un peu changée, mais à vrai dire très peu. Elle évolue, bien sûr, mais pas comme ça, pas sur injonctions, pas sur ordres. Ni du pouvoir, ni de ceux qui se figurent (avec quelle prétention) comme des contre-pouvoirs. Alors qu'ils ne font que dupliquer des illusions.
     
    Ils passeront. Nous passerons, tous. Nous vivons, nous allons à la mort. Vivre, c'est apprendre à disparaître. La langue, dans ce chemin, nous accompagne. Comme Simon de Cyrène, elle nous aide à porter. Ca crée des liens. Car ce chemin de mort est un chemin de vie.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Gottfried Benn : rigueur, précision, poésie

     
    Sur le vif - Jeudi 15.04.21 -
     
     
    Il faut lire les pages culturelles de la Weltwoche, de même qu'il faut lire celles de la NZZ et de la Frankfurter Allgemeine.
     
    Là, dans l'édition de ce matin (jeudi 15.04.21, no 15), c'est Gottfried Benn (1886-1956). L'un des plus grands poètes de l'expressionnisme allemand. Un Prussien. Remarquable double page, signée Ulrich Gumbrecht, sur la réédition des poèmes selon la version originale (Fischer Taschenbuch, 688 pages).
     
    Benn est un immense poète, et je le dis aux germanistes : il mérite une approche plus complète que les morceaux retenus habituellement dans les anthologies. C'est un Prussien pure souche, habité par l'Histoire de cette nation, fils d'un pasteur luthérien de Mansfeld (l'actuelle Prignitz), il a été médecin (dermatologue), il a servi pendant la Grande Guerre, il s'est engagé dans l'expressionnisme tout en étant un adversaire de la République de Weimar, il a très sérieusement sympathisé avec les nazis, avant de s'en séparer. Disons que sa seule relation avec le régime NSDAP, de 33 à 45, mérite un livre entier, tant elle est complexe. Il meurt à Berlin, en 1956.
     
    Ca, c'est le Benn biographique. Mais il faut entrer dans son écriture poétique. La double page de la Weltwoche nous y invite avec puissance et précision : rares sont les articles de presse qui, au sujet d'un poète, entrent en matière sur l'essentiel : le rythme, le souffle, la prosodie, l'essence même du vers. Gumbrecht, dans cet article, le fait. On est loin des survols et des approximations : on entre dans le ventre du sujet.
     
    J'invite tous les profs d'allemand, dès le niveau fin Collège, à faire lire aux élèves, à haute voix, la poésie précise, concrète et structurée de Gottfried Benn. L'un des repères de la littérature allemande dans la première partie du vingtième siècle.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Les ploucs ? D'une chiquenaude, nous pouvons les éjecter !

     
    Sur le vif - Mercredi 14.04.21 - 16.56h
     
     
    La guerre des mots, je l'ai dit, sera sans pitié. Elle nous a été déclarée, il nous faut la mener. Pour ma part, j'irai jusqu'au bout. Je ne céderai à aucun jargon, aucun communautarisme de langage, aucun tribalisme de vocabulaire. En clair, ni langage inclusif, ni novlangue des Verts, pour prendre deux exemples.
     
    J'ajoute une chose. Dans cette guerre, les créateurs de charabia ne sont pas ceux à qui j'en veux le plus. Ils ont cru bon d'user de ces ficelles langagières comme d'outils de combat, fort bien. En revanche, je déclare ici, haut et fort, mon absence totale de considération pour ceux qui, par facilité, par trouille face aux emmerdes, par hantise de déplaire aux tsunamis de mode, reprennent comme des perroquets les barbarismes qu'on nous impose.
     
    Dans cette guerre, le personnage principal, ça n'est pas le cuistre qui nous balance ses néologismes. Non. Le personnage principal, c'est chacun d'entre nous. Seul face à sa plume. Seul face à sa langue. Seul, face au rapport qu'il entretient avec sa capacité à générer des mots. Veut-il la langue, sa qualité, sa puissance de transmission, sa prodigieuse liberté ? Ou au contraire, veut-il l'esclavage du mimétisme sur la mode qui passe, et qui tente de l'asservir ?
     
    La guerre n'est pas contre les ploucs, il nous suffirait d'une chiquenaude pour les éjecter. Non, la guerre est en chacun de nous. C'est une affaire de conscience individuelle, de capacité d'émerveillement face au miracle de la langue.
     
     
    Pascal Décaillet