Sur le vif - Jeudi 15.04.21 - 16.48h
La guerre qui nous a été déclarée n'est ni territoriale, ni économique, ni sociale. C'est une guerre culturelle. Au sens le plus puissant de ce mot, "culture", celui qui va chercher dans l'humain ce qu'il a de plus profond : son chemin vers la langue (pour reprendre la magnifique titre de Heidegger, Unterwegs zur Sprache), sa liberté de dire et d'énoncer, sa solitude face au champ des mots. La langue n'est pas seulement un instrument : c'est elle qui nous porte, nous élève, nourrit nos rêves. Elle est, comme la musique, souffle et vie, rythme, respiration, silences, ponctuation de la vie qui va.
Si c'était une guerre sociale, je ne prendrais pas parti, tout au moins pas avec la même netteté. Regardez mon panthéon, depuis des décennies : on y trouve aussi bien Pierre Mendès France que Willy Brandt, nous ne sommes pas exactement là dans l'exaltation du libéralisme. Politiquement, je suis nuancé. Culturellement, je suis viscéral, passionné, sans doute élitaire.
Ils ont touché à la langue, tenté le putsch, avec par exemple leur galimatias inclusif. Il n'auraient pas dû. Cela va se retourner contre eux, je crois. Ils touchent en nous quelque chose de trop profond, et cela n'a rien à voir avec les questions de sexe, de genre, de domination/soumission, dont ils voudraient faire le centre du monde.
Mais le centre de la langue, où est-il ? Mystère. La langue n'est pas une boîte à outils, enfin pas seulement. Elle nous enfante. Elle nous accompagne. Elle nous charrie. Elle nous porte en elle. Nous passons, elle demeure. Un peu changée, mais à vrai dire très peu. Elle évolue, bien sûr, mais pas comme ça, pas sur injonctions, pas sur ordres. Ni du pouvoir, ni de ceux qui se figurent (avec quelle prétention) comme des contre-pouvoirs. Alors qu'ils ne font que dupliquer des illusions.
Ils passeront. Nous passerons, tous. Nous vivons, nous allons à la mort. Vivre, c'est apprendre à disparaître. La langue, dans ce chemin, nous accompagne. Comme Simon de Cyrène, elle nous aide à porter. Ca crée des liens. Car ce chemin de mort est un chemin de vie.
Pascal Décaillet