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Sur le vif - Page 139

  • Barenboim, relieur d'âmes

     

    Sur le vif - Mardi 15.11.22 - 10.02h
     
     
     
    Né le 15 novembre 1942 à Buenos-Aires, 80 ans aujourd'hui, Daniel Barenboim n'est peut-être pas mon chef d'orchestre préféré, ni mon pianiste préféré (bien qu'il soit l'un des meilleurs vivants), mais ces deux restrictions n'ont strictement aucune importance. Parce qu'il est un géant.
     
    Un musicien total, enfant prodige dans son Argentine natale, mémoire musicale unique au monde (à l'exception de Martha Argerich), une vie dévorée par la musique, c'est fou, c'est prométhéen, c'est vertigineux, tout ce que cet homme a fait, toutes ces intégrales qu'il nous aligne comme d'autres vont aux champignons, toute l'immensité de son art.
     
    Daniel Barenboim est non seulement l'un de nos plus grands virtuoses, il est aussi une encyclopédie vivante et frémissante, sans cesse renouvelée. Il est la Bibliothèque d'Alexandrie, celle qui jamais ne brûle d'une autre ardeur que celle de la passion. Il est la vie musicale de la seconde partie du 20ème siècle, et de ce début de 21ème.
     
    Le grand Furtwängler, lorsque Barenboim n'avait que onze ans, avait voulu lui faire donner des cours par des gens de la Philharmonie de Berlin, le père de l'enfant avait exprimé des réticences, c'était l'Allemagne de l'immédiate après-guerre, l'irréparable n'était pas si loin. Et pourtant ! S'il est un homme, imprégné de tradition juive, parlant parfaitement l'hébreu, qui a, toute sa vie, propagé dans le monde la culture allemande, Beethoven, Wagner, c'est bien Barenboim. Avec l'Allemagne, il jette des ponts. Avec les Palestiniens, il jette des ponts. Avec tout ce qui pourrait lui apparaître comme a priori hostile, il jette des ponts. Cet homme est un relieur d'âmes.
     
    Les grandes chaînes musicales, depuis des jours, comme Mezzo, rendent hommage à Barenboim, pour cet anniversaire. Intégrale des sonates de Beethoven à Berlin, Mozart à la Jahrhunderthalle de Bochum, et tous les autres. Hier soir encore, c'était la Mer, de Debussy. Lorsque Barenboim cumule le piano et la direction d'orchestre, dans Mozart et Beethoven, on se dit d'abord qu'il en fait trop. Impeccable au clavier, génial de clarté dans Mozart, d'énergie dans Beethoven, il est assurément un peu approximatif lorsqu'il se lève de son siège pour diriger l'orchestre. Mais au fond, quelle importance ? C'est la performance d'ensemble que vise cet homme de la totalité. Si ses deux mains sont occupées par le clavier, qu'importe, il dirigera du menton, et la musique s'accomplira. En plus, il suffit de fermer les yeux, ou d'écouter le disque, et il n'y a rien à redire.
     
    Il faut lire la vie de Barenboim avec, en palimpseste, celle de Beethoven. L'Argentin d'Israël et de Berlin a déjà dépassé, de 23 ans, celle de l'Allemand de Vienne. Mais ce corps, dévoré d'énergie. Cette alliance de puissance et de clarté. Hier soir encore, sur Mezzo, on voyait Barenboim, à Bochum, jouant et dirigeant le Concerto pour piano no 3 en ut mineur, opus 37, de Beethoven. Dans le Rondo final, ce combat de Titans entre le piano et l'orchestre, reprenant interminablement le même thème, l'intimité d'un corps à corps, d'amour et de mort mêlés, la puissance d'une énergie, celle de la vie.
     
    Excellent Anniversaire, M. Barenboim. Vous êtes chaleur et lumière, raison et folie, don et travail, énergie et puissance. Vous êtes la vie, contre la mort.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Ludwig à Ramallah

     
    Sur le vif - Samedi 12.11.22 - 08.43h
     
     
    Ramallah, Cisjordanie, 2005. Quelques mois après mon reportage radio en direct, au milieu d’une foule immense, pour les funérailles d’Arafat (novembre 2004), un concert se joue dans la ville.
     
    C’est le moment fort du sublime reportage diffusé hier soir par Stingray Classica, sur la plus belle invention au Proche-Orient depuis juin 1967 : l’Orchestre israélo-palestinien, de Daniel Barenboim.
     
    Dans ce miracle télévisuel, aucune traduction. Chacun parle dans sa langue. Barenboim s’exprime à la Knesset, où il vient de recevoir un Prix prestigieux. De longues minutes de discours à la tribune, en hébreu. On n’y comprend rien, et pourtant je vous jure qu’on est là, scotché face à cette langue éblouissante. On saisit l’essentiel : la présence. Sur une chaîne musicale, le paradoxe n’a rien d’anodin.
     
    Je me suis rendu maintes fois au Proche-Orient, dans ma vie. Je veux la paix entre Israël et les Palestiniens. Je veux un État palestinien, depuis toujours. On n’y est pas. On n’en a jamais été aussi loin.
     
    Il faut voir les visages de ces filles, tellement rayonnantes, et de ces garçons. Ces jeunes musiciens sont l’espoir du monde. Dans la fracture, ils créent le lien. Leur sourire est promesse de vie.
     
    Ils ont, pour les diriger, un pianiste et un maestro d’exception, Barenboim est les deux à la fois. En 1999, il les a réunis. Quatre ans après l’assassinat de Rabin, qui avait, de sa vie, payé sa volonté de paix.
     
    Et puis, il y a un autre Monsieur, dans le reportage. Il n’a jamais connu l’Orient, juste son Allemagne natale, puis toute sa vie à Vienne. En 57 ans de vie, il a révolutionné le langage musical. Complètement sourd, il a porté la musique dans les ultimes galaxies de la beauté. C’est lui que Barenboim et son Orchestre jouent, ce soir-là, à Ramallah. Il s’appelle Ludwig van Beethoven.
     
    Au milieu de ces visages de lumière, dans cette Terre qu’on dit Sainte, l’élévation de l’Andante con Moto, deuxième mouvement de la Cinquième, et l’unité du monde qui surgit, dans la puissance inattendue de la comète. Juste un soir. Le temps d’un concert.
     
     
    Pascal Décaillet

  • L'éternel été des cigales

     
    Sur le vif - Vendredi 11.11.22 - 07.45h
     
     
    La passion pour les moindres faits et gestes d’Elon Musk n’existe que dans le cerveau tétanisé des journalistes qui veulent faire mode.
     
    Les mêmes qui, il y a vingt ans, nous tenaient la jambe avec le Nasdaq, les start-up et l’innovation, sans avoir, pour leur part, jamais créé la moindre entreprise. Des hallucinés du nouveau.
     
    L’écrasante majorité de nos contemporains se contrefoutent d’Elon Musk. Mais nos cigales de la modernité clinquante chantent en boucle. Invisibles, obsédantes, dans l’éternel été de leurs illusions.
     
     
    Pascal Décaillet