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  • Décadence et dérive des "sujets de société"

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.06.23

     

    A partir de quand le journalisme a-t-il commencé à décliner ? La réponse est simple : à partir du moment où, dans la foulée de Mai 68, les rédactions ont commencé à s’éprendre des « sujets de société ». Et du coup, à négliger les grands axes qui fondent l’intérêt commun, la « res publica », au sens latin de « chose commune » : la politique, l’Etat, la guerre et la paix, la survie des nations.

     

    Mai 68 n’est pas une Révolution politique. D’ailleurs elle obtient, aux législatives de juin suivant, après dissolution, l’exact contraire de ce qu’elle souhaitait : les élections de la peur, après le grand frisson qui a traversé la France, conduisent à l’Assemblée une Chambre bleu horizon, la plus conservatrice depuis 1919. Non, Mai 68, une fois signés les Accords de Grenelle qui relèvent le salaire minimum au-delà de toute espérance, se focalise sur des thèmes qui touchent au pouvoir, à la structure de la famille, au mandarinat dans l’enseignement, à la sexualité. Toutes choses passionnantes pour le Quartier Latin, nettement moins pour la France profonde. Celle qui votera en juin.

     

    Le mouvement de Mai, pourtant, laisse des traces. Les grands sujets « de société » commencent à passionner les rédactions. On s’éloigne du destin des nations, on nombrilise les sujets, on se passionne pour la vie privée, ce que font aussi d’éminents historiens, exactement à cette époque-là. On se désintéresse de l’Histoire, des traités, de la guerre et de la paix, des lieux de mémoire, de la création des identités nationales, comme celle de l’Allemagne, par exemple, à partir des « Discours à la Nation allemande », conférences capitales tenues par le philosophe Johann Gottlieb Fichte, fin 1807, dans un Berlin occupé (1806-1813) par les troupes napoléoniennes, qui avaient vaincu la Prusse l’année précédente. Que comprendre à l’Histoire allemande, sans lire ces discours ?

     

    En bientôt quarante ans de journalisme, j’ai toujours combattu les modes sociétales. Le moins qu’on puisse dire est que j’ai été particulièrement gâté, ces dernières années, avec l’importance disproportionnée accordée au wokisme, aux théories du genre, à l’écriture inclusive, à la relecture foireuse et anachronique de l’Histoire, celle qui projette les critères d’aujourd’hui sans restituer le contexte de l’époque. Du journalisme, je garde la conception classique de ma jeunesse, celle aussi de mes premières années au Journal de Genève : la politique, la culture (incluant le vitriol des plumes), l’analyse, les chaînes de causes et de conséquences. Bref, le Monde d’Hubert Beuve-Méry (et certainement pas celui d’aujourd’hui), la NZZ, la Frankfurter Allgemeine.

     

    Ai-je raison, ai-je tort ? Chacun jugera. Mais je suis ainsi. Je crois profondément à la dimension révolutionnaire de l’écriture, et aux lumières de la critique dialectique. Je crois à la magie des mots, et encore plus à celle de la musique. Mais les modes, non merci. La vie privée, non merci. Par la voix ou par la plume, soyons hommes et femmes d’arguments. Frères et sœurs dans l’ordre de la langue.

     

    Pascal Décaillet

  • Ce qui monte en Allemagne

     
    Sur le vif - Mardi 06.06.23
     
     
    En Allemagne, l’AfD fait jeu égal avec le SPD, parti historique et fondateur de l’Allemagne moderne, le parti de Willy Brandt, et de sa très pâle copie atlantiste, Olaf Scholz
    .
    Ce qui monte en Allemagne, c’est l’opposition à la guerre en Ukraine. L’opposition à l’obédience derrière les faucons bellicistes de Washington.
     
    Ce qui monte en Allemagne, au-delà de la question ukrainienne, c’est l’idée allemande, tout court. L’Allemagne, comme grande puissance souveraine, la moins liée possible à des conglomérats supranationaux.
     
    Ce qui monte en Allemagne, c’est le rejet de la conception de Saint-Empire, défendue après 1945 par le Rhénan Adenauer, puis le Rhénan Kohl. Cette vision d’une Allemagne acceptant une tutelle européenne, comme les Électeurs avant 1806 acceptaient l’ultime arbitrage d’un Empereur, est en perte de vitesse.
     
    La vision des Rhénans, issus de Rome et du catholicisme, historiquement façonnés par la présence des légions romaines, puis des premiers diocèses, n’est de loin pas celle de toutes les Allemagnes. Elle n’est pas celle de la Prusse historique, qui regroupe aujourd’hui le Brandebourg et le Mecklenburg-Vorpommern, les bastions du grand Frédéric II (1740-1786).
     
    L’idée allemande, celle que les Allemagnes se forgent du pays tout entier, varie selon l’Histoire. Elle oscille entre la conception rhénane, intégratrice, tournée vers la France, et l’ambition d’une Allemagne ne comptant que sur sa volonté nationale propre. Ce mouvement de balancier a toujours existé.
     
    La montée de l’AfD, c’est dans ce contexte-là qu’il faut l’inscrire. Celui des mouvements lents, tectoniques, d’un pays en pleine recherche de son destin. La grande puissance montante, aujourd’hui, en Europe. Passionnante, dans sa complexité, ses contradictions, sa vitalité intellectuelle, la richesse et le foisonnement de sa langue, de sa culture. Le pays de Luther et de Brecht.
     
    Le pays dont tout dépend, plus que jamais, sur le continent européen.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • La Suisse n'est pas le 51ème Etat américain !

     
     
    Sur le vif - Lundi 05.06.23 - 15.58h
     
     
    Strictement rien ne justifie, en plein conflit, la prise de parole de l'un des chefs d'Etat belligérants devant le Parlement suisse.
     
    La politique, ça n'est pas la morale. La mission de la Suisse, ça n'est pas de se ranger, sous prétexte que toute l'Europe le fait, dans le camp atlantiste. La politique, et surtout la politique étrangère, c'est garder la tête TOTALEMENT FROIDE. Garder les contacts avec tous.
     
    Et surtout, ne rouler que pour une seule chose : les intérêts supérieurs de son propre pays. Pas ceux du monde. Pas ceux de "l'Occident", concept vaseux pour dire "obédience aux Etats-Unis d'Amérique". Pas ceux du Camp du Bien, ou ce qu'on veut nous vendre comme tel.
     
    Ignazio Cassis se fourvoie. Le Conseil fédéral cède à la mode, à l'esprit du temps. Il se comporte en valet de l'Oncle Sam. Notre pays doit dialoguer avec l'Ukraine, dialoguer avec la Russie, dialoguer avec l'Iran, dialoguer avec la Chine, dialoguer avec Israël, dialoguer avec les Palestiniens. Dialoguer avec TOUS. Sans appartenir à aucun camp. Il en va de notre salut, comme nation indépendante.
     
     
    Pascal Décaillet