Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Robert-la-Morale

     

    Sur le vif - Mercredi 29.01.20 - 13.53h

     

    Les petits numéros d'indignation de Robert Badinter sont de plus en plus insupportables.

    Oh, je ne parle pas du fond. Il est, en effet, totalement inacceptable de brandir la tête d'Emmanuel Macron - comme, d'ailleurs, celle de qui que ce soit - sur une pique. L'ancien ministre de la Justice a raison de le dénoncer.

    Mais le problème n'est pas là. Vous avez vu ce ton ? N'oublions jamais que nous avons affaire à un avocat pénaliste, qui fut en son temps l'un des meilleurs de France. Il maîtrise l'art de convaincre, il connaît à fond les registres du théâtre, il excelle dans l'usage de la feinte. Un homme qui a réussi, avant 1981, à sauver des têtes, est un maître dans l'ordre du drame. Il sait quel visage prendre, quel sentiment jouer. Il module sa voix. Il intériorise la colère. Tout cela est de l'ordre d'une composition. Et ça marche : l'immense majorité des gens vous diront que Robert Badinter, conscience vivante de l'Esprit des lois, est un type formidable.

    Je ne partage pas ce point de vue. Oh, j'ai admiré cet homme naguère : adversaire acharné, toute ma vie, de la peine de mort, j'ai applaudi lorsque, la première année du règne de François Mitterrand, le Garde des Sceaux Badinter a fait voter la loi d'abolition. Rien que pour cela, l'homme a sa place dans l'Histoire.

    Mais je n'aime pas le Badinter d'aujourd'hui. Oh, je sais, c'est délicat à dire lorsqu'il s'agit d'un brillant nonagénaire, dont le courage, la lucidité, les qualités intellectuelles sont indiscutables. Mais, désolé, j'aime de moins en moins le systématique numéro d'indignation qu'il nous livre sur les écrans. Cet homme de qualité est devenu Robert-la-Morale. Cet avocat a changé de robe, pour endosser celle du Procureur. On l'entend de moins en moins analyser, de plus en plus s'étrangler d'indignation.

    Ce grand acteur calcule à merveille son effet. Il a saisi, mieux que d'autres, la grammaire du petit écran. Il prémédite, avant d'entrer en scène, comme jadis avant le prétoire, ce que seront son visage, ses yeux, les tonalités de sa voix. Bref, il plaide. Et, comme il connaît le temps court de l'antenne, il nous évite l'exposition, pour nous livrer uniquement le moment passionnel. Ce petit numéro peut avoir une fois, deux fois, son charme. A la dixième fois, la ficelle devient visible. A la quinzième, elle est insupportable.

    Puisse ce grand esprit venir à nous avec l'étendue de sa culture, et la puissance intrinsèque de ses arguments. Souvent, nous serons avec lui. Puisse-t-il en faire un peu moins - en tout cas, moins systématiquement - dans le petit numéro préparé où le plaideur fronce le sourcil, rentre le regard, va chercher dans sa voix la gravité du Commandeur. Et nous laisse, comme Dom Juan, face aux feux de l'Enfer.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Genève, contrôle ta croissance !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 29.01.20

     

    « Déclassements », « modifications de zones » : il n’y a bientôt plus un seul dimanche de votations, à Genève, dont le menu ne contienne un de ces mots barbares. Commençons par les traduire : il s’agit de projets de constructions, principalement pour des logements. Le Grand Conseil en a voté le principe. Il y a eu référendum. Donc, nous votons. En soi, c’est très bien : plus le suffrage universel s’exprime, mieux notre communauté humaine se porte. Il vaut mieux, à Genève, décider à plusieurs dizaines de milliers de citoyennes et citoyens, qu’à seulement cent (le Parlement). Reste, bien sûr, à voter en connaissance de cause. Producteur responsable, depuis quatorze ans, de l’émission Genève à chaud, sur Léman Bleu, je multiplie les débats sur ces sujets de proximité, mais je sais à quel point ils sont souvent techniques, le langage des juristes et des urbanistes n’étant pas toujours le plus accessible.

     

    La question essentielle, à Genève, n’est pas de savoir s’il faut construire tel ou tel immeuble, dans tel ou tel quartier. Mais, beaucoup plus fondamentalement, quel rapport notre communauté citoyenne entend entretenir avec la croissance. Le conseiller d’Etat Antonio Hodgers en a pris conscience, il demande une réflexion en profondeur sur le sujet, avant de continuer de foncer dans le mur, eh bien sur ce point il a raison. Car Genève n’est pas extensible à souhait. Né en 1958, je suis un enfant de la croissance. J’ai d’abord vécu en Ville, au bord du lac, plus seize ans à Lancy, où nous fûmes heureux, mais où nous vîmes éclore les immeubles, comme des champignons. Il y avait le baby-boom, il y avait une forte immigration (par nous-même demandée), il fallait bien construire. Parfois, avec intelligence et qualité. Parfois, hélas, avec moins de bonheur. Mais enfin, c’était l’époque, la croissance était dans l’air, et l’Expo Nationale de 1964 (que j’ai eu deux fois l’honneur de visiter en famille) incarnait cette Suisse de la production, de la multiplication.

     

    Le problème, c’est qu’à part en mathématiques, on ne peut croître à l’infini. Genève a des barrières naturelles, qui s’appellent le Salève, le Jura, les Voirons. Elle a une zone agricole, mais aussi une zone forestière, que nous devons absolument conserver, elles sont notre respiration, notre poumon. Dès lors, un jour ou l’autre, la question d’un frein à la croissance, notamment dans les constructions, se posera. Mieux vaut, assurément, l’anticiper, avec une vision prospective qui aille plus loin que l’actuel Plan directeur cantonal. Dans nos réflexions, nous devrons être sans tabou, y compris quant aux flux migratoires, et à leur potentielle régulation. Pour cela, il faut en effet souffler un peu, tout mettre sur la table, écouter les Communes, dégager un consensus. Bref, faire de l’urbanisme avec une autre vision que trois ou quatre référendums annuels sur des projets ponctuels de constructions. Il faut une vision d’ensemble. Cela mérite de s’arrêter. De discuter. Et de prendre le temps. La qualité de notre avenir en dépend.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

  • Ecrire, c'est signer

     

    Sur le vif - Mardi 28.01.20 - 15.39h

     

    Écriture en "résidence", textes à plusieurs mains, signatures collectives, je ne crois à rien de tout cela.

    On parle là de l'écriture comme d'un laboratoire, avec des formules qui pourraient s'apprendre. Stages de cuisine provençale, dans un Mas, face à la mer ! Le lieu, qu'on appelle "résidence", aurait son importance. La compagnie, aussi. Je n'en crois rien.

    Je ne connais rien de plus individuel que l'acte d'écrire. La seule "résidence" qui vaille, c'est la totalité d'une solitude face au verbe. Donc, n'importe où fera l'affaire. De Sade à Céline, que de chefs d’œuvre écrits au fond d'une cellule !

    Quant à l'imposture des textes à plusieurs mains ! Qui, au final, tient la plume ? Qui endosse la responsabilité ? Qui insuffle son style, ou tout au moins sa patte ? Qui assume le lien de filiation entre l'auteur et la suite de mots qui déjà, comme une fugue, s'envole et lui échappe ?

    J'attends de l'école qu'elle réhabilite, dès l'aube de l'enfance, la notion d'auteur. Tu écris bien, tu écris mal, tu aimes écrire, tu détestes (c'est souvent très proche), tu comptes, tu racontes, tu définis, tu décris, tu argumentes : à chacun, ses affinités. Mais au final, tu signes. Avec ton nom et ton prénom. C'est ton texte. Tu l'assumes.

    Dans ce domaine-là, le collectif est une imposture. Seule la plus glacée des solitudes t'aidera - peut-être - à exister.

     

    Pascal Décaillet