Sur le vif - Vendredi 31.01.20 - 13.52h
C'est méconnaître l'Histoire européenne que de pleurnicher sur le Brexit. Ou, pire encore : nous définir comme une affaire morale la question de l'appartenance, ou non, du Royaume-Uni à l'Union européenne.
Il n'y a rien de moral. L'Angleterre (pour faire court), c'est près de deux mille ans d'Histoire depuis la conquête romaine. Ou encore, un millénaire depuis Hastings (1066). C'est une très grande nation, un très grand peuple, une très grande Histoire. Jamais plus grands que lorsqu'ils furent, lors de la Bataille de Londres (septembre 1940), menacés d'invasion.
Mais l'Angleterre, ça n'est pas exactement l'Europe. Ca l'est, et ça ne l'est pas. Plutôt que geindre sur le Brexit, regardons l'Histoire. La grande aventure européenne de l'après-guerre, d'où surgit-elle ? Réponse : des décombres ! L'Allemagne, pays fondateur, est détruite en 1945. L'Italie, pays fondateur, est vaincue, humiliée, partiellement détruite en 1945. La France, pays fondateur, a quasiment cessé d'exister en mai-juin 40, elle a perdu la guerre, c'est la plus grande défaite de toute son Histoire, elle s'accroche certes aux trois grands vainqueurs en 1945, mais personne n'est dupe.
En 1945, l'Allemagne est détruite. De grandes villes industrielles italiennes le sont. La Normandie, une partie du Nord de la France, est détruite, non par les Allemands, mais pas ses propres libérateurs. Au milieu de ce chaos, après la faim (pire que pendant la guerre), les privations, la froidure des hivers dans les années 45-49, de grands esprits prennent l'initiative de mettre en commun le charbon et l'acier. En clair, se servir à vil prix du charbon allemand : Vae Victis ! L'embryon, bien avant le Traité de Rome (1957), de la Communauté européenne, est bel et bien une affaire CONTINENTALE, dans laquelle le Royaume-Uni ne tient aucune place.
Il n'en tiendra pas plus en 1957, ni pendant les années soixante. Il verra monter, non sans quelque inquiétude, l'amitié franco-allemande, suite au remarquable chemin de Réconciliation de deux grands hommes, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. Alors, au final, sur deux millénaires d'une très grande Histoire, l'Angleterre n'aura eu un pied institutionnel dans l'Europe continentale que pendant 48 ans : de 1972 jusqu'au 2020. Que représente un demi-siècle, sur deux millénaires ?
La vraie lecture de toute l'affaire britannique n'a rien de moral. Comme je l'ai montré ici précédemment, il convient de décrypter le jeu à trois, en tout cas depuis la Guerre de Sept Ans (1756-1763), que se livrent les trois grandes puissances européennes : la France, l'Allemagne, l'Angleterre. Toujours deux, contre le troisième ! Le grand enjeu, et à vrai dire le seul grand succès de l'aventure européenne de l'après-guerre, c'est la Réconciliation franco-allemande. Malgré les hauts et les bas, elle est scellée pour un bout de temps. L'Angleterre, de son balcon maritime, n'y peut rien changer. Une partie de son âme est tournée vers le continent européen, l'autre vers le Grand Large.
Plutôt que de gémir, prenons acte. L'Angleterre, grande nation, survivra largement à l'épisode européen. Et son départ - qui en préfigure d'autres - peut être lu comme un heureux signal : celui du recentrage de la construction européenne sur la clef de voûte des pays fondateurs. C'est plus modeste que d'aller jusqu'à la Lituanie. Mais c'est historiquement plus juste, politiquement plus réaliste. Et puis, tout de même : la Réconciliation franco-allemande, ça n'est pas rien !
Pascal Décaillet